MONTRÉAL – Le 19 juillet, Ryan Janes a publié une nouvelle photo sur sa page Facebook. Il y apparaît en plein centre, à genoux sur les tapis de son gymnase à Victoria. Devant sa main droite est déposée sa ceinture de champion des poids moyens de la Battlefield Fight League, une organisation d’arts martiaux mixtes basée en Colombie-Britannique. Dans sa main gauche se trouve un document auquel il vient tout juste d’apposer sa signature. Il s’agit de son premier contrat avec l’UFC.

Ce n’est toutefois ni la ceinture, ni le contrat qu’on remarque en premier, mais plutôt la vieille photo d’enfance imprimée sur le t-shirt blanc qui couvre le torse du combattant. « Je crois que j’étais en troisième année », précise Janes, amusé, quand on lui fait la remarque.

Le jeune homme sur le portrait porte une veste de suède sans manche par-dessus une chemise jaune boutonnée jusqu’au menton. Une énorme paire de lunettes est accrochée au-dessus d’un sourire timide et sous une petite coupe de cheveux propre, propre, propre.

« C’est exactement à ça que je ressemblais quand je suis entré dans un gym pour la toute première fois, jure Janes non sans un brin de fierté dans la voix. J’étais un nerd – j’en suis toujours un d’ailleurs! La seule différence, c’est que je suis maigrichon sur la photo. J’avais clairement un surplus de poids quand je suis arrivé ici. »

L’histoire de Janes, qui disputera dans un peu plus de deux semaines, à l’âge de 34 ans, son premier combat dans les ligues majeures des MMA, est aussi invraisemblable qu’inspirante. Mais le plus fou, c’est que si vous n’avez pas encore trop de cheveux gris, elle pourrait très bien être la vôtre.

« C’est vrai que ce n’est pas un parcours très commun pour un athlète professionnel », concédait le sympathique combattant cette semaine alors qu’il s’apprêtait à remonter le fil de sa vie dans une longue entrevue accordée à RDS.

Né à Grand Falls-Windsor, une petite ville située au cœur de l’île de Terre-Neuve, Janes a traversé l’enfance et l’adolescence sans développer le moindre intérêt pour le sport. Ses deux frères ainés, des mordus de hockey, étaient les athlètes de la famille. Parfois, la fin de semaine, le cadet les rejoignait sur le court de basketball, mais il n’y restait jamais bien longtemps. Un geek assumé, Ryan Janes était beaucoup plus intéressé par ses jeux vidéo.

« Final Fantasy 7 a changé ma vie, dit-il sans aucune gêne. Ça m’a fait tomber en amour avec ma Playstation et les jeux de rôle fantastiques. À la fin de la série, j’y avais assurément consacré des centaines d’heures en quelques mois. Ça n’avait aucun sens. »

Au début de la vingtaine, après avoir terminé un cours en programmation informatique, Janes est entré en contact avec un vieil ami d’enfance. Les deux inséparables s’étaient toujours dit qu’ils se suivraient une fois le temps venu d’amorcer leur vie d’adulte.

« Il m’a dit : "Je suis à Victoria. Tu aurais une place où rester, il ne neige jamais ici et tu pourrais facilement te trouver un boulot". J’ai répondu que s’il ne neigeait pas, c’était l’endroit parfait pour moi, alors j’ai déménagé. »

La piqûre de l’entraînement

À 25 ans, Ryan Janes avait un bon job de bureau et plusieurs livres en trop. Il en pesait 235.

« Je mesure 6 pieds 3 pouces, alors ce n’est pas comme si j’étais gigantesque. Mais je n’étais pas en forme. Vous savez quand vous réalisez que vous êtes incapables de monter les escaliers sans être à bout de souffle et que vous finissez par vous dire qu’il est temps de changer votre vie? C’est ce que j’ai fait. »

Janes a commencé à pousser de la fonte. Les résultats ont été automatiques, mais l’opération l’ennuyait. Il s’est donc mis à la recherche d’une option plus dynamique et est tombé sur le numéro de Zugen Ultimate Martial Arts. Au téléphone, il est tombé sur Sarah Kaufman, une pionnière des arts martiaux mixtes canadiens qui combat aujourd’hui, comme lui, à l’UFC. Kaufman lui a interdit de raccrocher avant de lui avoir promis qu’il se présenterait à un cours de kickboxing, ce qu’il a fini par accepter.

