Balarama Holness, un ancien Alouette engagé et ambitieux
Alouettes lundi, 23 nov. 2020. 08:55 lundi, 23 nov. 2020. 11:23MONTRÉAL – Quand on lui demande s’il garde de bons souvenirs de sa carrière de joueur de football, Balarama Holness nous fait signe de patienter et disparaît pendant quelques instants. Il revient avec une petite boîte de forme rectangulaire qu’il ouvre aussitôt pour exhiber fièrement sa bague de la coupe Grey.
Si ça répond à la question? Oui, merci.
Mais le bijou, superbe, est l’un des rares vestiges d’une période de sa vie que Holness, qui a joué trois saisons dans la Ligue canadienne de 2008 à 2010, a depuis longtemps laissée derrière lui.
« De loin, quelqu’un peut dire que j’ai eu une courte carrière. Mais je le vois de façon très différente parce que les obstacles que j’ai eu à surmonter durant tout ça me rendent heureux et satisfait. À un moment donné, j’ai réalisé que je ne voulais pas être dans mon cercueil avec mon jersey de football, un gars qui a joué pendant 15 ans et qui, toute sa vie, est vu comme un ancien joueur. Tu as 45, 50 ans et tu es encore en train de parler de tes victoires dans la vingtaine et c’est quelque chose que tu ne peux jamais lâcher parce que si jamais tu lâchais ça, tu n’aurais rien. »
« Ça, c’est cool, don’t get me wrong, conclut-t-il en ramenant sa bague à la hauteur de son visage. Mais c’est pas ça, la vie. Ma vie et mon identité ne sont pas limitées à une carrière de foot. »
Depuis la fin de sa brève parenthèse sportive, Balarama Holness a fait le tour du monde, a entamé des études en droit, s’est lancé en politique active et a fondé un organisme, Montréal en Action, qui veille à l’avancement des enjeux de diversité et d’égalité sur le territoire de la métropole. Dans un élogieux portrait qui le suit aujourd’hui comme une superbe carte de visite, le New York Times a dit de lui qu’il aspirait à devenir l’Obama canadien. Il envisage de briguer la mairie aux prochaines élections municipales.
Portrait en trois temps d’un ancien athlète engagé et ambitieux qui participera à une discussion sur les enjeux de racisme systémique dans le sport lors du troisième Sommet du Sport de Montréal, le 3 décembre prochain.
La persévérance sur le terrain
Steven Holness courait vite. Très vite.
« Ses qualités athlétiques et la façon dont il pouvait courir... Même dans une équipe de football, ce n’était pas quelque chose qu’on voyait si souvent. Et c’est encore vrai aujourd’hui. Il était tellement rapide », se souvient Brendan Taman, qui est le directeur général des Blue Bombers de Winnipeg quand Holness cogne à la porte du football professionnel en 2008.
Le Montréalais vient alors de finir sa quatrième saison, sa deuxième comme partant, avec les Gee-Gees de l’Université d’Ottawa. Il est ignoré au repêchage de la LCF, mais les Bombers l’invitent à leur camp d’entraînement. Le petit numéro 30 réussit à tailler un poste au sein de l’équipe.
« Comme la plupart des gars qui ne sont pas repêchés, il était déterminé à prouver, à nous comme aux autres équipes de la Ligue, que ça avait été une erreur de ne pas le considérer, se souvient Taman, qui est aujourd’hui membre de l’état-major des Alouettes. Il était très concentré sur son objectif. Sa vitesse était son principal atout, mais il était aussi très hargneux sur le terrain. »
« Ça a été une année phénoménale, s’emballe Holness en replongeant dans son passé. À mon deuxième jeu [dans les matchs préparatoires], j’ai réussi une interception. Les receveurs de l’équipe m’ont désigné comme le meilleur ‘DB’ du camp. Je pense bien que si j’avais été un Américain, j’aurais été un partant cette année-là. Demande à Terrence Edwards ou à Milt Stegall. Hey, Milt Stegall me donnait des lifts aux pratiques quand j’étais un nobody. C’est lui qui m’a donné mon surnom, ‘Grinder’, parce que je travaillais tellement fort dans les pratiques. Milt Stegall’s my boy! »
Holness passe la majeure partie de sa saison recrue sur les unités spéciales. L’année suivante, il doit se faire opérer pour une blessure à un genou. À son retour au jeu, il se bousille une épaule. Sa saison est foutue.
