L'Agence mondiale antidopage (AMA) a annoncé mardi la suspension avec effet immédiat de l'accréditation du laboratoire antidopage de Moscou, première conséquence des recommandations présentées lundi par une commission d'enquête indépendante sur le scandale mêlant dopage et corruption en Russie.

« La suspension, qui prend effet immédiatement, interdit le centre antidopage de Moscou de mener des activités en lien avec l'Agence mondiale antidopage, incluant l'analyse d'échantillons d'urine et de sang. Le centre antidopage de Moscou dispose de 21 jours pour faire appel de cette décision devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) », explique l'AMA dans un communiqué.

« Un comité disciplinaire va être constitué rapidement dans l'optique de traiter le dossier. Pendant ce temps, tous les échantillons conservés par le centre antidopage de Moscou vont maintenant être transportés de manière sécurisée, promptement et avec un suivi assuré de la conservation des scellés vers un autre laboratoire accrédité par l'AMA », poursuit le texte.

Le directeur exécutif de l'Agence russe antidopage, Nikita Kamaev, a dit que le laboratoire est bien fermé, mais que son agence fonctionne toujours.

Lundi, un rapport d'une commission d'enquête indépendante diligentée par l'AMA, a stupéfait le monde du sport avec la mise au jour d'un vaste système de corruption couvrant des cas de dopage dans l'athlétisme russe.

La Russie, son gouvernement, ses athlètes et leur « culture profondément enracinée de la tricherie » ont été cloués au pilori par l'AMA, qui a réclamé leur mise au ban du monde sportif.

Les conséquences de ce scandale pourraient entraîner l'interdiction de la Russie de participer aux épreuves d'athlétisme lors les prochains Jeux olympiques de Rio en 2016.

La Russie se défend d'avoir instauré un système étatique de dopage

Le gouvernement russe a commencé à répliquer aux accusations de dopage étatisé alors même que les premières sanctions lui étaient imposées.

Un rapport émis lundi par l'Agence mondiale antidopage (AMA) a accusé la Russie d'avoir mis sur pied ce système commandité de dopage et d'avoir camouflé des cas de dopage en athlétisme, dont quelques-uns par des médaillés olympiques. Ce rapport fait état de l'intervention du Service fédéral de sécurité de Russie (FSB) auprès d'un laboratoire antidopage pendant les derniers Jeux olympiques d'hiver de Sotchi.

Le porte-parole du président Vladimir Poutine a déclaré que les allégations faites dans ce rapport ne sont pas supportées par des preuves solides, tandis qu'un grand nombre de hauts dirigeants ont parlé de conspiration dans le but de diffamer le sport russe.

« Tant qu'il n'y a pas de preuve, c'est difficile de considérer ces accusations, qui semblent plutôt infondées », a déclaré Dmitry Peskov.

À la suite de la parution de ce rapport, la Russie est menacée d'exclusion de toutes compétitions en athlétisme, y compris aux prochains Jeux olympiques de Rio de Janeiro.

Le premier geste posé en liens avec les recommandations de ce rapport a été la révocation, mardi, du permis du laboratoire antidopage de Moscou, mettant ainsi fin à tous tests sur les échantillons sur place, qui seront dirigés vers un autre laboratoire accrédité par l'AMA, à l'extérieur du pays.

La commission de l'AMA a indiqué que les résultats des tests était couramment falsifiés afin de protéger des athlètes russes de pointe. Le laboratoire est sous la direction de Grigory Rodchenkov, qui est accusé d'avoir camouflé des cas de dopage, d'extortion auprès d'athlètes et d'avoir détruit 1147 échantillons pour empêcher les enquêteurs de l'AMA d'y avoir accès. Le rapport recommande une suspension à vie pour Rodchenkov.

Le directeur exécutif de l'Agence russe antidopage (RUSADA), Nikita Kamaev, a dit que le laboratoire de Rodchenkov a « cessé de fonctionner », mais que son agence fonctionne toujours.

« L'agence russe rencontre toutes les exigences de l'AMA à ce moment-ci », a-t-il déclaré, ajoutant que la RUSADA préparait une réponse détaillé à tous les points soulevés dans le rapport de l'AMA.

La RUSADA est également passible de suspension. L'AMA l'a accusée de nombreux vices de procédures dans son programme de tests, notamment d'avoir avisé des athlètes à l'avance de supposés tests inopinés, de collusion avec les entraîneurs et d'avoir permis à certains athlètes suspendus de participer à des compétitions.

Kamaev est l'un des nombreux dirigeants russes à prétendre que ce rapport est biaisé.

« Certaines de ces allégations sont d'une acuité particulière et sont, si vous voulez, politisées », a-t-il dit, refusant de donner de plus amples détails. Il a cependant ajouté que les allégations d'infiltration du laboratoire de Moscou par des agents du FSB sont le produit « d'une imagination enflammée » et tiennent davantage du film d'espionnage.

Plus tôt, le président intérimaire de la Fédération russe d'athlétisme, Vadim Zelichenok, a déclaré aux médias russes que le rapport contenait du "matériel fait sur mesure", sans spécifier qui aurait manipulé de la sorte le rapport. Il a aussi demandé à la fédération internationale de faire preuve de prudence et de permettre aux athlètes russes de participer aux prochains JO.

Enquête exigée par le CIO

En début de soirée, le Comité international olympique (CIO) a demandé à la fédération internationale d'athlétisme d'ouvrir une enquête disciplinaire à l'endroit des athlètes, entraîneurs et dirigeants russes accusés par le rapport de l'AMA. Le CIO s'est dit prêt à priver de médaille tout athlète trouvé coupable par cette enquête de l'IAAF.