Ryan Janes« J’aimerais pouvoir trouver une vidéo de mon premier entraînement. C’était brutal, vraiment affreux! Je me suis fait opérer au laser depuis, mais à l’époque ma vision était nulle. Vous savez le gros E sur les affiches qu’ils vont font lire chez l’optométriste? Je pouvais à peine le voir. Disons que la perception de la profondeur n’était pas ma force, mais même sans mes lunettes, j’ai fini par me débrouiller pas si mal. Le grappling, par contre, est venu beaucoup plus naturellement. »

Quelques semaines après s’être laissé convaincre de s’initier au combat debout, Janes a cédé aux encouragements de ses partenaires d’entraînement et s’est mis au jiu-jitsu. Ça a été l’amour fou.

« J’ai toujours été un peu maladroit, alors avec le jiu-jitsu, c’est comme si j’avais trouvé un sport où mon habitude de toujours devoir me retenir pour ne pas tomber partout devenait une force! J’ai tout de suite adoré l’aspect primitif de cette discipline qui me rappelait les heures passées à lutter avec mes frères quand j’étais jeune. Ça offre un défi mental et physique que je n’ai jamais trouvé ailleurs. »

Un jour, son entraîneur lui a demandé s’il avait déjà pensé se battre au niveau professionnel. L’élève s’est presque étouffé. Non, bien sûr que non. Mais l’idée l’a empêché de dormir cette nuit-là et le lendemain, Janes a accepté le défi. Un an plus tard, il remportait son tout premier combat en réussissant une prise de soumission en moins d’une minute contre un certain Ryan Ballingall.

Après avoir perdu son deuxième combat, Janes a facilement gagné son troisième et à partir de ce moment, il s’est dit qu’il allait pousser l’expérience jusqu’au bout. Développé sur le tard, son esprit compétitif l’empêchait de s’imaginer une carrière banale autour de sa nouvelle passion. Ça allait être l’UFC ou rien du tout.

« Quand je serai grand, je vous détruirai tous »

Janes est toujours aussi accro aux jeux vidéo – geek un jour, geek toujours! - mais il contrôle aujourd’hui mieux sa dépendance. Genre.

 « Je dois me garder du temps pour mon entraînement et ma copine, alors je ne joue pas autant que dans mon jeune temps, jure celui qui occupe un poste de développeur web pour le compte du gouvernement provincial. Vous connaissez ‘Marvel Puzzle Quest’? Ça, je ne peux pas m’en passer. Ma blonde n’en peut plus, elle n’arrête pas de me dire de lâcher mon téléphone, mais c’est plus fort que moi. Je collectionne aussi les Transformers et je suis un grand fan de jeux de société. Je ne m’en sortirai jamais! »

Dans la cage, il montre désormais une fiche de 8-1. Ceinture noire en jiu-jitsu brésilien, il a décroché sept de ses victoires par soumission, dont six par étranglement arrière.

« Je ne sais pas si on peut dire que c’est devenu ma spécialité... Dans un combat, jamais je ne pars avec l’intention d’aller chercher un étranglement. Ce n’est pas non plus quelque chose que j’accomplis à répétition à l’entraînement. De la façon dont je vois ça, c’est davantage un signe de capitulation de mes adversaires. C’est comme s’ils en avaient assez de se faire tabasser et qu’ils me disaient : ‘Au lieu de me frapper, prends mon dos et étouffe-moi qu’on en finisse!’ »

Un dernier détail est impossible à ignorer sur le t-shirt blanc qui a fait un tabac sur la page Facebook de Ryan Janes. En gros caractères noir, de part et d’autre du cliché, on peut lire : « Quand je serai grand, je vous détruirai tous ». Le clivage entre l’agressivité du propos et la fragilité du gamin sur la photo fait encore craquer Janes.

« C’est un ami qui a eu l’idée. Quand vous regardez ce petit gars, c’est bien évident qu’il ne détruira jamais personne. Mais aujourd’hui, je suis le meilleur poids moyen au Canada, je fais partie de l’UFC et je détruis tout sur mon passage. Cette photo est hilarante, mais elle marque surtout le passage de la perception que j’avais de moi-même à ce que je suis devenu. »

Ryan Janes affrontera le Néo-Brunswickois Adam Hunter en sous-carte du gala de l’UFC présenté à Vancouver le 27 août. L’événement, qui mettra en vedette les mi-moyens Carlos Condit et Demian Maia, sera présenté sur les ondes de RDS2.