MONTRÉAL – Vers 18 h 15, quinze minutes avant l’ouverture des portes au public et près de deux heures avant le premier coup de sifflet de la saison au Stade Saputo, André Opzoomer glisse son pouce sur l’écran de son téléphone en espérant avoir des nouvelles de son accompagnateur. 

« J’attends le sonneur de la cloche pour la 114! », lance le partisan masqué en parlant de Stefan Trudeau-Armenteros, un travailleur du domaine de l’alimentation à qui le groupe de supporteurs MTL1642 a confié le contrôle de sa prestigieuse emblème pour la soirée. « J’ai quelques amis qui sont venus. D’habitude on est tous dans la section 114 ensemble. Là, ça va être différent, mais ça va être le fun quand même de revoir les gars sur le terrain. »

Détenteur d’un abonnement de saison depuis trois ans, Opzoomer n’a pas hésité quand l’Impact a communiqué à ses membres la façon de s’y prendre pour tenter d’occuper l’une des 250 places disponibles pour le premier match de l’année en temps de pandémie. Il a placé la mise minimale de 49$ lui permettant de participer à la vente aux enchères et a éventuellement appris que son prix avait été accepté. 

« Il y a une partie de passion et une partie de curiosité là-dedans, admet-il. Mon max, c’était 70$, mais j’étais vraiment curieux et je voulais vraiment être ici. C’est le premier événement sportif au Canada depuis l’éclosion [de COVID-19], alors je trouve ça le fun d’être ici en ce moment. »

C’est ce même sentiment de pouvoir revendiquer son petit morceau d’Histoire qui a poussé Franck Giverne à déposer lui aussi son offre pour un droit d’accès au match inaugural de cette saison atypique au Stade Saputo. Son billet lui a finalement coûté 52$.

« Ça fait plusieurs années que j’ai mes billets de saison et oui, pour moi, c’était un no brainer, affirme l’homme sous son foulard. Avec toutes les mesures qui sont prises, à 250 personnes dans un grand stade comme ça, le risque n’est pas plus grand qu’aller au centre d’achat! Il n’y aura pas d’ambiance, c’est sûr! C’est juste pour avoir le privilège d’être "live" ici. »

André et Dany Trudeau avaient fait leur deuil de leur sortie père-fils pour 2020. « Moi, je ne pensais pas qu’on était pour avoir un semblant de saison, lance le paternel. On ne sait pas non plus comment la suite va marcher avec les équipes américaines... »

« Alors on prend ce qui passe! », complète son garçon en admettant qu’il n’était lui non plus pas prêt à casser la banque pour encourager son club en personne. « Je ne serais pas allé en haut de 75$ », calcule-t-il. 

La surenchère anticipée par certains lors du dévoilement de la stratégie de vente de l’Impact n’a donc visiblement pas eu lieu, mais ça ne veut pas dire que cette dernière n’est pas restée coincée dans la gorge de plusieurs fidèles. 

« On pardonne, mais on n’oublie pas », nous a dit l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat.

Du son en canne 

Sur le coup de 20 h, alors que les réservistes des deux équipes sont sortis du tunnel pour se diriger vers les bancs de touche, les chants ont commencé à émaner de la tribune sud, où étaient dispersés la presque totalité des spectateurs admis à l’intérieur de l’enceinte. Quatre drapeaux ont été brandis en 114 tandis qu’à l’autre extrémité, le repère des Ultras était désert et muet.  

Sans la voix de milliers de choristes pour l’accompagner, l’annonceur-maison Robert Tanguay a brisé une vieille tradition en criant lui-même le nom de famille des onze joueurs formant l’alignement partant de l’Impact. L’hymne national a suivi, au cours duquel les joueurs des deux équipes et les quatre officiels ont posé un genou au sol dans un geste d’appui à la cause des Noirs aux États-Unis.

On passait une belle soirée jusqu’à ce qu’une foule fictive se fasse entendre dans les haut-parleurs du stade – du bon vieux son en canne – au départ du match. À vous de nous dire si cet ajout a amélioré votre expérience télévisuelle, mais de l’intérieur, ça a sonné du début à la fin comme une très mauvaise idée. 

Un gros pétard a explosé quand Romell Quioto a ouvert le pointage à la 13e minute. On a déduit que les Ultras, qui s’étaient finalement rassemblés à l’extérieur de la bâtisse. 

« Les Ultras ou les 1642, peu importe qui était à l’extérieur du stade ce soir, on les entendait très bien », a fait savoir Samuel Piette dans ses commentaires d’après-match.

Dans l’amphithéâtre, les cris les plus bruyants ont été entendus lorsque Clément Diop s’est couché sur sa gauche pour bloquer un penalty des visiteurs en début de deuxième mi-temps. Pendant un instant, alors que les plus enthousiastes scandaient le nom du gardien français, on a presque oublié l’absurdité du décor devant nous.

« Déjà, c’était mieux que de n’avoir personne, s’est encouragé l’entraîneur-chef Thierry Henry. On les a entendus, ils nous ont encouragés, c’est super important. Du moment que tout le monde est safe, c’est le plus important. »