(Accrofoot.com) - Les nombreux joueurs de football québécois qui rêvent d'un jour porter les couleurs d'une équipe de la NCAA ne savent pas tout ce que cela implique. Car accepter une bourse d'études d'une université américaine, ce n'est pas simplement décider d'aller pratiquer son sport préféré aux États-Unis.

C'est adopter un style de vie qui n'est pas toujours facile. Loin de là…

Voilà ce qui ressortait du message que nous a livré le plaqueur défensif Jonathan Pierre-Étienne, il y a quelques semaines, lorsqu'on lui a rendu visite. Pierre-Étienne - P.Y. pour les intimes - évolue pour les Scarlett Knights de l'Université Rutgers, en banlieue de New York.

«Ce n'est pas aussi rose que ça en a l'air, affirme l'ancien des Spartiates du Vieux Montréal. Mais reste que c'est une expérience de vie incroyable, et que pour rien au monde je n'échangerais cela».

Journée-type

À quoi ressemble une journée dans la vie d'un joueur comme Pierre-Étienne?

«Je me réveille à 6h, et à 6h30 je suis dans la salle de musculation. J'ai un entraînement intensif jusqu'à 8h20 et à 8h30, c'est le déjeuner d'équipe obligatoire. Je suis ensuite en cours de 8h40 à 11h40. Je vais alors manger, et je peux relaxer jusqu'à 13h20, heure à laquelle commence le meeting d'équipe, qui se tient jusqu'à 15h20.»

«À 15h40, il faut être sur le terrain, pour une pratique de près de deux heures, donc jusqu'à 17h40. Après avoir pris ma douche et mangé, j'ai un autre cours de 18h40 à 20h. De 20h à 21h, je suis avec mon tuteur personnel.»

«Et après, j'écoute la télé puis je m'endors…histoire d'être en forme pour le lendemain.»

«Des journées comme celle-là, c'est la routine. Du lundi au vendredi, pendant quatre ou cinq ans!»

Éthique, organisation, argent

Lorsqu'on lui a demandé quelle était la plus grande différence entre ce qui se fait chez nous et ce qu'il vit dans la NCAA, Pierre-Étienne était catégorique.

«C'est l'éthique que tu es obligé d'avoir», affirme-t-il. En fait, je dirais que c'est la qualité du temps qui est consacré à chaque chose. Tout est fait pour rendre chaque minute de ton temps le plus productif possible.»

«À chaque période d'étude, j'ai quelqu'un avec moi pour m'aider. Quand je m'entraîne, on est seulement quelques-uns dans la salle de musculation, avec des entraîneurs qui nous supervisent et qui nous poussent au bout de nous-mêmes. Crois-moi que tu ne peux pas tricher et faire semblant de forcer!»

«J'ai un tuteur personnel que je rencontre chaque matin pendant le déjeuner d'équipe. Et chaque matin on regarde mon horaire de la journée, qui est réglé au quart de tour. De cette manière, ils savent exactement où je suis en tout temps.»

«Je prends mes trois repas par jour avec l'équipe, et le menu est fait spécialement pour qu'on ne manque de rien. L'équipe a des employés qui s'occupent de filmer toutes les pratiques et de faire du montage pour que nos séances de vidéo soient le plus profitables possible.»

Par contre, pour avoir un encadrement de la sorte, il est clair qu'il faut que les ressources financières soient énormes. Et à ce niveau, nos équipes universitaires canadiennes sont loin de pouvoir rivaliser. Mais ça se comprend. À force de vendre plus de 50 000 billets par match local, de tirer des millions et des millions de dollars en contrats de télévision et de profiter de la vente de produits dérivés, une université comme Rutgers peut se permettre d'investir massivement dans son programme de football.

Surtout qu'à l'échelle nationale, il existe franchement peu de manières d'obtenir une aussi bonne visibilité.

Intégration réussie

Contrairement à ce que nous disait Francis Claude sur son intégration légèrement difficile, l'ancien porte-couleur des Cactus du Collège Notre-Dame et des Spartiates du Vieux Montréal n'a pas senti de fermeture d'esprit de la part de ses coéquipiers.

«J'ai visité plusieurs autres universités comme Syracuse, Michigan State et South Carolina, mais c'est vraiment à Rutgers que l'ambiance était la meilleure.»

«Mon anglais était loin d'être parfait lorsque je suis arrivé, mais j'ai tout de même reçu un très bon accueil. Le désir de gagner était tellement fort que tout le monde voulait aller dans la même direction. Et à partir du moment où tu es un athlète capable d'aider l'équipe, tu fais partie de la gang, comme tous les autres!»

