Elle n’a qu’un défaut, cette Mercedes W05 Hybrid.

Ses freins.

Pourquoi? Parce que l’on pousse tout à la limite en Formule Un.

Souvenez-vous des ennuis à répétition des Red Bull ces dernières années, alors que la carrosserie était trop cintrée, ce qui engendrait des problèmes de surchauffe. Et ce parce que le concepteur Adrian Newey voulait la meilleure aérodynamique possible pour sa voiture. Ce fut encore le cas cette année lors des essais pré-saison. Christian Horner a reconnu que la voiture éprouvait des difficultés au plan du refroidissement pour encore et toujours la même raison (tout est trop resserré).

Alors quelle limite Mercedes a-t-elle tenté de repousser cette année?

Les freins.

Tout commence avec le nouveau règlement sur le groupe propulseur, qui augmente la capacité de récupération d’énergie cinétique au freinage. Qui est passé de 60 kw (soit 80 ch) à 120 kw (soit 160 ch).

Le système de récupération d’énergie sur les roues arrière participe grandement au freinage, car il a un effet d’inversion de couple sur l’essieu arrière. Le fait de doubler sa capacité a donné l’idée à certains de réduire les dimensions des disques de frein. Pour des raisons d’aérodynamique (toujours) et de poids (environ 1 kg au total).

Mercedes a réduit le diamètre de ses disques de frein arrière par un centimètre et l’épaisseur par trois millimètres (sur un maximum permis de 28 mm). Les étriers à six pistons ont été remplacés par des étriers à quatre pistons. Ce sont des diminutions assez importantes sur une Formule Un.

Mercedes a adopté ces spécifications de disques de frein pour l’ensemble d’une saison de 19 Grands Prix.

Dans des conditions normales, sur des circuits standard, tout va bien aller.

Mais ce ne fut pas toujours le cas cette année.

Canada

Les premiers gros ennuis de freinage sont survenus au Canada. Un circuit qui a toujours été considéré comme le plus exigeant de la saison pour les freins, devant Monza.

Les rigueurs du circuit (série de freinages/accélérations) et la chaleur ambiante (29° air ambiant, 50° piste) ont fortement sollicité les freins arrière. Dès le départ, les pilotes ont fait attention à leur freins, sachant qu’ils s’approcheraient d’un seuil critique.

Alors imaginez les ennuis si le système de récupération d’énergie cinétique ne contribue plus du tout au freinage.

Toute la chaleur ambiante sur le train arrière de la voiture a affecté le système de contrôle électronique du système de récupération d’énergie cinétique. Qui a fini par cesser de fonctionner. Au virage 10 lors du 36e tour pour Hamilton, et au virage 1 pour Rosberg lors du 37e tour. Soit 30 secondes plus tard : elles sont vraiment identiques ces voitures!

Voilà donc les pilotes privés de 160 ch. Ne leur restait plus que les 600 ch du V6 turbo. Et une bonne partie de la puissance de freinage sur les freins arrière est aussi disparue.

Lewis Hamilton n’y a pas survécu. Ses freins ont encore plus surchauffé lorsque sa voiture a été stationnaire lors de son deuxième arrêt aux puits au 45e tour. Le tour suivant, il est passé tout droit au virage 10 puis à la dernière chicane. Il s’est aussitôt dirigé vers les puits pour abandonner, parce qu’il n’avait littéralement plus de freins.

Pourquoi Rosberg s’en est-il sorti? Parce qu’il avait une répartition de freinage différente de celle de son coéquipier. Plus à l’avant justement pour préserver ses freins arrière. On l’a même entendu en course demander à son ingénieur quelle différence il y avait entre lui et Hamilton. Cette répartition axée sur l’avant lui a valu un tout droit à la chicane du Mur des Champions au 25e tour.

Avec ses 600 ch, Rosberg s’est bien ajusté pour ne céder la première place à Daniel Ricciardo qu’à deux tours de la fin.

Autriche

Les deux pilotes Mercedes ont dû faire attention à leurs freins durant tout le Grand Prix d’Autriche.

Quelques conversations radio entre Hamilton et ses ingénieurs :

"OK Lewis, front brakes are getting over the limit, just have a think about compromises."
"Lewis, two laps with front brakes over the limit, so do what you can to manage."
"You are both in the same position, it will need management."

Pourquoi sur ce circuit pas si exigeant sur les freins?

Parce que la capacité de freinage allait s’approcher du seuil critique en raison de la chaleur inhabituelle (25° air ambiant, 49° piste) et de la forte utilisation du système de récupération d’énergie cinétique.

En effet, du dernier virage jusqu’au virage 3, les voitures roulent à fond sur 25 secondes, sauf durant de courtes périodes de freinage. Cela sollicite énormément la batterie et les systèmes électroniques, qui peuvent avoir tendance à surchauffer. Cela signifie aussi qu’il faut recharger cette batterie lors des rares freinages. Par conséquent, le système de récupération d’énergie cinétique doit fonctionner dans un mode très agressif, ce qui affecte les freins arrière.

Encore une fois, Nico Rosberg avait une répartition de freinage plus vers l’avant que standard. Ce qui explique son tout droit au virage 2 au 30e tour.

Mais tout a tenu en course pour les deux pilotes.

Allemagne

Puis en Allemagne, on apprend que les deux pilotes Mercedes ne cessent de changer de manufacturier de disques de frein. On passe allègrement de Carbone Industries à Brembo et vice-versa.

À chaque week-end de Grand Prix, les deux font des tests comparatifs pour décider de ce qui leur convient le mieux. Il s’agit plus d’une question de sensibilité que de performance.

Lors des essais du vendredi à Hockenheim, alors que les deux utilisent des disques de frein avant Carbone Industries, Hamilton se rend compte qu’il perd du temps au freinage pour le virage no 2, par rapport à son coéquipier.

Pour améliorer son sort en qualification, il décide samedi matin de passer aux disques de frein Brembo. Le Brembo offre une meilleure morsure initiale, mais perd plus rapidement de son efficacité. Le Carbone Industries ne donne pas autant de ressenti lorsque le pilote appuie sur la pédale, mais offre une meilleure résistance à l’usure.

Pour Hamilton, l’idée était de se qualifier devant Rosberg, puis tenter de gérer ses freins en roulant en tête durant la course.

Malheureusement pour lui, le disque de frein avant droit s’est cassé en trois morceaux durant Q1. Sûrement un défaut de fabrication.

Pour la course, les quatre disques de frein de sa voiture étaient des Carbone Industries.

Ah, je sais que certains vont se demander : comment peut-il changer de type de disques de frein alors que sa voiture est sous le règlement du Parc fermé (interdiction de changer les réglages ou les spécifications d’une pièce, du début de la séance de qualifications jusqu’à la fin de la course).

La FIA a accepté ce changement sans imposer de pénalité puisqu’il respectait la lettre du règlement. À savoir un disque de freins de même masse et densité.

Mais cela ne respecte pas l’esprit du règlement. Les pilotes le disent clairement : les deux types de disques de freins ont un comportement différent!

Finalement, en course, tout s’est bien passé.

Jusqu’à la prochaine fois?