Depuis que l’influent Al Haymon a lancé sa série Premier Boxing Champions (PBC), plusieurs observateurs du monde de la boxe attendent avec impatience de voir si son plan réussira.

Haymon a acheté du temps d’antenne sur des chaînes généralistes et câblées américaines avec pour objectif que ces dernières sortent le chéquier pour acquérir à fort prix les droits de télédiffusion de ses galas en raison des importantes cotes d’écoute qu’ils généreront. Des commanditaires suivront afin de profiter de la visibilité exceptionnelle qu’offrira la série.

Certains n’ont toutefois pas tardé à prédire que le projet est voué à l’échec, même si seulement deux événements ont été présentés jusqu’à maintenant. C’est le cas de la promotrice Kathy Duva, dont l’entreprise Main Events est maintenant étroitement liée à la chaîne payante HBO.

De 2012 à 2014, Duva a organisé plusieurs cartes pour le compte de NBC Sports Network et quelques-unes d’entre elles se sont retrouvées sur les ondes de NBC les samedis après-midi. Depuis cette année, Haymon l’a remplacée en versant environ 20 millions $ US pour mettre sur pieds 20 galas sur les deux chaînes, dont 5 sur NBC les samedis soirs à heure de grande écoute.

Des ententes ont également été conclues avec les chaînes généralistes ABC et CBS ainsi que les câblées Bounce TV, ESPN et Spike TV. Par contre, la payante Showtime - qui appartient à CBS - continuera à verser des droits d’acquisition (license fee) comme le fait sa concurrente HBO.

« C’est bien d’avoir de la boxe sur des chaînes généralistes, mais il faut que ce soit à un coût raisonnable, a déclaré Duva au cours d’une longue entrevue avec le RDS.ca pendant la semaine de promotion du combat d’unification des poids mi-lourds entre Sergey Kovalev et Jean Pascal.

« Pour nos galas du samedi après-midi, nous devions respecter un budget de 150 000 $. Nous avons obtenu des cotes d’écoute semblables à celle de leur premier événement sur NBC, même si PBC a acheté de la publicité - télé et affichage - dans les 20 plus grands marchés télévisuels. Et selon ce que j’ai entendu un peu partout, 8 millions $ ont été dépensés en bourses seulement. »

Lors de sa première sur NBC le 7 mars, PBC a attiré une moyenne de 3,4 millions de téléspectateurs avec une pointe de 4,2 millions. Le deuxième événement sur Spike TV le 13 mars a attiré une moyenne de 869 000 avec une pointe de 1 million. Il s’agissait du meilleur audimat d’une soirée de boxe sur le câble en huit ans, annonçait d’ailleurs fièrement un communiqué.

« Le problème, c’est que vous vous retrouvez avec des boxeurs qui sont maintenant payés quelques millions de dollars, alors qu’ils n’en recevaient que quelques dizaines de milliers auparavant, continue la promotrice. Pourtant, il n’y a pas vraiment plus de gens à l’écoute.

« Si Keith Thurman a reçu deux millions de dollars pour affronter un boxeur - Robert Guerrero - que tout le monde savait qu’il battrait, combien recevra-t-il lorsqu’il se mesurera à quelqu’un qui pourrait réellement le vaincre? De plus, PBC ne mise que sur un seul commanditaire majeur - Corona -, qui ne verse que quelques centaines de milliers de dollars, pas plus. »

Mais au fur et à mesure que PBC gagnera en notoriété, d’autres partenaires se joindront inévitablement à l’aventure, étant donné que les événements sportifs présentés en direct sont devenus extrêmement prisés des annonceurs. Sauf qu’encore là, ce serait rêver en couleurs.

« Tout le monde parle de l’époque de l’émission Wide World of Sports, mais les gens oublient que la boxe n’était qu’un élément de la programmation parmi tant d’autres. Les commanditaires ne s’associaient pas à la boxe, mais bien à la marque Wide World of Sports, prétend Duva.

« Le problème de la boxe, c’est que chaque combat peut se terminer au premier round. Dans le temps, Wide World of Sports comblait le temps d’antenne avec du saut à skis, de la natation ou des courses de chevaux. Avec l’arrivée des chaînes spécialisées en ondes 24 heures par jour, les droits de diffusions ont explosé et les généralistes ont toutes fini par laisser tomber la boxe.

« Les payantes avaient quant à elles le modèle parfait pour concurrencer les câblées, car elles misaient sur un budget important, étant donné que la boxe attirait bon nombre d’abonnés. Quand un combat se terminait précipitamment, cela ne changeait absolument rien, puisqu’elles n’avaient qu’à mettre une série, un film ou un spectacle en ondes pour combler le temps.

« Fox a tenté sa chance en 1995 en présentant le combat entre Mike Tyson et Buster Mathis fils et malgré un cote d’écoute de 43 millions de téléspectateurs, la chaîne n’a plus jamais répété l’expérience. Et vous savez pourquoi? Parce que le combat n’a duré que trois petits rounds! » (N.D.L.R. : Contrairement à ce qu’affirme Duva, Fox a ensuite présenté au moins une autre soirée de boxe sur ses ondes pendant les années 1990.)

Il est vrai que la boxe possède une imprévisibilité que d’autres sports comme le football américain n’ont pas. Un match totalise toujours quatre quarts de 15 minutes et une blessure à un joueur étoile n’empêche en rien la présentation de la rencontre. Fox avait d’ailleurs perdu des dizaines de milliers de dollars dans l’aventure Tyson-Mathis, parce que le combat qui devait originalement être présenté en novembre n’a eu lieu qu’en décembre en raison d’une blessure.

« La boxe est différente de tous les autres sports »

Cela dit, plusieurs prêtent à Haymon l’intention de mener son entreprise de la même manière que l’UFC, où les annulations de combats majeurs n’empêchent pratiquement en rien la présentation des événements. Mais les arts martiaux mixtes ne seraient pas la boxe.

« La boxe est différente de tous les autres sports, répond Duva. Quand Ronda Rousey génère 500 000 achats à la télévision à la carte, l’UFC empoche 15 millions de dollars et Rousey n’en touche que 1! Lorsque Floyd Mayweather fils et Manny Pacquiao s’affronteront le 2 mai, ils encaisseront environ 80 pour cent des revenus. Cela prouve que l’UFC ne fait pas d’argent avec son entente avec Fox. L’UFC se sert de la télévision à la carte pour renflouer ses coffres.

« Quand le contrat de Rousey avec l’UFC viendra à échéance, je peux vous assurer que tous les promoteurs de boxe l’auront à l’œil. Si l’un de nous lui propose 10 ou 12 millions pour un combat, qu’est-ce qu’elle va faire? Et si ce n’est pas elle, ce sera quelqu’un d’autre un autre jour.

« Personne ne peut démarrer une équipe de football américain et penser qu’il rivalisera avec la Ligue nationale de football. Par contre, n’importe qui peut se lancer dans la promotion de combats. Selon notre modèle, les combattants touchent entre 50 et 80 pour cent des revenus. Haymon ne pourra jamais suivre avec ses commanditaires, il devra baisser ses bourses. »

Si Duva rejette d’emblée la possibilité que PBC change à jamais le modèle de l’industrie, d’autres ont décidé de sauter à pieds joints dans l’aventure. C’est le pari qu’a pris Yvon Michel, qui est l’un des élus choisis par Haymon pour organiser certaines de ses cartes, dont celle du 4 avril à Québec. Le promoteur québécois est convaincu que la boxe ne pouvait se permettre le statu quo, sans quoi elle se dirigeait vers une lente agonie. Il sera possible de lire sa réplique demain.