Combien de Jeux Vancouver s'apprête-t-elle à accueillir à l'hiver 2010? Deux, les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques? Non, mauvaise réponse. Vancouver sera l'hôte de trois Jeux cet hiver. Les autres Jeux, vous n'en avez probablement jamais entendu parler.

Normal, aucun athlète de renommée internationale ne participera à ces Olympiques, qui ne seront pas télédiffusés partout à travers le monde et qui ne bénéficient pas d'un budget de plusieurs milliards de dollars. Ces Olympiques, ce sont les Olympiques de la pauvreté.

Le talon d'Achille de la réputation de Vancouver, c'est la pauvreté extrême de certains de ses citoyens. Majoritairement concentrés dans un quartier situé tout juste à l'est du centre-ville, le Downtown Eastside, ces citoyens habitent dans le code postal le plus pauvre au Canada. Une visite rapide des lieux permet de constater à quel point les problèmes sociaux (itinérance, toxicomanie, maladie mentale) sont le lot quotidien de ses habitants.

Et les habitants du quartier sont en rogne. En rogne contre la venue des Jeux olympiques à Vancouver. Parce que selon eux, plusieurs promesses faites par les « quatre partenaires de Vancouver 2010 » (le comité d'organisation des Jeux olympiques, la ville de Vancouver, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral) n'ont pas été respectées. Promesses brisées en matière d'itinérance et d'accès au logement, notamment.

Des citoyens du quartier ont décidé de manifester leur opposition... d'une manière originale et un peu humoristique, créant les Olympiques de la pauvreté. Ils auraient pu descendre dans la rue, manifester violemment, briser des fenêtres, bloquer des rues, lancer des slogans haineux comme le font certains. Ils ont plutôt opté pour une autre stratégie: faire passer leur message en éduquant la population aux enjeux auxquels ils sont confrontés.

« D'abord et avant tout, nous voulons sensibiliser la population à ces enjeux sociaux. Sans une masse critique de citoyens conscients de la situation et une masse critique qui exige des changements, rien ne changera. Les politiciens ne feront rien de leur propre chef. Ils vont continuer à ignorer le problème », explique une des organisatrices des Olympiques de la pauvreté, Jean Swanson.

« Plus les citoyens mettront de la pression sur les politiciens, meilleures sont nos chances de voir les choses bouger. C'est le seul moyen de faire bouger les choses. Un récent sondage montrait qu'entre 70 et 80% de la population de la province veut voir une réduction de la pauvreté en Colombie-Britannique. Peut-être que le message va finir par passer. Nous ne manifestons pas de manière violente. Notre événement est pacifique, familial », de poursuivre Swanson.

Original et humoristique, comme j'écrivais plus haut. Parce que les Olympiques de la pauvreté sont un peu différents des compétitions sportives que l'on voit d'habitude.

Au lieu du ski alpin, du bobsleigh et du patinage de vitesse, place au curling corporatif (où les pierres sont remplacées par des gros sacs d'argent), au patinage de la pauvreté (où les participants doivent patiner tout en évitant les pièges de la pauvreté), les haies de la protection sociale, etc.

Jean Swanson et son équipe planchent encore sur la présentation d'épreuves additionnelles. « Nous voulons ajouter le slalom des politiciens. Les skieurs qui participeront au slalom seront des politiciens et ils rateront le plus grand nombre de portes possible et les portes représentent leurs promesses. C'est donc un moyen d'illustrer que les politiciens auront raté leurs promesses. »

À l'instar des Jeux olympiques, les Olympiques de la pauvreté possèdent aussi leurs mascottes. Encore une fois, le nom des mascottes reflète la réalité des gens vivant dans Downtown Eastside: Itchy the Bedbug (la punaise qui pique), Creepy the Cockroach (la coquerelle affreuse) et Chewy the Rat (le rat qui mastique). Question de rester dans l'humour, les Jeux de la pauvreté ont même dans leurs rangs deux messieurs moins sympathiques que les mascottes: Mr. Bid (monsieur candidature) et Mr. Con Dough (monsieur condo).

En 2010, les Olympiques de la pauvreté en seront à leur troisième édition.

La première édition, en 2008, a rencontré un tel succès que les organisateurs ont dû refuser l'entrée à certaines personnes voulant assister à l'événement, le Carnegie Center, un lieu de regroupement pour les itinérants du Downtown Eastside bien connu à Vancouver, étant trop petit pour accueillir tout ce beau monde (environ 500 personnes ont assisté à ces jeux spéciaux).

Voulant satisfaire leur clientèle, les organisateurs des Jeux de la pauvreté ont déménagé leurs pénates du côté de la Japanese Language School, un site plus gros toujours situé dans Downtown Eastside. Heureux du résultat des Jeux de l'an dernier, les organisateurs seront de retour à la Japanese Language School en 2010.

Ce troisième rendez-vous aura lieu le 7 février 2010 entre 12h30 et 15h00. Deux heures et demie. Vous comprendrez que cette courte période de deux heures et demie signifie que le plus important ici est de passer un message… bien avant le tableau des médailles.

Et le message semble de plus entendu. L'événement est de plus en plus connu à Vancouver. En 2009, tous les médias locaux de Vancouver ont parlé des Olympiques de la pauvreté et des revendications de ses acteurs. Même le très réputé Wall Street Journal a consacré un article aux Jeux de la pauvreté en 2009. Les Olympiques de la pauvreté s'internationalisent.

Et risquent de s'internationaliser encore plus en 2010. Avec les milliers de journalistes qui vont débarquer ici en février, tous à la recherche d'histoires croustillantes pour leur auditoire ou leur lectorat, les Olympiques de la pauvreté risquent de frapper un grand chelem. Et qui sait? Peut-être que les Itchy the Bedbug, Creepy the Cockroach et Chewy the Rat deviendront, le temps de quelques semaines, aussi populaires que les mascottes des vrais Jeux.