« Les Bombers m’ont offert un contrat de quatre ans, trois saisons plus une année d’option, prétend-il une décennie plus tard. Mais moi, je ne voulais pas vraiment retourner à Winnipeg. J’ai refusé et à la place, j’ai décidé d’appeler Jim Popp pour lui dire que je voulais jouer pour les Alouettes. Il m’a dit : ‘T’es qui, toi?’ »
Holness réussit finalement à obtenir un essai devant le directeur général de l’équipe montréalaise. « J’ai couru un 40 verges en 4,4 [secondes] et il m’a signé direct là », affirme-t-il.
En mars, Holness se casse bêtement un pied en se rendant à un entraînement. La douleur ne s’est toujours pas résorbée lorsqu’il arrive au camp trois mois plus tard. Par peur d’être retranché, il cache sa blessure à ses nouveaux patrons. Sa discrétion rapporte : dans la souffrance, il commence la saison sur l’équipe de pratique des Alouettes.
« Je ne voulais pas traîner avec moi l’histoire du gars qui a presque gagné la Coupe pour l’équipe de sa ville natale, mais qui a perdu sa chance à cause d’une blessure. Ce n’est vraiment pas une histoire que je voulais avoir sur mon dos », insiste-t-il.
Pour son entêtement, Holness n’aurait pu être récompensé d’un dénouement plus heureux. En novembre, une blessure à Matthieu Proulx crée une brèche dans l’effectif de l’entraîneur Marc Trestman. Après une saison passée dans la marge, il apprend qu’il sera en uniforme pour le match de la coupe Grey.
« J’ai accompli le rêve, j’ai gagné les grands honneurs. Mais pour moi, c’est beaucoup plus que le foot, répète-t-il. Dans la vie, les gens ont des obstacles, des blessures. Pour moi, c’était la définition de la persévérance. »
Des réponses à de grandes questions
« Comment on dit ‘epiphany’ en français? », demande Balarama Holness.
Ses souvenirs sont clairs. C’est à l’hiver 2004, alors qu’il est âgé de 21 ans, que les questions qui définissent aujourd’hui la raison d’être de ce militant métissé, fils d’une mère québécoise et d’un père jamaïcain, commencent à s’empiler dans sa tête.
« Je marchais sur la rue Sainte-Catherine et je me demandais comment ça se faisait que moi, un jeune homme qui avait grandi à Boisbriand, Noir, végétarien, avec un frère jumeau, Jagannatha Holness, au nom aussi bizarre que le mien, des parents quand même pauvres, comment ça se faisait que les gens au Québec qui me ressemblaient se trouvaient d’une façon ou d’une autre marginalisés en société? Comment ça se faisait que des jeunes comme moi qui n’avaient pas beaucoup d’argent décrochaient plus de l’école? Pourquoi les personnes qui me ressemblaient étaient représentées de façon disproportionnée dans les prisons et étaient largement absentes dans les sphères démocratiques? Pourquoi on était au sous-sol de la société? C’était ça, mes réflexions. Et la réponse m’a frappé. Pour moi, mon cheval de bataille et mon bouclier, ça serait l’éducation. »
Quand il range ses épaulettes et quitte le monde du football, six ans plus tard, Holness se réapproprie sa véritable identité – Steven est un prénom « plus simple » qui lui avait été accolé à l’adolescence – et recentre ses priorités autour de cette illumination. Après une année à tenter de faire sa niche comme entraîneur personnel, l’ancien décrocheur retourne sur les bancs d’école et amorce des études supérieures en enseignement.
« Si mon objectif, c’est d’avoir un impact concret en société et d’avoir des ailes, ce n’est pas en donnant des cours de gym que je vais faire ça », se dit-il.
