MONTRÉAL - Quand Yvon Michel et ses associés avaient annoncé la mise sous contrat d’Artur Beterbiev en mai 2013, ils se félicitaient d’avoir mis la main sur un diamant à l’état brut.

Trois ans et neuf combats - tous remportés avant la limite - plus tard, il ne semble n’y avoir aucun doute que le boxeur russe possède tous les atouts pour devenir champion du monde.

Samedi soir pour son duel contre l’Argentin Ezequiel Osvaldo Maderna, ils seront - dans le meilleur des scénarios - un peu moins de 2000 à franchir les tourniquets du Centre Bell pour le voir à l’oeuvre. Malgré son immense talent, Beterbiev est encore loin d’être une tête d’affiche.

À sa défense, Beterbiev sera de retour après un an d’absence en raison d’une blessure à l’épaule droite et Maderna était totalement inconnu de la quasi-totalité des amateurs québécois jusqu’à encore tout récemment. Rien pour briser l’anonymat du boxeur originaire du Daghestan.

« Il a été retardé par sa blessure et a connu un lent départ en raison des règles en vigueur au Québec où un boxeur est obligé de disputer quatre combats de quatre ou six rounds avant de passer à autre chose. Après son sixième combat contre Tavoris Cloud, il était parti pour la gloire, a mentionné le promoteur Yvon Michel au cours d’un long entretien avec RDS.ca récemment.

« S’il n’y avait pas eu sa blessure, il se battrait aujourd’hui en combat de championnat du monde parce qu’il serait devenu l’aspirant obligatoire. Je suis convaincu qu’Artur aurait remporté son combat éliminatoire de l’IBF qui était prévu et que Sergey Kovalev serait aujourd’hui obligé de l’affronter. Mais ce scénario-là, c’est finalement dans un an qu’il va se produire. »

Cette année à venir dans l’antichambre des combats d’envergure est loin d’être perçue négativement par le promoteur. Au contraire, elle permettra de faire connaître davantage cet athlète surdoué auprès d’un large public et de faire de la Belle Province son port d’attache.

« L’objectif, c’est de le remettre sur les rails et de le qualifier comme aspirant obligatoire, mais surtout d’augmenter son niveau de visibilité, explique Michel. La raison pour laquelle son combat est présenté sur ESPN aux États-Unis, c’est que la chaîne est distribuée à grande échelle.

« Nous ne voulons pas qu’il arrive à Artur ce qui est arrivé à Kovalev, qui est devenu un mercenaire parce qu’il n’a pas de base de partisans. Il a été obligé de venir se battre ici deux fois contre Jean Pascal et ira en Russie pour son prochain combat parce qu’il n’y a pas de place aux États-Unis. Et si le combat contre Andre Ward se concrétise, il aura probablement lieu chez Ward à Oakland. »

Fort d’une expérience de plus de trois décennies dans le monde de la boxe, Michel n’est pas sans savoir que les amateurs de sports québécois souhaitent établir un lien de proximité avec leurs athlètes avant de les appuyer. L’exemple de l’ancien champion Lucian Bute est probant, lui qui a attiré de grosses foules grâce à sa personnalité attachante et son apprentissage rapide du français.

Le promoteur reconnaît que tous les boxeurs roumains et colombiens qui sont passés par Montréal sont partis avec une longueur d’avance en raison de la proximité du français avec leur langue d’origine, mais que chaque athlète doit également y mettre du sien s’il désire devenir populaire. Il croit d’ailleurs qu’il s’agit du dernier obstacle que Beterbiev doit franchir.

« Si les Colombiens - Eleider Alvarez et Oscar Rivas - ont appris le français aussi bien, c’est parce qu’ils étaient célibataires et qu’ils ont rencontré du monde. Ils ne se sont pas formé de bulle colombienne ou hispanophone, relate Michel. Artur vit dans une bulle familiale fermée. Il ne sort pas, il ne va pas dans les bars ou les restaurants. Quand il sort, il le fait avec sa famille.

« Mais c’est un gars intelligent et il est conscient de tout cela. Cela fait d’ailleurs partie de son travail de professionnel d’améliorer sa communication avec la population. Nous avons embauché des spécialistes de la mise en marché pour que les gens finissent par s’identifier à lui. Je n’ai pas de doute qu’il va réussir parce qu’il est dédié et qu’il consacre sa vie à sa carrière. »

Même s’il le côtoie presque quotidiennement dans le gymnase de ses locaux situés sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal, Michel est encore ébloui par le talent de Beterbiev, assurant qu’il n’a rien à enlever - au chapitre de la volonté de devenir le meilleur de la profession - à Roy Jones fils et Floyd Mayweather fils, deux perfectionnistes notoires.

Plus important encore, le promoteur est convaincu que Beterbiev possède tout ce qu’il faut pour se hisser au rang des plus grands athlètes qui sont passés par la métropole au fil des décennies : Gary Carter, Vladimir Guerrero ou Didier Drogba. Mais contrairement à eux, Beterbiev a déjà indiqué que le Québec est sa « destination finale ».

Sauf qu’avant de pouvoir penser entrer dans la légende, Beterbiev est condamné à gagner et plus important encore, à offrir aux amateurs ce qu’ils veulent et méritent : du respect.