Le sujet de l’heure dans la NFL est assurément la décision vivement contestée des Giants de New York de retirer à Eli Manning son statut de quart partant au profit de Geno Smith, à un mois et des poussières de la fin du calendrier régulier.

C’est un autre exemple illustrant le fait que le football professionnel est avant tout une entreprise lucrative dans laquelle la loyauté est parfois mise de côté.

Il faut se souvenir de ce genre de situation lorsqu’on critique par la suite un joueur pour avoir pris une décision qui nous semble égoïste, comme celle de quitter pour une autre équipe ou celle de ne pas se présenter au camp d’entraînement en raison d’une dispute contractuelle.

Loin de moi l’idée de plaindre Manning, car après tout, il a été grassement payé pour ses services à travers toutes ses années dans la NFL. En effet, parmi tous les joueurs actifs, il est celui qui a engrangé le plus haut montant depuis le début de sa carrière, une somme s’élevant à près de 220 millions $ US. Il devance notamment Tom Brady et Drew Brees sur cette liste.

Je ne commencerai donc pas à pleurer pour lui, mais je déplorerai quand même le fait que les Giants ont fait une lecture absolument lamentable de la situation. Ils ont manqué le bateau, et pas à peu près.

Ben McAdooIl fallait être carrément déconnecté de la réalité pour annoncer quelque chose d’aussi controversé et ne pas s’attendre à créer des remous. Lorsqu’on voit la réaction de Manning lui-même, celle des partisans, celle de ses coéquipiers, actuels comme anciens, et des autres joueurs à travers la ligue, on s’aperçoit qu’il y a consensus : ce n’était pas un choix éclairé de la part des hauts décideurs des Giants.

Je suis conscient qu’Eli, maintenant âgé de 36 ans, ne « pétait pas le feu » lors des deux dernières saisons. Depuis que Ben McAdoo est devenu l’entraîneur-chef au début de la campagne 2016, l’attaque des Giants a été horrible. Pour un ancien coordonnateur offensif, les résultats n’ont vraiment pas été au rendez-vous. Une moyenne de 17 points marqués par match en deux ans, ça ne fait pas le poids. Et pas une seule fois l’équipe a-t-elle surpassé le plateau des 30 points sous ses ordres. L’instructeur a certainement sa part de responsabilités.

L'avenir : d'accord, mais quel avenir?

Je comprends aussi que l’équipe croupit dans les bas-fonds du classement avec une fiche de 2-9 (30e rang du circuit et dernier dans la NFC), et que dans de telles circonstances, il est logique de se tourner vers l’avenir en mettant l’accent vers la jeunesse. Mais pour y parvenir, ça prend un plan, et je n’en vois pas chez les Giants. Ça sent l’improvisation à plein nez. Et ce qui rend la chose encore plus ridicule, c’est qu’on envoie sur les lignes de côté « Monsieur Giant » incarné, un joueur qui a le logo de l’équipe tatoué sur le cœur, et qui a aligné 210 départs de suite depuis 2004, au profit de Geno Smith.

À 27 ans, celui-ci a déjà bénéficié de plusieurs chances de s’établir dans la NFL, avec l’autre équipe de New York. En 30 départs, il compte 28 passes de touché, a été victime de 36 interceptions et commis 16 échappés. A-t-on vraiment besoin de l’évaluer pour savoir ce qu’il peut apporter au jeu aérien? La seule chose qu’il peut apporter, c’est une mobilité plus adéquate que Manning derrière une ligne offensive qui en arrache. Mais si on me dit que Geno Smith est l’avenir des Giants à l’attaque, j’ai envie de répondre que c’est l’équivalent de dire qu’il n’y a pas d’avenir pour cette attaque!

L’autre candidat à remplacer Manning est Davis Webb, une recrue que l’équipe a sélectionnée au troisième tour du dernier repêchage. On parle ici d’un jeune joueur qui n’a bénéficié d’aucune répétition ou presque avec la première unité offensive depuis qu’il s’est joint à l’organisation. En quoi est-ce une bonne idée de l’envoyer à l’abattoir avec quelques semaines à faire à la saison? De lui faire lancer le ballon à un groupe de receveurs auquel il manque plusieurs partants, et ce derrière une ligne fragile, est-ce vraiment de faire une faveur à un jeune quart?

Pour être le quart partant de son équipe pendant 210 matchs consécutifs à travers les hauts et les bas, et deux fois champion du Super Bowl, il faut être fort physiquement et psychologiquement. Encore plus lorsqu’on œuvre dans un marché comme celui de New York, dans lequel les critiques fusent de toutes parts lorsque les choses vont mal. Ça prend un compétiteur né, et c’est à cet égard que McAdoo et le directeur général Jerry Reese ont manqué de jugement en n’anticipant pas ce qui découlerait de leur décision. Je ne serais d’ailleurs pas étonné que ces deux-là soient sur un siège éjectable à l’approche de la saison morte...

On aurait proposé à Manning de continuer de débuter les matchs, mais de céder sa place ici et là durant les matchs à Smith et à Webb. Le vétéran a refusé ce compromis, et c’est compréhensible. Ç’aurait été une manière détournée de le laisser poursuivre sa séquence de départs, mais ç’aurait été de la fraude.

D'autres clubs ont bien préparé le terrain

Quelques équipes ont été chanceuses par le passé et ont réussi une transition sans tracas entre deux quarts-arrières de concession. À chaque fois, il y avait un plan. On peut penser aux 49ers de San Francisco qui ont pu remplacer le grand Joe Montana par Steve Young après que celui-ci ait été préparé au mandat qu’on lui confierait. Même chose avec les Packers de Green Bay, qui ont gardé Brett Favre jusqu’en 2007, tout en préparant la suite des choses en réclamant Aaron Rodgers au premier tour du repêchage de 2005.

Favre était mécontent de devoir quitter Green Bay car il se savait encore capable de rendre de fiers services à une équipe, la preuve étant qu’il a poursuivi sa carrière avec les Vikings du Minnesota et les Jets. Mais au moins, les Packers avaient bien mis la table pour que Rodgers prenne sa place. Ce n’est pas arrivé subitement.

Dans un certain sens, les Colts d’Indianapolis ont fait la même chose en 2012 avec Peyton Manning, le frère d’Eli. Après que Peyton ait raté la saison 2011 en raison d’une opération au cou, les Colts ont eu le loisir de parler au premier rang, et ils se sont tournés vers Andrew Luck. C’est un cas auquel on assiste rarement, mais on voyait que ce n’était pas improvisé.

Bref, c’est une immense tache au dossier des Giants de New York, une organisation qui normalement fait les choses avec beaucoup de classe. Eli Manning méritait de terminer la saison en tant que quart-arrière partant, ça ne fait pas le moindre doute.

La seule explication plausible qu’il reste est à mon avis la théorie du complot. Avec leur position au classement, les Giants ont-ils voulu s’assurer de connaître le moins de succès possible durant les cinq dernières semaines afin de protéger leur choix au repêchage? Ce serait de l’auto-sabotage, mais c’est une tactique qui a déjà été utilisée par le passé. Peut-être est-ce ainsi que l’équipe arrivera à mettre la main sur son quart du futur, au printemps prochain? Seul le temps nous le dira!

* propos recueillis par Maxime Desroches