MONTRÉAL - Porté jusqu’à Montréal par un vent de fraîcheur qu’il a lui-même su attiser avec sa bonhomie, son franc-parler et une attitude décontractée qui détonnait avec la rigidité de son prédécesseur Pierre Gauthier, Marc Bergevin est débarqué à Montréal comme un sauveur.

C’était le 2 mai 2012.

 

Huit ans plus tard, le vol du petit gars de Pointe-Saint-Charles à la tête du Canadien est secoué par des turbulences créées par des critiques de plus en plus soutenues et de plus en plus virulentes.

 

Quatre éliminations consécutives des séries éliminatoires – à moins que la LNH n’ouvre la porte au Tricolore lors de la reprise de la saison, si reprise il y a un jour – cinq exclusions en six ans et une élimination dès la première ronde lors de la seule participation sont venues à bout de la bonhomie dont profitait Bergevin hier encore.

 

Ou avant-hier...

 

Un plan aux allures de valse à trois temps entre la reconstruction, la rénovation et le nettoyage de son organisation, un plan qui tarde surtout à donner des résultats positifs est loin d’aider la cause d’un directeur général qui est maintenant tout aussi contesté que son prédécesseur. Que tous ses prédécesseurs.

 

L’une des plus sévères critiques avec laquelle Bergevin a dû composer au fil des dernières années est associée au fait qu’il ait refusé de dépenser pour améliorer son équipe.

 

Les millions de dollars étaient pourtant disponibles parce que le Canadien est l’une des organisations fortunées de la LNH. En prime, Bergevin avait, encore en 2019-2020, toute la marge nécessaire pour dépenser ces millions $ puisque le Canadien occupe le 26e rang de la LNH – selon les relevés des spécialistes du site CapFriendly.com – des équipes les plus chiches du circuit avec une masse salariale de plus de 4,5 millions $ sous la limite maximale de 81,5 millions $.

 

Mais attention : cette dernière critique pourrait rapidement se transformer en louange. Car avec l’incertitude qui prévaut autour de la LNH en raison de la paralysée attribuable à la Covid-19, les millions $ disponibles sous le plafond pourraient prendre beaucoup de valeur l’an prochain. Et lors des saisons qui suivront. Elles pourraient même se transformer en or.

 

Avec une perte potentielle de revenus de 1,1 milliard – si la LNH ne peut compléter la saison régulière ou tenir des séries éliminatoires, même abrégées – il est déjà acquis que les équipes seront condamnées à composer avec un plafond qui stagnera au cours des prochaines années.

 

Le nez dans le plafond, tu ne peux pas dépenser

 

Une telle stagnation, voire une légère hausse si la LNH et l’Association des joueurs (AJLNH) arrivent à s’entendre sur des paramètres permettant aux deux clans de surmonter les contrecoups d’une fin de saison annulée – serait néfaste pour bien des organisations.

 

À l’autre bout de la 401, les Maple Leafs de Toronto ont le nez écrasé contre le plafond. Ils n’ont pas un huard de marge de manœuvre. Sans la hausse annoncée lors de la dernière réunion des directeurs généraux en mars dernier – une fluctuation qui devait faire osciller le plafond entre 84 et 88,5 millions $ - Kyle Dubas devra jongler avec des contrats s’il espère pouvoir compter sur une formation de 23 joueurs l’an prochain.

 

Les Coyotes de l’Arizona sont dans le même bain. Six clubs ont moins de 100 000 $ de marge sous le plafond en ce moment et au total 16 ont moins d’un million $ de jeu.

 

Vrai que les Leafs, les Coyotes et les autres clubs qui sont serrés au point d’étouffer pourront larguer des joueurs au cours de la saison morte. Qu’ils pourront ouvrir la porte à des plus jeunes qui coûteront moins cher pour aider à boucler les fins de mois.

 

Mais bien qu’ils aient du sens sur le plan financier, ces remplacements en auront peut-être moins sur le plan hockey et coûteront des points au classement avec les conséquences que cela pourrait avoir sur les chances d’accéder aux séries.

 

Peut-on imaginer les Leafs rater les séries avec une liste de paie comme la leur? Si Dubas n’est pas en mesure d’offrir aux Matthews, Marner, Tavares et compagnie le soutien dont ils ont besoin en dépit tout leur talent, si le jeune d.-g. n’est pas en mesure d’améliorer sa défense devant Frederik Andersen, c’est pourtant ce qui pourrait leur arriver.

