Quand le Canadien a quitté le vieux Forum le 11 mars 1996, c’est Pierre Turgeon, le capitaine de l’époque qui a été le dernier joueur à saisir le flambeau dans un geste symbolique qui tournait la page sur des décennies de gloire et de tradition. Auparavant, Émile Bouchard l’avait donné à Maurice Richard qui l’avait à son tour transmis à Jean Béliveau et la succession s’est ainsi poursuivie en passant par les mains d’Henri Richard, Yvan Cournoyer, Serge Savard, Bob Gainey et Guy Carbonneau.

Guy Carbonneau, Guy Lafleur, Jean Béliveau, Maurice Richard et Pierre TurgeonJ’étais là pour cette partie historique et aujourd’hui, j’en ai encore des frissons en y repensant. Imaginez Pierre Turgeon! À une époque où l’improvisation régnait à Montréal, l’attaquant de Rouyn-Noranda se retrouvait avec des responsabilités inimaginables et la pression de succéder à ces immortels du hockey, capitaines de la Sainte-Flanelle avant lui.

« Cette cérémonie-là, c’est certainement une des plus belles choses que j’ai vécues dans toute ma vie », se souvient Turgeon, rejoint chez lui au Colorado. Pour l’aider dans cette tâche aussi prestigieuse que difficile, Réjean Houle avait eu l’idée géniale de planifier une rencontre avec Jean Béliveau, le plus grand capitaine de l’histoire du club. « J’étais réellement très impressionné de me retrouver au restaurant pour partager un repas en compagnie de monsieur Béliveau. Ça fait presque vingt ans mais je me rappelle que j’avais beaucoup de questions pour lui. Ses conseils avaient étés très utiles et en sortant de là, j’avais téléphoné à mon épouse Élisabeth pour lui demander d’aller m’acheter son livre le plus tôt possible! »

Comme toutes les personnes qui ont eu le privilège de côtoyer monsieur Béliveau, Pierre Turgeon a été bouleversé lorsqu’il a appris la triste nouvelle mercredi matin.

« Je ne savais pas que monsieur Béliveau était malade. C’est une perte énorme pour le Canadien et le monde du hockey. J’ai été chanceux car j’ai pu rencontrer monsieur Béliveau et Maurice Richard à quelques reprises quand j’ai joué pour le Canadien. Ils étaient différents mais en même temps, ils avaient beaucoup de points en commun dans le sens qu’ils n’avaient pas besoin parler beaucoup pour faire sentir leur présence, ajoute-t-il. C’étaient des hommes calmes et pausés. Les deux avaient énormément de prestance, beaucoup de classe et des réflexions toujours pleines de sens. Ce sont certainement les deux personnes qui m’ont le plus impressionné au hockey. »

Turgeon n’aura été capitaine que quelques mois seulement. Si la soirée du 11 mars demeure un souvenir impérissable, le reste de son règne aura été marqué par l’instabilité et la tourmente en raison d’une série de mauvaises décisions.

« J’étais très fier d’être le capitaine du Canadien mais en même temps, je n’ai pas été vraiment en mesure de l’apprécier. Il s’est passé beaucoup de choses en même temps. Serge Savard et Jacques Demers ont été congédiés, rappelle-t-il. Patrick Roy a été échangé et j’étais très proche de lui. On a fermé le Forum et déménagé au Centre Molson. C’était difficile aussi d’être capitaine car je n’étais pas souvent d’accord avec l’entraîneur (Mario Tremblay), autant sa façon de mener l’équipe que dans sa philosophie de coaching. Chaque fois qu’on prenait l’avance dans un match, il fallait arrêter de se porter à l’attaque et fermer le jeu. Personnellement, je n’ai jamais cru que c’est comme ça qu’il fallait penser. Et à 27 ans, il voulait me faire jouer sur un quatrième trio. Je n’avais plus le choix de demander à partir », conclut l'ancien capitaine du Tricolore qui a néanmoins amassé 107 points en 89 parties sous le règne de Tremblay.