En 2013, bouleversé par le décès de sa mère, Holness fait ses bagages et part à l’aventure. Il visite l’Amérique du Sud, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique. Il revient deux ans plus tard, retourne brièvement à l’enseignement, puis s’inscrit en droit à l’Université McGill.
« Il y a des personnes qui, après le sport, vont vendre de l’assurance ou travailler dans l’immobilier. C’est correct. Mais moi, les mêmes questionnements que j’avais en 2004, c’était resté. La transition pour me donner une opportunité de faire un impact se continuait »
La politique comme un tremplin
Pendant sa première année à McGill, Holness se présente comme candidat à la mairie de l’arrondissement de Montréal-Nord pour le parti Projet Montréal dirigé par Valérie Plante. Il perd ses élections, mais gagne une voix qu’il utilisera immédiatement pour dénoncer les injustices qui se révèlent à lui.
« Imaginez qu’une équipe gagne la coupe Grey, mais que tous les joueurs dont le numéro commence par ‘1’ ne reçoivent pas de bague et ne sont pas inclus dans les célébrations. C’est ce que Projet Montréal a fait. Les candidats issus des minorités ont été utilisés à des fins électorales pour ensuite être oubliés comme s’ils n’avaient pas participé dans le processus. C’était un échec énorme, mais qui m'a mené à une ouverture sur de grandes opportunités. C’est l’événement de ma vie qui m’a donné le plus de pouvoir. »
Avec la même passion qu’il avait utilisée pour confondre ses détracteurs sur le terrain de football, Holness se lance tête première dans la poursuite de son nouvel objectif. Il fonde l’organisme « Montréal en action » et rassemble une petite armée de leaders locaux. Ensemble, ils font circuler une pétition qui obtient plus de 22 000 signatures, bien plus que le minimum requis par la loi pour forcer la Ville de Montréal à tenir une consultation sur un sujet choisi. Le leur : le racisme systémique.
Trois ans plus tard, Holness peut dire qu’il a gagné sa bataille. En juin dernier, l’Office de consultation publique de Montréal a conclu que la Ville « négligeait la lutte contre le racisme en n’admettant pas son caractère systémique à l’intérieur de ses institutions. » Dans la foulée de ce rapport, la mairesse a reconnu l’existence du racisme systémique sur le territoire de la Ville et annoncé la création d’un poste de commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques.
Ces résultats tangibles ont gorgé Holness d’un « calme intérieur paisible ».
« L’organigramme de la Ville a changé avec les mesures qu’on a apportées. Pour nous, c’est une victoire phénoménale », constate-t-il.
Mais Holness n’a pas l’intention de s’arrêter après une parade. Son Code civil sous le bras – il termine présentement sa dernière session en droit – le jeune père de famille garde un doigt sur le pouls de la ville. À un an des prochaines élections municipales, il envisage sérieusement la possibilité de se présenter contre son ancienne chef dans la course à la mairie de Montréal.
« Il faut une diversité non seulement d’ethnicité, mais dans les compétences des gens qui ont le mandant de gérer la ville. Que tu sois économiste, urbaniste, sociologue, politologue, avocat, il faut des personnes qui ont des compétences et qui peuvent gérer des dossiers pour lesquels ils possèdent une expertise. Rentrer en politique après s’être inscrit dans un parti et fait du bénévolat pendant 5-6 ans... tu ne pourrais pas rentrer sur une équipe de football en faisant ça! »
« Il faut bâtir une équipe qui va avoir les capacités de marquer un touché, illustre l’ancien Alouette. En ce moment, ce que je dis, c’est qu’on a une équipe qui n’est pas sur le bon terrain et les citoyens le savent. Tu as juste à regarder ta ville pour voir que c’est mal géré. Il ne faut pas des idéologues, mais des personnes qui ont des capacités de gérer une ville. »
« Je pense que le vent de changement augmente et qu’il y aura un changement d’administration. Et c’est certain que je m’engage. Je ne sais juste pas de quelle façon encore. »