« Un boxeur qui pense beaucoup, c'est un boxeur mort »

Vous comprendrez que je ne digère pas facilement la défaite de Lucian samedi soir. Ça prendra quelques jours, quelques semaines, quelques mois ou même quelques années pour y arriver.

Si certains observateurs voyaient ce combat comme celui entre Jean Pascal et moi-même, je ne partage pas du tout cette perception. Je travaille pour Lucian, pour son bien et pour qu’il rayonne. Je veux qu’il récolte ce qu’il sème. Il travaille fort, il est dédié et très consciencieux. Ça me fait de la peine et ça me brise le cœur de voir qu’il n’obtient pas toujours les résultats qu’il devrait avoir.

J’ai utilisé le mot traumatisme pour décrire le problème qui affecte Lucian. Je n’hésite pas à employer ce terme parce qu’on voit une récurrence, quelque chose qui se répète depuis le 1er round contre Froch. Il y a une expression, pas très agréable, qui existe dans notre domaine. On dit d’un boxeur qui pense beaucoup que c’est un boxeur qui est mort.

Il faut comprendre que la boxe s’apprend avec des automatismes, c’est un sport action-réaction. Quand les automatismes ne surviennent plus, il y a une raison derrière cela. Le problème devient plus difficile à gérer quand ça se passe bien à l’entraînement. Notre équipe devient donc confiante, mais le problème revient pendant le combat donc il faut se poser des questions. J’ai ressenti le même « feeling » que durant le combat contre Denis Grachev dans le sens que j’ai vraiment eu de la misère à communiquer avec Lucian dans le coin.

C’est dommage, mais il n’était pas en mesure de faire ce qu’il voulait faire dans l’arène. Il est embêté par une hésitation qui se produit en situation de combat et c’est la troisième fois qu’on le vit. Je suis convaincu qu’avec les ressources nécessaires, on trouvera le problème. Ensuite, il faudra voir si on peut le régler. Après cela, il faut voir combien de temps ça prend à corriger et quelles sont ses chances de revenir le boxeur qu’il était auparavant. Voilà vers quoi je me dirige.

Certaines personnes ont trouvé que j’ai utilisé des propos durs avec Lucian pendant les arrêts entre les rounds. J’ai agi ainsi puisque Lucian a un regard très précis et révélateur. On se connaît tellement que, souvent, nous n’avons pas besoin de nous parler. Samedi soir, il devait savoir ce qu’il avait à faire dès le premier round et ça n’a pas marché. On avait préparé un petit truc bien le « fun » pour entrer dans cette bagarre afin de montrer aux juges, aux fans et surtout à Pascal que nous étions présents. On voulait lui dire : « Tu penses que j’ai peur de toi, voilà mon ami. »

Sauf que ça ne s’est pas passé comme cela. Pourquoi il ne l’a pas fait? Ce n’est pas à cause du travail de Pascal car on avait anticipé la plupart de ses déplacements. Dès ce moment, je me suis dit qu’on commençait peut-être un autre combat comme celui contre Grachev.

Je lui ai dit qu’on n’était pas censé perdre le premier round et que c’était important de le gagner. Il me regardait en voulant dire : « Finalement, ça n’a pas marché ». Mais nous avions 12 rounds à faire et j’ai un travail à accomplir pour l’aider. Malheureusement, samedi soir, je n’ai pas pu coacher

Chose certaine, je peux vous assurer que nous avions testé les capacités de Lucian avant le combat. Je n’ai pas beaucoup parlé de nos partenaires d’entraînement parce qu’on ignore s’il y aura une revanche, mais je pense que l’un de nos partenaires sera champion du monde. On parle d’un très bon athlète qui est invaincu. Je vous assure que le sparring a été très exigeant et on ne peut pas embarquer dans un gros combat sans tester son boxeur en sparring.

Jean Pascal et Lucian ButeÀ la lumière de ce qui est arrivé contre Pascal, on se fait parfois demander si on a bien géré les étapes qui ont suivi la défaite de Lucian contre Carl Froch. Je peux vous dire que nous avons pris la décision, nous avions l’impression que c’était la meilleure. Est-ce le cas? Je ne sais pas. Est-ce qu’on aurait dû prendre une plus longue pause? Peut-être. Ceci dit, c’est clair que c’est urgent de trouver les réponses car on ne peut pas aller plus loin ainsi. Nous n’avons plus la crédibilité que nous avions et la valeur de Lucian a beaucoup baissé. La seule manière qu’elle peut remonter, c’est en étant sincère envers lui-même. Quand il se sera retrouvé, il devra le prouver, et il repart de loin.

Je peux également vous confirmer qu’il était habité par la rage jusqu’au son de la cloche. Bien sûr, s’il y avait un combat dans lequel il aurait dû ressentir de la rage, c’était celui-ci. J’ai même dit à mon équipe que c’était dommage qu’on ne soit pas monté dans le ring comme ça contre Froch, mais tout s’est effondré quand le combat a pris son envol.

Étant donné que Lucian vient de disputer un troisième combat décevant d’affilée, on remet parfois en doute la pertinence de notre association. Bien franchement, si c’est nécessaire pour Lucian de changer d’entraîneur et qu’on pense que c’est la meilleure chose pour lui, je serai le premier à me tasser.

Souvent, les séparations entre un entraîneur et un athlète se comparent à des divorces éprouvants alors que l’une des deux personnes n’est pas contente et souhaite du mal à l’autre. Ce ne serait pas mon cas parce que Lucian a beaucoup fait pour la boxe en faisant grandir ce sport et en lui donnant de la classe. Il mérite du succès pour lui, pas pour moi ou InterBox, mais bien pour lui. Si je dois être loin du portrait, je n’ai pas de problème avec cela et ce sujet fera d’ailleurs de l’analyse que nous ferons.

Si Lucian peut retrouver son aplomb en situation de combat, je suis convaincu qu’il peut avoir un bel avenir. Lucian, c’est un être d’exception et la bonté en personne. Avant, c’était le « fun » parce qu’il était gentil hors du ring et méchant dans celui-ci. Le problème, c’est qu’il est maintenant rendu gentil dans les deux situations.

Voilà pourquoi il faut d’abord identifier le problème, savoir si ça se guérit et en combien de temps. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, mais nous aurons besoin d’aide.

Et pour ceux qui se demandent si c’était son dernier combat en carrière, je réponds qu’on parle avant tout de sa santé. Si tu restes dans la boxe trop longtemps, elle va te voler ta vie. Lucian a eu une belle carrière ayant été champion du monde et il a défendu son titre à neuf reprises. Si tu n’es plus en mesure de laisser parler ton talent, tu dois te retirer. Je ne crois pas qu’il sera du style à s’accrocher à ce sport et permettre à des jeunes de se bâtir une fiche sur son nom. Ce n’est pas son genre, il n’a pas besoin de cela et il a bien réussi financièrement.

*D’après une entrevue effectuée par Jean-Luc Legendre