Le match de mardi soir à Calgary a opposé deux survivants derrière le banc, deux ardents combattants qui ont dû se battre pour faire leur place dans le métier difficile qu'ils ont choisi et qui ne peuvent se permettre le moindre relâchement pour la conserver.

Michel Therrien et Bob Hartley ne semblaient pas destinés à une carrière dans le hockey professionnel et encore moins dans la Ligue nationale. Employé de Bell Canada, Therrien faisait de la haute voltige dans les poteaux de téléphone avant d'en descendre pour entreprendre une carrière qui l'a mené deux fois derrière le banc du Canadien. Hartley fabriquait des pare-brise dans une usine de Hawkesbury avant d'en sortir définitivement pour devenir un coach de carrière.

Bob HartleyQui sait où Therrien et Hartley seraient aujourd'hui si les frères Morissette ne leur avaient pas tous les deux permis de se faire les dents comme entraîneurs en chef avec le Titan de Laval?

Leur parcours a été différent. Hartley aurait bien aimé diriger le Canadien, mais c'est Therrien qui a caressé ce rêve. Therrien aurait tout donné pour remporter la coupe Stanley, mais son ami Hartley a été le seul à pouvoir le faire.

Hartley a collectionné les championnats partout où il est passé : dans la Ligue junior majeur du Québec (Laval), dans la Ligue américaine (Hershey), dans la Ligue nationale (Colorado) et à Zurich, en Suisse. Therrien a un seul championnat en banque, mais il s'agit de la coupe Memorial avec les Prédateurs de Granby, le trophée le plus prestigieux du hockey junior qui a échappé à Hartley.

Néanmoins, malgré ses succès passés et le beau début de saison de ses Flames, Hartley écoule la dernière année de son contrat sans qu'on ait la moindre idée de ce que le président de l'équipe, Brian Burke, entend faire de ses services à long terme. Therrien, lui, écoule la première année d'un nouveau pacte sécurisant de quatre ans.

Malgré l'une des plus belles amitiés qui existent entre entraîneurs d'un sport professionnel, les deux hommes ne se font pas de quartiers. Ils n'y font jamais allusion, mais chacun des matchs qui les opposent n’est rien de moins qu'une petite guerre sur le plan personnel. Pourquoi croyez-vous que Therrien, qui n'aime pas utiliser Carey Price deux soirs de suite, a choisi Dustin Tokarski pour le match à Edmonton? Quand on va à la guerre, il est préférable d'y aller avec un général. Le choix de Price à Calgary lui a permis de commettre un vol de grand chemin. Therrien a quitté l'aréna avec le sourire pendant que Hartley rageait intérieurement dans son bureau. La loi du sport n'est pas toujours juste.

Ils ont bien mûri

Ils ont tous les deux beaucoup changé depuis le long purgatoire qui les a ramenés dans la Ligue nationale après le congédiement de Therrien par Pittsburgh et celui de Hartley par Atlanta. Ils ont eu pleinement le temps de réfléchir à leur style de coaching pendant qu'ils se demandaient s'ils obtiendraient une autre chance. Pour Hartley, le téléphone n'a pas sonné pendant quatre ans. Therrien, lui, a bénéficié d'une rencontre fructueuse avec Marc Bergevin après avoir été tenu à l'écart de la patinoire durant trois ans et demi.

Ils ont bien mûri. Le ton bourru et le style coup de poing sur la table qui les ont longtemps caractérisés sont chose du passé. Ils sont plus calmes et contrôlent mieux leurs émotions derrière le banc, comme s'ils voulaient profiter pleinement de la marque de confiance qu'on leur a accordée.

Qui sait s'il ne s'agit pas aussi d'une question de survie de leur part? Ils en sont tous les deux à leur troisième formation dans la Ligue nationale. On compte par dizaines les entraîneurs qui n'ont pas eu autant de chances durant leur carrière. Ils sont encore relativement jeunes (54 ans pour Hartley et 50 pour Therrien), mais c'est quand même un âge où les entraîneurs se présentent lentement de l'autre côté de la montagne.

Une chose est certaine, Therrien n'a jamais été aussi en contrôle de sa troupe. Depuis le début de la saison, il a pris plusieurs décisions heureuses qui ont joué un rôle pas négligeable dans certaines victoires-surprises de son équipe. Il profite d'une pleine latitude de son directeur général. Par contre, en prenant seul les décisions finales, il est aussi imputable des erreurs de calcul qui peuvent être commises.

Ça veut dire aussi que dès que les choses ne tournent pas rondement, les critiques se font entendre. Déjà, on met en question son énorme patience avec Rene Bourque qui, en dix matchs, n'a pas marqué plus de buts que Michaël Bournival qui n'a pas joué encore.

Mais les entraîneurs sont tous les mêmes. Il leur sera toujours plus facile de sévir contre les jeunes, tout en évitant, dans la mesure du possible, de toucher à un vétéran. Même si Therrien a cloué Lars Eller, un jeune vétéran, au banc durant ce match, les décisions sont généralement plus faciles à prendre quand on a la possibilité de jouer à la chaise musicale avec des recrues comme Beaulieu et Tinordi ou quand on peut sortir de la formation un plombier comme Dale Weise ou une verte recrue comme Jiri Sekac.

Mais tant que le Canadien continuera à causer des surprises, Therrien aura l'air de ce qu'il est : un très bon entraîneur. Mardi, il n'y a pas eu de gagnant en 65 minutes entre Hartley et Therrien. Ce sont les joueurs qui ont réglé ça en tirs de barrage. Le Canadien, qui n'a pas travaillé avec le même acharnement que les Flames, ne méritait pas de gagner, mais il possédait le meilleur gardien et un talent offensif supérieur pour la fusillade décisive.

C'est donc 1-0 pour Therrien dans cette confrontation où la fierté personnelle de chacun est un élément de motivation plus important qu'on peut l'imaginer pour ces deux talentueux élèves issus de l'école de la famille Morissette.

Therrien et Hartley remettent ça, dimanche, au Centre Bell.