C'était en début de soirée, mardi. J'ai reçu ce très bref texto de Hélène Béliveau. « Sur la morphine depuis deux jours. Moment très difficile pour la famille. »

C'était la confirmation que le Grand Jean était arrivé à la fin de son magnifique parcours. Une route sinueuse parsemée de déceptions passagères, mais de plusieurs moments de gloire vécus avec dignité et humilité.

J'ai attendu une couple d'heures avant de lui donner un coup de fil : « Ça ne va vraiment pas bien, n'est-ce pas », ai-je demandé à Hélène tout en connaissant déjà la réponse.

« Il est mort il y a deux minutes », a-t-elle rétorqué. Il était 22 h 25, je crois. Hélène est une femme à l'image de son père : droite, calme, forte, pas très démonstrative. Elle était dévastée, d'une infinie tristesse, mais très en contrôle comme elle l'est toujours, peu importe les circonstances.

L'ordre de Hélène était clair : l'annonce du décès de son père était une responsabilité qui revenait à la direction du Canadien.

Pas le genre de scoop rêvé

Jean BéliveauJ'avais avisé RDS de la situation à la fin août alors qu'on sentait la fin toute proche pour lui à ce moment-là. Même les médecins se disaient incapables de prédire s'il serait toujours là le jour de son anniversaire, le 31. Je voulais que le Réseau des sports se prépare à lui rendre un hommage approprié, le moment venu.

J'avais été soulagé d'apprendre que personne n'irait en ondes avec le moindre bulletin de santé alarmiste sur Béliveau, ce qui n'aurait fait que créer un émoi dans le public et obligé la famille à se prononcer son état. C'était clair que RDS ne bousculerait pas les choses dans le but d'obtenir le scoop sur la mort de Jean Béliveau. Ce genre de primeur sur l'ex-capitaine, on n'y tenait pas vraiment.

Mardi soir, quand l'illustre personnage nous a quittés, on a tous mis des gants blancs pour traiter cette nouvelle. Houle, dont le timbre de voix était triste et grave au bout du fil, se devait d'abord d'aviser Geoff Molson de la triste tournure des événements. Il lui fallait ensuite prévenir Donald Beauchamp dont le communiqué officiel était rédigé depuis longtemps.

Le respect des gens et des choses, c'est souvent Béliveau lui-même qui nous l'a enseigné durant sa présence d'une cinquantaine d'années dans notre univers sportif. Il l'a commandé par son attitude et nous l'a transmis par un comportement absolument sans reproche.

Il faut s'attendre à ce que le Canadien offre à sa famille un hommage très particulier avant le match contre les Canucks de Vancouver, mardi, et lui organise le lendemain des funérailles à la grandeur du personnage. La chapelle ardente de deux jours, qui permettra à des milliers d'admirateurs de défiler près de ses cendres dans une ambiance feutrée au Centre Bell, sera une dernière occasion de lui dire au revoir.

Quand on voit plus loin que son sport

Le disparu a reçu sa première paire de patins à l'âge de cinq ans, un cadeau de son père qui n'aurait jamais pu imaginer tout ce que son fils allait accomplir sur deux lames. Ses habiletés étaient si naturelles. Il avait un flair évident pour l'attaque, mais il pouvait se débrouiller dans les deux sens de la patinoire et dans le jeu robuste. Il est assez étonnant qu'il soit encore aujourd'hui, malgré sa réputation et ses allures constantes de gentilhomme, le huitième joueur le plus puni dans l'histoire du Canadien. Un leader naturel, il semblait né pour devenir un joueur de hockey.

Il pouvait jouer un match magistral, retourner au vestiaire, passer sous la douche et rentrer à la maison comme s'il venait de passer une simple journée au bureau. Il ne parlait pas plus fort dans la défaite que dans la victoire.

C'est fou ce qu'il a marqué les gens, au Québec et ailleurs. Un réputé journaliste américain l'a déjà comparé à Mickey Mantle et à Joe DiMaggio. « Quand il marche dans la rue, les femmes lui sourient, les hommes lui serrent la main et les enfants le suivent », a-t-il écrit.

Un jour qu'il voyageait en Europe avec sa famille, Béliveau s'était informé s'il pouvait assister à l'audience publique hebdomadaire du Pape Paul Vl. Quand ils se sont présentés sur les lieux, ils ont appris qu'ils auraient droit à une audience privée. Le Pape, leur a-t-on expliqué, désirait recevoir cet athlète qui avait consacré un temps précieux à des enfants dans le besoin.

Ce qu'il a été à l'extérieur de la patinoire, il le doit à son père dont il a retenu les judicieux conseils. Il a déjà raconté ce que Arthur Béliveau lui avait recommandé avant de quitter la maison familiale pour aller grandir sous d'autres cieux.

« Rien ne vient gratuitement dans la vie, lui avait-il dit. C'est le travail et la discipline qui vont faire de toi ce que tu vas devenir. La loyauté est aussi une forme de responsabilité. Ton nom pourrait devenir ton meilleur atout. »

Tout est là. « Ton nom pourrait devenir ton meilleur atout. » Il l'a été, effectivement.

Le conseil de Béliveau père ressemble sensiblement à la remarque que le regretté photographe Denis Brodeur, à l'emploi du Canadien durant plusieurs années, a servie à son fils Martin en s'inspirant de ses contacts fréquents avec le Grand Jean.

« Respecte les gens, respecte les médias », a été l'idée générale d'une recommandation faite à son garçon qui, assez étrangement, a des traits de ressemblance avec Béliveau. Même personnage distingué, même démarche droite, lente et fière. Même disponibilité envers les gens et les médias.

Il y a de ces athlètes adulés qui vont plus loin que leur sport. Ce sont généralement ceux dont on se souvient le plus longtemps.