Section spéciale | Webdiffusion

Puisqu’il faut poser la question, faisons-le d’entrée : est-ce qu’il y a une équipe dans cette Coupe du Monde capable de battre les Américaines? C’est l’interrogation qui demeure depuis le coup d’envoi du tournoi et revient, lancinante, à la veille des demi-finales.

 

Et la réponse est... possiblement l’Angleterre. Peut-être. Je ne suis pas sûr. On va faire comme si...

 

La maîtrise des Américaines de leur sujet leur a permis de traiter tout le premier tour comme une série de matchs de préparation. Mises en places offensives, passage en revue de toutes les options qui s’offrent à elles… tout s’est déroulé avec aisance, contrôle et le regard toujours tourné plus loin, beaucoup plus loin. On s’en doutait.

 

Ce qu’on attendait moins, c’est que dès le premier match à élimination directe, l’Espagne lui pose des problèmes. En adoptant des « demi-solutions » : le bloc n’est pas monté super-haut pour presser follement, mais il n’est pas non plus resté cantonné autour de sa surface. À la perte du ballon, il s’est replacé tout en prenant soin de freiner les mouvements américains au milieu et en essayant de couper les lignes de passes vers l’avant. Ce qui a amené plus de duels dans l’entrejeu que les Américaines attendaient et sans doute plus de pertes de balles. Morgan et Heath n’ont eu que très peu de bons ballons et Rapinoe a été soumise à une quasi individuelle qui a limité son rayonnement à gauche. Le jeu américain à tendance à pencher vers elle, surtout lorsque les échanges viennent moins facilement au milieu. Mais la solution est alors plus souvent venue de Lavelle, à droite du milieu de terrain, capable de donner d’excellents ballons d’une position moins engagée dans le bloc adverse.

 

La problématique a été différente face à la France. D’abord, les Américaines semblaient connaître mieux, et avoir mieux préparé, leur adversaire. Ensuite - et c’est le fait majeur du quart de finale - elles marquent extrêmement tôt. Enfin, la France les a attaquées en voulant jouer, en échanges, en voulant garder le ballon au sol et développer des mouvements construits à partir de l’arrière ayant pour but de s’accélérer sur la longueur du terrain jusque dans le dernier tiers.

 

Conjointement, ces trois éléments ont permis aux États-Unis de se regrouper très vite et très souvent à huit derrière le ballon, Ertz décrochant même pour évoluer dans une défense à cinq. Ce n’est pas quelque chose dont elles ont l’habitude. Mais elles savent très, très bien le faire... Et ça ne les gêne pas plus que les trois de devant, Heath et Rapinoe en particulier, ne fassent aucun travail défensif. Il suffit qu’une joueuse du milieu puisse sortir en contre (Lavelle ou Mewis) et le tour est généralement joué. Sachant, en outre, que Jill Ellis peut sortir quand elle veut du banc une Carli Lloyd, une Lindsay Horan, une Mallory Pugh, chacune capable de renforcer un secteur du milieu de terrain.

 

La France a voulu les bouger avec le ballon. Ce à quoi les Américaines s’attendaient. Les Anglaises ont les moyens de les bouger sans. À condition de lâcher un peu l’ambition de jouer « beau et propre » affichée par Phil Neville depuis qu’il est arrivé à la tête de la sélection. Jill Scott ou Keira Walsh sont capables de longs ballons pour forcer Sauerbrunn et Dahlkemper à défendre en reculant, ce qu’elles n’ont jamais eu besoin de faire face à la France. Ellen White est devenue dans ce tournoi une attaquante bien plus complète et une vraie plaie dans la surface. Au point d’avoir pris la place de Jodie Taylor. Et même si elle est amenée à jouer dans une zone parfois encombrée, à prendre quelques coups et à perdre quelques ballons, Fran Kirby possède le sens de la passe qui perce une défense dans un petit espace. En plus, elles peuvent toutes frapper de loin, ce qui est à tenter régulièrement face à cette défense et une gardienne qui doit être plus testée de loin que face à la France.

