MONTRÉAL – Monny Esther Niamké s’est donnée comme mission d’aider les jeunes basketteurs de l’Afrique de l’Ouest à saisir les opportunités qui pouvaient se présenter à eux de l’autre côté de l’Atlantique. Et c’est au Québec que cette native de la Côte d’Ivoire, elle-même une ancienne joueuse professionnelle, a jugé bon de s’établir pour donner forme et mener à bien son projet.

L’histoire de LaBase Amérique, un organisme à but non lucratif qu’elle a fondé à Montréal avec trois associées l’été dernier, commence en 2017. Entre deux saisons à Lyon, dans la Ligue féminine de basket française, Niamké retourne dans son pays pour participer à un projet d’académie. Elle y remarque deux jeunes filles au talent évident, mais aux ressources limitées. Un lien se crée entre les pépites et leur nouvelle mentore. À la fin de l’été, elles se promettent de rester en contact.  

« Je voyais bien qu’il n’y avait pas de suite pour elles et j’y voyais un problème parce que je me disais : "Qu’est-ce qu’elles vont devenir? Elles ont fait les équipes nationales, elles sont fortes, tout le monde est au courant, mais qu’est-ce qui va se passer si elles ne sortent pas du pays?" », raconte Niamké, qui a elle-même joué deux années dans la NCAA.  

La réflexion est si intense qu’elle pousse Niamké, alors âgée de 24 ans, à la retraite sportive. À l’hiver, elle décide de revenir en Côte d’Ivoire et d’amorcer les démarches afin de placer ses deux protégées dans des institutions américaines.

« En fait, j’ai vraiment commencé à mettre en place mon projet », dit-elle. Détentrice d’une maîtrise en langues étrangères et d’une formation en communications, Niamké comprend rapidement qu’elle aurait avantage à s’établir à l’étranger pour mener ses opérations. « On savait très bien que si on voulait donner des opportunités aux jeunes pour avoir un cursus sport-études, il fallait passer par les États-Unis ou le Canada. »

Toronto lui apparaît d’abord comme la destination logique. La présence des Raptors lui permet de profiter des connexions de ses contacts dans la NBA et de suivre de près les activités d’organismes comme Giants of Africa, fondé par le président du club Masai Ujiri. C’est aussi dans la Ville Reine que se trouvent certains des programmes préparatoires les plus réputés au pays pour les jeunes aspirant à faire le saut dans les universités américaines. Mais la barrière de la langue lui fait vite reconsidérer ses plans.  

« Il fallait trouver un moyen pour que l’adaptation au niveau de la langue et au niveau scolaire soit plus facile afin de leur permettre de ne pas trop perdre de temps. Donc pourquoi pas le Québec? », a-t-elle raisonné.

Une arrivée remarquée

Quand Niamké est entrée en contact avec Igor Rwigema, le fondateur de l’Académie de basketball de Thetford était depuis tout récemment directeur général de l’Institut Dynastie, un nouvel établissement basé à St-Jean-sur-Richelieu. Pour assurer que la relation se développe sur une fondation solide, Niamké a demandé que lui et son partenaire, Alexandre Victor, fassent le voyage en Côte d’Ivoire afin d’y rencontrer les jeunes prospects et leurs familles.

En février 2020, la première cohorte d’Ivoiriens encadrés par Niamké est débarquée au Québec. Trois d’entre eux – Hanniel Ouattara, Aboubacar Traoré et Lassina Traoré – ont représenté Dynastie dans deux tournois de la National Preparatory Association (NPA), un circuit opposant les meilleurs programmes préparatoires au Canada, avant que la pandémie ne vienne perturber leur acclimatation.

À l’été, après la création officielle de LaBase Amérique, Niamké et son équipe ont conclu que les conditions chez Dynastie n’étaient pas optimales pour le développement de ces trois athlètes. Des approches ont été faites vers d’autres programmes de la province, mais l’incertitude inhérente au contexte les a contraintes à regarder ailleurs. Ouattara passe donc la présente saison au Texas tandis que Lassina Traoré s’est déplacé en Floride. Aboubacar Traoré, un espoir pour le repêchage 2021 de la NBA, a quant à lui été transféré à Winnipeg. Trois de leurs compatriotes, plus jeunes et avec donc plus de temps devant eux, sont demeurés à St-Jean.

Niamké affirme que deux jeunes hommes de son écurie devraient arriver au Québec en janvier, dans un programme qu'elle ne peut toujours pas identifier.

Deux Québécoises à bord

Niamké est responsable du volet sportif de LaBase Amérique. C’est elle qui trouve des équipes pour ses joueurs et qui supervise leur progression sur le terrain. Mais la mission du quatuor qu’elle a formé s’étend bien au-delà de l’émancipation athlétique de ses poulains.

Tracy Zubila, une amie d’enfance qui l’a suivie au Canada, agit comme coordonnatrice académique de l’organisme. Elle voit à la réussite scolaire des étudiants-athlètes parallèlement à leur cheminement sur le court.

Deux Québécoises ont aussi sauté à pieds joints dans l’aventure. Laurianne Ferland, une massothérapeute de profession qui a joué au basket jusqu’au niveau collégial AA, travaillait à l’Institut Dynastie lorsque Niamké y est débarquée. Avec LaBase Amérique, elle voit à la bonne gestion des dossiers médicaux : suivis avec les soigneurs, sensibilisation auprès des jeunes et vulgarisation des diagnostics auprès des familles.

« Je m’occupe aussi de tout ce qui est social, c’est-à-dire de m’assurer que leur intégration se passe bien dans leur nouveau milieu. La Côte d’Ivoire et l’Amérique, ce sont des mentalités et des cultures différentes. Je l’ai vécu avec certains garçons, la vision des choses est diamétralement opposée dans certains cas. Et il y a la langue aussi. Ceux qui sont présentement aux États-Unis ne l’ont pas toujours facile avec l’anglais. »

La dernière membre du groupe est Joanie Landry, une stagiaire en droit qui se spécialise en droit sportif et en droit de l’immigration. Elle rédige les contrats et s’assure de faciliter la transition des joueurs dans leur environnement d’un point de vue légal, notamment par l’obtention des différents visas. Maillon indispensable dans le lancement de l’organisme, sa contribution est particulièrement précieuse dans le contexte où la pandémie complexifie considérablement les déplacements.

« On a été mises en contact au début de l’été et on a vite réalisé que cette fille-là serait un gros plus pour l’équipe », raconte Ferland.

Le travail de LaBase Amérique a vite été remarqué dans le petit monde du basket québécois et l’organisme prévoit diversifier ses partenariats avec les établissements de la province au cours des prochaines années. Dans un futur proche, des programmes du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) pourraient accueillir de plus en plus d’étudiants-athlètes africains intéressés à décrocher une bourse dans des universités américaines.

« Je peux me voir ici faire un projet qui va durer », projette Niamké.