(ESPN.com) - Il y a 60 ans, le baseball professionnel flottait sur son succès. En 1946, ce que l'on appelait alors le baseball organisé établissait un record d'assistance. Le baseball majeur avait alors attiré 18,5 millions de spectateurs dans ses stades, battant le précédent record de près de huit millions de spectateurs.

Pendant ce temps, les 43 ligues mineures, qui représentaient environ 316 équipes, avaient attiré de leur côté, pas moins de 32 millions de personnes.

Et il y avait aussi les ligues des Noirs (Negro leagues) qui étaient très populaires. Mais une fois que Jackie Robinson et d'autres joueurs de la Ligue des Noirs eurent pu avoir accès au baseball majeur, plusieurs Noirs ont changé leur allégeance, ce qui était parfaitement compréhensible. Ils voulaient simplement voir les meilleurs joueurs de baseball. Ce fut alors le début de la fin pour les ligues des Noirs.

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas appliquer à la lettre, le même scénario pour le Japon. Il n'y a pas si longtemps, les joueurs nippons qui franchissaient le Pacifique pour poursuivre leur carrière ici faisaient les manchettes tellement c'était exceptionnel. Nous arrivons toutefois à un point où les joueurs japonais arriveront de plus en plus tôt dans le baseball majeur. Techniquement, ils deviennent joueur autonome qu'après dix ans dans leur pays, après quoi, ils sont libres de signer avec une équipe d'Amérique.

Mais fatiguées de perdre leurs joueurs pour rien, les équipes japonaises ont mis en place un système qui leur permet de ne pas tout perdre. C'est ainsi que Daisuke Matsuzaka a pu se joindre aux Red Sox de Boston après avoir joué seulement huit saisons dans son pays. Et il y a plusieurs raisons de croire que les Japonais débarqueront encore plus tôt de ce côté du pacifique. Le gourou du baseball nippon Jim Albright a fait l'observation suivante. "Il est probable que la situation actuelle change et que les joueurs jouiront d'une plus grande liberté parce que les trois principaux groupes le désirent : le baseball majeur, les joueurs japonais et le public japonais."

Pour les mêmes raisons que les Noirs voulaient voir Jackie Robinson avec les Dodgers de Brooklyn il y a 60 ans, les amateurs de baseball du Japon sont nombreux à désirer que leurs meilleurs joueurs quittent leurs ligues pour venir évoluer dans le baseball majeur. En fait, ce n'est peut-être pas exactement pour les mêmes raisons mais on imagine que les Japonais sont aussi fiers des succès de Hideo Nomo, Ichiro et Hideki Matsui que les Noirs l'étaient des succès de Robinson et de Willie Mays.

Mais qu'est-ce que cela signifie pour le baseball de haut niveau au Japon? Est-ce que les amateurs vont perdre tout intérêt dans le baseball de leur pays, comme ce fut le cas pour les Noirs dans leurs ligues?

Pour le moment au moins, le baseball japonais semble solide. Il y a quelques années encore, les assistances étaient systématiquement gonflées par des milliers de personnes. Il est donc encore trop tôt pour faire des comparaisons.

Grâce à un marketing agressif, aux expansions, aux parties inter-ligues, au nouveau marché d'Hokkaido, à la Classique mondiale, à Bobby Valentine, la moyenne d'assistance au Japon était à près de 24 000 personnes par match l'an passé, une des plus hautes dans l'histoire du baseball dans ce pays.

Une chose est certaine, les amateurs de baseball japonais trépignent d'impatience d'assister à la première confrontation entre Daisuke "Monster" Matsuzaka et Hideki "Godzilla" Matsui en avril. Au moment où devrait débuter cette partie, les Japonais eux, amorceront leur journée de travail mais nombreux sont ceux qui vont trouver le moyen d'enregistrer la partie pour la regarder plus tard sans compter ceux qui tiendront absolument à voir le match en direct.

Évidemment, il y a une énorme différence entre le pouvoir économique des ligues des Noirs et du Japon. Tout au long de leur histoire, les ligues des Noirs ont connu des ennuis financiers. Les contrats des joueurs étaient aussi minces que le papier sur lequel ils étaient imprimés. Les franchises naissaient et disparaissaient, les classements étaient contestés et les calendriers étaient imprécis.

Outre pour quelques exceptions, les ligues des Noirs servaient davantage les joueurs que les équipes elles-mêmes. Les ligues n'étaient plus que des vitrines pour les équipes du baseball majeur. Ce n'était donc pas une surprise de voir les amateurs imiter les meilleurs joueurs et changer leur allégeance. La tradition du baseball au Japon elle toutefois, est relativement stable.

Il y a toutefois des signes que les dirigeants japonais ne peuvent ignorer. Par exemple, les Giants de Yomiuri, la version nippone des Yankees de New York, ont vu leurs assistances et leurs cotes d'écoute à la télévision chuter depuis que Hideki Matsui joue dans le Big Apple. L'an dernier, les Lions de Seibu ont vu leurs assistances augmenter uniquement lorsque Daisuke Matsuzaka était au monticule. Alors imaginez maintenant qu'il est parti.

Il n'est pas faux de croire que les équipes du Japon deviendront un jour des ligues mineures pour le baseball majeur. Si cela se produit, il serait étonnant que les amateurs continuent de s'intéresser à leurs équipes mais nous sommes sans doute encore loin d'un tel scénario. Les propriétaires des clubs japonais ont typiquement les poches profondes et comme en Amérique du Nord, la majorité des stades du Japon ont moins de 20 ans. Avec les nouveaux stades, les assistances n'ont cessé de monter depuis, comme c'est le cas ici.

Comparer les ligues des Noirs de 1947 aux ligues du Japon de 2007 est intéressant mais les similitudes sont probablement moins significatives que les différences. À plusieurs égards, le base-ball au Japon semble prospérer. Qui sait, il y a peut-être finalement de la place pour tout le monde?