 

Domi devra attendre

 

Pendant ce temps à Montréal, Marc Bergevin pourra voir venir les coups.

 

Mieux, il pourra peut-être même utiliser la marge de manœuvre qu’il a protégée au cours des dernières années pour gérer une certaine croissance alors que plusieurs de ses homologues devront peut-être gérer une décroissance.

 

Du moins à court terme.

 

Car s’il est vrai que les Gallagher, Tatar, Danault et Petry écouleront l’an prochain la dernière année de leur contrat et qu’ils seront tous en mesure de réclamer de longues et lucratives ententes en raison de l’autonomie complète dont ils pourraient profiter, l’été prochain s’annonce calme pour le Tricolore.

 

Bon! Il faudra négocier avec Max Domi. Ce qui ne sera pas nécessairement facile. Ce qui aurait été certainement difficile l’été dernier après sa saison de 28 buts et 72 points appuyés par un différentiel de plus 20.

 

Mais après une deuxième année difficile, une saison marquée de quelques hauts, mais surtout de très longs passages à vide (17 buts et 44 points) Domi et son agent Pat Brisson pourront difficilement être aussi gourmands qu’ils l’espéraient.

 

Au lieu de faire sauter la banque avec un contrat à long terme, Domi pourrait devoir se contenter d’un « vulgaire » contrat de transition. Comme Victor Mete d’ailleurs.

 

Et si Domi tient à jouer du coude dans les négociations, son dossier pourrait se décider en arbitrage s’il décide d’y traîner le Canadien. Une option qui est souvent annonciatrice d’un divorce entre le joueur et son organisation.

 

Vers une autre offre hostile?

 

Marc Bergevin devra sans doute casser sa tirelire pour enfin trouver un auxiliaire capable de seconder Carey Price au lieu de faillir à la tâche lorsque vient le temps de donner un congé à la pierre d’assise de l’équipe.

 

C’est vrai.

 

Mais il lui restera assez d’économies pour sauter sur les occasions qui se présenteront à lui parce que d’autres clubs seront contraints à y aller de vente de feu.

 

Sans oublier la possibilité que le Canadien dépose encore l’été prochain une offre hostile à un joueur susceptible d’accélérer la rénovation du club ou d’y mettre un peu de couleurs. Ce qui serait bienvenu on en conviendra tous.

 

Quoi? Vous croyez qu’après avoir été passé dans la mitaine par les Hurricanes de la Caroline l’été dernier dans le dossier Sebastian Aho le Canadien se tiendra tranquille l’été prochain?

 

Pourquoi donc se priverait-il de cette option ?

 

Surtout dans un contexte où, contrairement aux Hurricanes l’an dernier, certaines équipes pourraient être incapables de répliquer à l’offre hostile sans mettre en péril l’équilibre salarial de leur équipe et le respect du plafond.

 

C’est un jeu risqué. C’est évident. Un jeu qui ne réussit pas souvent. C’est évident aussi. Mais avec des candidats comme Matthew Barzal chez les Islanders, Pierre-Luc Dubois, chez les Blue Jackets, ou Mikhail Sergachev, chez le Lightning, il y a des joueurs sur qui n’importe quel club serait grandement intéressé à miser s’il en avait la possibilité.

 

Et contrairement à la majorité des équipes qui n’ont pas cette possibilité parce qu’elles ont le nez accoté au plafond, le Canadien pourra se permettre d’au moins envisager ces possibilités.

 

Un luxe qu’il pourra se permettre parce que Marc Bergevin a su résister au chant de sirènes qui lui demandaient de profiter de l’argent et de l’espace qu’il avait à sa disposition au cours des deux, trois dernières années. De l’argent et de l’espace qu’il a préféré économiser au lieu de les gaspiller.

 

Pas question de prétendre qu’il sera facile, voire qu’il sera possible d’ajouter un tel joueur par le biais d’une offre hostile, d’une grosse transaction ou encore d’une embauche à fort prix d’un gros joueur autonome.

 

Mais s’il veut faire taire, ou au moins atténuer, les critiques qui le secouent et secouent son équipe, Marc Bergevin doit maintenant récolter le fruit de ses économies pour donner de vrais moyens à son équipe non seulement de se rendre en séries, mais d’avoir une chance réelle d’y avancer.