SIC ou NCAA?

Maintenant qu'il sait ce que représente la vie dans la NCAA, Jonathan Pierre-Étienne est bien placé pour conseiller les joueurs collégiaux qui hésitent entre jouer leur football universitaire au Canada ou aux États-Unis.

«C'est sûr qu'il y a de l'excellent football qui se joue au Québec. Et plus les bons joueurs vont décider de rester dans la SIC, plus le niveau de jeu va s'améliorer.»

«Je réalise que c'est une expérience exceptionnelle que je vis, et pour rester honnête, je ne changerais cela pour rien au monde. Mais la vie dans la NCAA, c'est beaucoup moins rose que ce que les gens pensent. Il faut que tu saches dans quoi tu t'embarques, car ici tu es presque un prisonnier.»

«Pendant quatre ans, tu embarques dans une routine où tu n'as presque pas de temps pour toi. Tu fais ce que ton horaire te dit de faire, sans avoir le droit de poser de question.»

Et contrairement à ce que nous disait Francis Claude à propos de l'Université Penn State, à Rutgers, les études sont loin d'être la priorité. Certes, les joueurs sont suivis de près et ils n'ont pas intérêt à sécher leurs cours.

«Mais tu ne peux pas vraiment choisir le programme d'étude que tu veux», affirme celui qui étudie actuellement en communications, mais qui envisage faire son droit, lorsque sa carrière de footballeur sera terminée.

«Avec ce qu'est devenu le football au Canada, et surtout au Québec, tu ne seras pas perdant si tu décides jouer dans la SIC.»

Jouer au football

Un aspect à ne pas négliger, c'est que pour une forte majorité, le niveau universitaire représente la dernière chance de jouer au football. On le sait, rares sont ceux qui se rendent chez les pros. Dans cette optique, il faut savoir que ce n'est pas parce qu'un joueur reçoit une bourse d'études d'une équipe de la NCAA qu'il verra automatiquement du terrain.

Francis Claude et Jonathan Pierre-Étienne en sont d'ailleurs d'excellents exemples. Claude était en uniforme lors du match auquel on a assisté, mais il n'est embarqué sur le terrain qu'en toute fin de match. Dépendant des semaines, il était deuxième, troisième ou quatrième ailier rapproché de l'équipe. Il a vu un peu de terrain cette année, surtout en situation de jeu au sol.

Pierre-Étienne, quant à lui, a commencé l'année comme troisième plaqueur défensif des Scarlett Knights. Ennuyé par une blessure à la hanche, il a vu peu de terrain cette saison. Mais avec la graduation de plusieurs vétérans, un poste de partant sera ouvert, l'an prochain.

On a assisté à deux parties universitaires américaines cette saison, soit Penn State contre Buffalo, et Rutgers contre West Virginia. En plus de Claude et Pierre-Étienne, on a donc eu la chance de voir Ronald Hilaire et Bruno Lapointe, qui portent les couleurs de l'Université Buffalo. Du lot, seul Hilaire - un plaqueur qui a également évolué chez les Spartiates - agissait comme partant cette saison.

La NCAA oui, mais pas à tout prix

Bref, Jonathan Pierre-Étienne tient pratiquement le même discours que Francis Claude. Il est conscient que ce qu'il vit actuellement est franchement incroyable. Il ne regrette en rien son choix d'être venu aux États-Unis. Par contre, loin de lui l'idée d'affirmer que la réussite pour un Québécois passe obligatoirement par les rangs américains.

«C'est excessivement demandant, et ce n'est pas tout le monde qui pourrait endurer ça. C'est presque comme l'armée…»
«Mon meilleur conseil? Surtout, ne sacrifie pas tes études pour le foot. Car c'est ça qui va te faire vivre plus tard!»


Rémi Aboussouan est un ancien joueur et nouvellement entraîneur des demis défensifs pour les Nomades du CÉGEP Montmorency. Il baigne dans le milieu du football depuis maintenant sept ans. Pour une troisième saison, Rémi écrit sur l'ensemble du football québécois au www.accrofoot.com, site qu'il s'occupe avec deux collègues, Vincent Cérat-Lagana et Guillaume Boismenu d'Amour. Sur le plan académique, Rémi vient d'entreprendre un Baccalauréat en journalisme, à l'Université du Québec à Montréal.