Le CIO a également suspendu provisoirement son membre honoraire Lamine Diack après que l'ex-président de l'IAAF eût été accusé de corruption et blanchiemnent d'argent en France en liens avec le scandale russe.

Mutko aussi sous enquête

Par ailleurs, le comité d'éthique de la FIFA a annoncé qu'il allait étudier le rôle du ministre des Sports de la Russie, Vitaly Mutko, dans le scandale frappant le pays.

En plus de son poste de ministre, Mutko siège au comité exécutif de la FIFA et dirige la comité organisateur de la Coupe du monde 2018 de football.

Le rapport de l'AMA place Mutko au coeur de ce scandale de dopage, clamant qu'il a « intimidé et interféré directement », en plus de donner l'ordre de manipuler les échantillons.

« Nous analysons ce document avec attention », a déclaré par communiqué le comité d'éthique, mardi.

Les liaisons dangereuses entre sport et services secrets

Les services secrets russes apparaissent à plusieurs reprises dans l'épais rapport de l'Agence mondiale antidopage qui accable la Russie et son athlétisme. Ces hommes du FSB, successeur du KGB, sont pointés du doigt pour leur omniprésence dans le laboratoire qui effectuait les contrôles antidopage.

Bureaux placés sur écoute, visites régulières d'agents, employés interrogés sur leurs activités, mais aussi "atmosphère d'intimidation": le rapport présenté lundi à Genève a jeté une lumière crue sur le rôle et "l'influence du FSB" dans le sport russe.

Il évoque notamment ces "hommes se présentant comme ingénieurs dans le laboratoire alors qu'ils appartenaient aux services de sécurité", ou les rendez-vous hebdomadaires entre le directeur du laboratoire et un agent du FSB chargé de "prendre la température du laboratoire antidopage".

« Je ne pense pas qu'on puisse dire avec certitude qu'il n'y ait eu aucune manipulation » dans ce laboratoire, a résumé dans une jolie pirouette rhétorique Dick Pound, responsable de l'enquête qui a révélé le système de corruption et de dopage dans le sport russe.

« Il est difficile d'imaginer quels intérêts nationaux on peut chercher dans de l'urine d'athlètes », a ironisé l'ex-président fondateur de l'AMA, alors que les Russes sont notamment accusés d'avoir fait disparaître des échantillons.

Le rapport ne précise pas quel rôle les services spéciaux ont joué mais il n'empêche: que faisaient-ils dans un laboratoire chargé d'analyser les échantillons d'urine et de sang des sportifs ? Les autorités russes ont-elles mis au service de la performance sportive les très puissants services de sécurité russe ?

 - Longue tradition de coopération -Le FSB, acronyme du "Service Fédéral de Sécurité", est l'héritier du KGB de l'époque soviétique. A l'image du pays qui s'est effondré avec la dislocation de l'Union soviétique en 1991, les services secrets russes ont connu une traversée du désert dans les années 1990 jusqu'à l'arrivée au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine, lui-même ancien agent du KGB en Allemagne de l'est puis directeur du FSB.

Depuis, les hommes du FSB, et plus généralement les responsables des "structures de force", une expression russe désignant les ministères de la Défense, de l'Intérieur et de la Justice, se sont taillés la part du lion dans les ministères, les administrations et la sphère économique.

Parallèlement, le sport est redevenu une priorité et l'organisation d'événements sportifs, comme les Jeux olympiques de Sotchi en 2014 ou la Coupe du Monde de football en 2018, un enjeu stratégique.

Andreï Soldatov, spécialiste des services secrets et éditeur du site Agentura.ru, rappelle ainsi le rôle du FSB lors des Jeux de Sotchi.

« Ils étaient supervisés par le numéro deux du FSB, Oleg Syromolotov, un spécialiste du contre-espionnage, pas de la lutte anti-terroriste, explique M. Soldatov en soulignant que toutes les méthodes du FSB ont été utilisées ».

« Il y a une vieille tradition de liens entre le KGB puis le FSB et le sport », rappelle Soldatov.

Comme la Stasi, la police secrète est-allemande, le KGB avait un service qui s'occupait du sport. Ses agents étaient chargés d'empêcher les défections des sportifs soviétiques lors des tournois à l'étranger, mais aussi de les aider dans leurs problèmes de carrière voire personnels. Sans évidemment parler du volet performance et dopage des équipes est-allemande et soviétique.

Aujourd'hui, ces liens incestueux persistent. Le volley-ball, par exemple, bénéficie des largesses de l'Etat parce qu'il s'agit du sport préféré de l'ancien patron du FSB, Nikolaï Patrouchev.

Les services secrets conservent également des liens avec le club du Dynamo Moscou. Le chef actuel du FSB siège même au conseil d'administration du club. Et le président du club est passé par les services des garde-frontières, une division du FSB.

Mais depuis la publication du rapport de l'AMA, ni le FSB, ni le Kremlin, ni le ministère russe des Sports n'a commenté cette "influence" prêtée au FSB.

Seul le président en exercice de l'Agence russe antidopage, Nikita Kamaïev, a évoqué la question, en la tournant en dérision. « J'ai un étui pour mon arme, un pistolet et tous les soirs je me rends dans les caves de la Loubianka », le siège du FSB, a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. « C'est du grand n'importe quoi. Ceux qui pensent ça se croient à l'époque des premiers James Bond ».