 

Le jeu anglais passe encore souvent à droite, vers Nikita Parris et les montées ravageuses de Lucy Bronze. Cela doit demeurer une force, même si Crystal Dunn a été brillante contre la France. À ce sujet: pourquoi ce rayonnement face à Diani, alors qu’elle avait été mise en difficulté contre Garcia au match précédent? Peut-être parce qu’elle s’attendait bien plus à ce genre d’adversaire? Peut-être parce que Garcia effectuait ses démarrages d’une zone plus reculée? Et qu’elle ne l’attaquait pas toujours balle au pied, mais demandait des ballons dans son dos?

 

Le temps passe et on n’a pas encore parlé de la défense anglaise, Houghton - Bright en premier lieu. Brillantes, formidablement en phase l’une avec l’autre. Oui, il y a eu de gros moments de relâchement et de déconcentration, qui seront sévèrement punis par les courses de Morgan et Heath (ou Press si elle a du temps de jeu). Mais il y a de bonnes chances que les conditions qui ont créé ces relâchements lors des deux derniers matches (l’Angleterre menait 2-0 les deux fois et dominait nettement le jeu) ne se présentent jamais mardi.

 

Le temps passe et on n’a pas encore parlé de l’autre demi-finale, Pays-Bas - Suède. Deux styles assez opposés, pour sûr. Les unes existent avec et par la possession, cherchant à dominer au milieu pour basculer sur les ailes et amener des situations devant le but où plusieurs partenaires doivent être en position (dont les ailiers opposés, Martens et Van de Sanden). Des latérales qui montent, plus en alternance que conjointement, mais qui cherchent à écarter le jeu au plus large.

 

Si Miedema et Martens ressortent souvent offensivement, c’est que le travail juste derrière elles de Spitse, Groenen et Van de Donk est inlassable. En fait, leur entente, leur distribution des rôles, leur apport régulier dans le jeu des Pays-Bas s’est amélioré de match en match dans cette Coupe du Monde. Et si la défense centrale Van der Gragt  - Bloodworth n’est pas toujours la plus rapide (mais solide dans les duels), il n’est pas rare de voir l’une des trois milieux venir se positionner très bas pour les soulager. Et derrière elles, Van Veenendaal fait pour le moment un sans-faute dans les buts.

 

La Suède a sorti le match « presque parfait » pour éliminer les Allemandes. « Presque », car elles ont encaissé un but rapide qu’elles auraient pu éviter (et qu’elles ont su éviter plus tard dans le match, lorsque leur système s’est bien mis en place). Sinon, l’ensemble est avant tout industrieux, cherchant à fermer les espaces, toujours dans le but de ne pas se faire dépasser. Les ailes sont parfaitement cadenassées (la latérale droite Hanna Glas effectue un brillant tournoi).

 

Les Suédoises n’ont pas le luxe d’une volée de joueuses hors pairs : Asllani ressort nettement du lot, bien plus efficace depuis qu’elle a décroché de son poste d’attaquante pour devenir meneuse de jeu, celle qui déclenche les mouvements d’attaque. Sinon, le jeu de contres est à l’honneur, mais avec une telle efficacité, une telle précision tant dans la passe qui crée le déséquilibre que dans la finition qu’on en reste admiratifs. Blackstenius et Jakobsson sont deux flèches, c’est vrai, mais leur efficacité sur 3-4 contres par match est affolante. Les Suédoises n’ont peut-être pas la même aisance collective, mais leur force est de pouvoir attendre le bon moment et surtout de le reconnaître et d’appliquer alors une exécution parfaite.

 

Il y a assez nettement deux favorites dans ces demi-finales. Et tout aussi clairement des portes entrouvertes pour chacune de leurs adversaires. Pour ces deux-là, il s’agit maintenant de pouvoir atteindre la perfection de ce qu’elles peuvent faire, le moment précis où elles pourront peut-être faire basculer l’histoire de ce Mondial.