MONTRÉAL-  Si on lui avait donné le choix, bien sûr que Frédéric Cloutier aurait changé de place avec Cam Talbot ou Calvin Pickard et serait accouru pour représenter le Canada au Championnat du monde de hockey.

Mais le gardien natif de Saint-Honoré, aussi confiant puisse-t-il être en ses moyens, a compris depuis un bon moment déjà que l’appel de la patrie ne viendrait probablement jamais. La mi-trentaine à l’horizon, un domicile fixe en Europe depuis près de dix ans, une carrière en marge des projecteurs. Aussi bien dire que ses chances étaient nulles.

Il n’avait donc aucune raison d’hésiter quand, après sa première saison en Finlande, il a reçu l’appel du sélectionneur Stefan Mair pour se joindre à l’équipe nationale de l’Italie. En fait, oui, il en avait une.

Il n’était pas citoyen italien.

« Je n’avais pas fait ma demande et je n’étais pas vraiment pressé de le faire, racontait Cloutier dans un récent entretien avec RDS. Je savais qu’ils avaient déjà un bon gardien avec Andreas Bernard, qui jouait dans la même ligue que moi, et je me disais que s’ils ne m’appelaient pas, je ne provoquerais rien. »     

Installé à Bolzano avec sa femme, une Italienne, et leur petite fille, Cloutier, qui peut s’exprimer en italien et en allemand, respectait tous les critères pour être officiellement adopté par l’Italie et ainsi devenir admissible à s’enrôler avec la squadra nationale. Mair connaissait bien le Québécois pour avoir dirigé contre lui à son arrivée en Europe et lui a dit qu’il s’occuperait de la paperasse si l’idée lui plaisait.    

Frédéric Cloutier« Normalement, je pense que ça aurait dû prendre un peu plus de temps, mais la Fédération a poussé. Je ne devrais peut-être pas dire ça, mais les Italiens ne sont pas toujours les plus travaillants! Les Italiens allemands, c’est une mentalité différente, mais quand les dossiers arrivent à Rome, souvent ça bloque là pour un bout. À moins que tu aies des contacts! Grâce à la Fédération, au lieu de prendre 18 mois, ça en a pris peut-être six. »  

Cloutier a reçu ses papiers en mars, un mois avant le début du Championnat du monde de division 1 du Groupe A. Il a donc pu s’envoler pour la Pologne avec ses nouveaux coéquipiers, un groupe négligé qui allait croiser le fer avec la Slovénie, l’Autriche, le Japon, la Corée et le pays hôte.

« Il y avait peut-être la moitié de l’équipe que je ne connaissais pas nécessairement, mais ça a quand même été facile de m’adapter parce que je parlais leurs langues, confie Cloutier, qui comptait parmi ses coéquipiers le Montréalais Giulio Scandella, frère du défenseur du Wild du Minnesota Marco Scandella. Les joueurs ont vite réalisé que je n’étais pas juste venu pour prendre une place. »

À Katowice, les Italiens ont surpris en gagnant trois de leurs cinq matchs. Cloutier a essuyé la défaite contre les Slovènes, éventuels champions du tournoi, avant de battre les Coréens avec une performance de 26 arrêts.

Avec une deuxième place au classement final, l’Italie a non seulement excédé les attentes, mais elle a potentiellement devancé l’atteinte de ses objectifs en conservant ses chances d’être promue dès l’an prochain au sein du groupe mondial.

« Ça devait être une année d’apprentissage pour donner de l’expérience aux jeunes. On m’avait averti dès le départ parce qu’on connaissait mon côté compétitif et on ne voulait pas que je quitte si ça n’allait pas à mon goût. Mais en fin de compte, on a fait de bonnes performances et on a surpris plus d’une personne. »

Grâce à la Coupe Spengler

Frédéric Cloutier a terminé sa carrière junior en 2001 au terme d’une saison au cours de laquelle il a compilé un dossier de 42-8-2 avec les Cataractes de Shawinigan. Avec en poche un contrat professionnel portant le sceau du Wild du Minnesota, il s’est ensuite embarqué dans une aventure de six ans qui l’a aussi transporté dans l’organisation des Islanders de New York et des Predators de Nashville.

En 2007, voyant qu’on commençait à lui favoriser des gardiens plus jeunes, il a pris la décision de s’exiler en Europe. Mais le fait qu’il avait terminé la saison précédente dans la United Hockey League (UHL) a refroidi les équipes des ligues plus reconnues. L’offre la plus intéressante qu’il a reçue est donc provenue de l’Italie.

« À mes premières années là-bas, la ligue était quand même assez bonne, elle rivalisait pas mal avec l’Autriche. Ce n’est plus le cas maintenant parce qu’il y a moins d’argent et on a baissé le nombre limite de joueurs importés à quatre. Quand je jouais, les équipes avaient le droit à dix. C’était une autre histoire. »

Frédéric CloutierEn 2010, Cloutier a reçu une invitation pour combler le poste de troisième gardien de l’équipe canadienne à la Coupe Spengler. C’est cette opportunité inattendue qui lui a déverrouillé les portes des circuits autrichien, allemand et finlandais.

« Je pense que ça a ouvert les yeux de certaines équipes. Le fait que Mark Messier m’ait appelé... elles ne comprenaient pas ça! »

En Finlande, Cloutier a découvert la meilleure ligue dans laquelle il lui a été donné de jouer. Il y a passé les deux dernières années, mais n’est pas certain d’y retourner. Le KooKoo Kouvola, son plus récent club, lui a proposé de devenir le mentor d’un jeune partenaire prometteur, un rôle qui ne l’intéresse pas pour l’instant. D’autres offres sont sur la table, mais le cerbère n’est pas pressé d’en choisir une.

Cloutier, dont la femme attend un deuxième enfant, reviendra donc bientôt au Québec avec comme seule certitude qu’il sera de retour en Italie en juillet pour prendre part à un camp d’entraînement de l’équipe nationale. Le prochain gros défi de la sélection sera de décrocher sa qualification pour les Jeux olympiques de 2018 à PyeongChang, en Corée.

« Ça ne sera pas facile, réalise Cloutier. On jouera trois matchs en cinq jours contre la Norvège, la France et le Kazakhstan. Je pense même que les joueurs de la LNH et de la KHL auront le droit d’y participer, alors le niveau va augmenter pour nous. Mais on verra bien ce qui va se passer. Si ça marche, tant mieux. Sinon, je pourrai dire que j’ai essayé! Il n’y a pas de honte à essayer. »