Par Stéphane Morneau

Il y a cinq ans environ, avec la quarantaine se pointant timidement le bout du nez, Manny Eleftheriou était sur le divan chez sa mère et le sol se dérobait sous ses pieds à l’idée de remettre sa vie sur les rails.

Quelques années après la conclusion de l’aventure de la International Wrestling Syndicate (IWS) en 2010, à l’époque lors d’une soirée sanglante au Club Soda de Montréal, Eleftheriou n’était plus le casse-cou téméraire à la tête d’une fédération indépendante bien en vue au Québec - mais plutôt un homme brisé qui n’avait de ces années trépidantes que des cicatrices sur la peau comme des routes sur une carte pliée et repliée trop souvent avant d’être remisée à jamais au fond d’un tiroir à débarras.

Il faut savoir qu’avant ce moment à regarder l’avenir sans rien y voir d’autre que les reflets d’un passé mouvementé, Eleftheriou n’a jamais été pressenti pour son rôle dans le monde de la lutte québécoise. Il était, avant toute chose, un amateur du sport-spectacle, un collectionneur de cassettes VHS usées avec des combats qu’on s’échangeait comme des cartes de hockey dans une cour d’école au primaire. De tape-trader, dans le jargon consacré chez les amateurs de lutte, Manny est devenu un lutteur quand on lui fermait toutes les portes, puis un promoteur quand il n’avait même plus le droit d’espérer se rendre jusqu’aux portes afin de demander la permission d’y entrer.

La IWS, une idée folle peaufinée dans un pub entre amis est devenue, de fil en aiguille, un tremplin pour les lutteurs du Québec sur la scène internationale. Comment? À force de sang et de sueurs et d’une bonne dose d’huile de bras.

Vingt ans plus tard, celui qu’on surnomme tout simplement Manny maintenant qu’il ne lutte presque plus peut regarder derrière lui et ne voir que les racines d’un avenir particulièrement intrigant. Et si l’image d’un homme brisée a jadis traversé son histoire, l’excroissance des veines sur ses mains creusée dans les gymnases à grand coup de charge très lourde raconte un tout autre récit si vous le croisez dans la rue en 2019. En plus de son retour dans le ring pour un véritable combat d’adieu, quoi qu’il faille toujours prendre les au revoir avec des pincettes dans le monde du sport-spectacle, il se prépare surtout pour un gala d’une envergure qu’il n’aurait jamais osé imaginer au M Telus de Montréal. L’ancien Metropolis sera le temps d’une soirée l’hôte d’un vingtième anniversaire pas comme les autres pour la IWS.

Manny IWS

Prendre racine dans la bière, la sueur et le sang

En 1999, on ne pouvait certainement pas parler d’envergure quand on pensait à la IWS. Les premières soirées  se faisaient sans la présence d’un ring, ce qui est particulier pour une organisation de lutte. En effet, la tradition de l’arène carrée était remplie par des tapis de gymnases de polyvalentes empruntés par un lutteur après son quart de travail auxquels se greffaient des câbles fixés aux colonnes de soutien du bar abritant ces soirées à la violence aussi artisanale que passionnée. Ce ring de fortune suffisait, puisque l'action était articulée autour de ces contraintes.

Il faut se rappeler qu’à l’époque la lutte plus extrême, ou hardcore pour les initiés, prenait son envol aux États-Unis avec l’explosion en popularité de la défunte ECW de Philadelphie qui en plus de présenter des soirées à la télévision à la carte (Pay per view) se préparait à faire le saut chez une grande chaîne câblée américaine afin de rivaliser avec la WWE et la WCW au plus fort d’une célèbre guerre de cotes d’écoute les lundis soirs. Il était donc tout naturel de voir des fédérations indépendantes emboîter le pas de la ECW et offrir aux spectateurs adultes un divertissement qui s’alliait mieux à leur volonté de «lâcher leur fou» dans un bar un soir de fin de semaine.

Pour Manny et ses amis, il y avait une opportunité et un marché inexploré à Montréal : s’établir pour un auditoire friand de violence. Le choix de l’anglais était aussi tout naturel puisque le tape-trader qu’était Manny voyait aussi l’opportunité d’exporter Montréal dans les mains des collectionneurs d’un peu partout qui, sur les forums internet de l’époque, transigeaient dans la langue de Shakespeare. Un plus un et la IWS était née. Le 23 mars 2019, elle soufflera vingt bougies malgré sa pause de quelques années et les difficultés rencontrées dans un petit milieu qui se tiraille un auditoire maigre, mais farouchement fidèle.

Les amateurs de la IWS, que Manny surnomme ses Hardcore Soldiers, sont d’ailleurs au coeur de l’aventure depuis toujours. C’est eux qui scandent les trois lettres de l’organisation depuis vingt ans et c’est aussi eux qui sont complices avec l’humour décapant entre deux coups de chaise sur le front des protagonistes. Dans des bars suintants du grand Montréal, une relation s’est forgée et le gala au M Telus est aussi une façon de redonner à ses soldats qui, sans promesse ni salaire, ont toujours été du rendez-vous pour les soirées de l'organisation, particulièrement depuis le retour en force en 2014 qui a mené jusqu’au contrat de diffusion sur les ondes de RDS2 - une première pour une fédération québécoise.

Manny IWS

Plus fort que jamais

À 43 ans, c’est un Manny revigoré qui présentera des vedettes de la défunte ECW à ses soldats de la IWS. Une boucle, littéralement, de laquelle il sortira avec des projets plein la tête et des ambitions aussi imposantes que les chargent qu’il empilent sur son corps meurtri dans le gymnase.

Si la IWS a déjà été le tremplin de jeunes Kevin Owens et Sami Zayn à l’époque, eux qui parcourent le monde avec la WWE aujourd'hui, elle peut aussi servir d’endroit pour relever une carrière comme l’a démontré PCO il n’y a pas si longtemps et, surtout, elle peut dorénavant offrir la piqûre à un auditoire plus grand que jamais avec sa présence dans les médias, à la télé et sur le web.

Le monde de la lutte est de plus en plus tissé serré et la IWS n’est certainement plus une saveur locale quand on la compare favorablement à ses homologues du sud de la frontière. Quelque part sous son air sévère et le sarcasme à peine camouflé qu’il réserve aux gens qui ne sont pas dans sa garde rapprochée, Manny sourit en regardant ce qu’il a accompli dans le monde du divertissement sportif à Montréal.

Mais je crois qu’il sourit parce qu’il sait qu’à chaque fois qu’on le traite de fou avec ses idées démesurées, il finit par avoir le dernier mot - tant dans le ring qu’à l’extérieur de celui-ci. Ça ne remplit pas un REER, mais ça fait beaucoup d’histoires à raconter pour les inévitables vieux jours et, dans le cas de Manny, parions qu’il entendra encore le son des néons se fracasser sur son dos quand il contemplera l’étagère des jeux de sociétés avec ses amis du foyer.

Et il sourira, envers et contre tous, comme il le fait depuis vingt ans déjà.  

Lutte : la IWS fête ses 20 ans au M Telus

Pour plus d'info sur la soirée Unsanctioned au M Telus, rendez-vous sur la page Facebook de la IWS.