MONTRÉAL - Yanick Jean est sur la défensive. Ou peut-être est-ce sa vaste expérience à arpenter les couloirs des arénas de la LHJMQ qui lui a appris à se méfier d’un compliment.

Dans son rôle de directeur général des Saguenéens de Chicoutimi, Jean n’a pas chômé cette saison. Durant la fenêtre de transactions hivernale, il a fait du troc avec trois homologues pour drastiquement changer le visage de son équipe.

À Drummondville, il est allé chercher Joey Ratelle, un ailier gauche de 20 ans qui revendiquait 24 buts en 30 matchs. De Moncton, il a déraciné les jumeaux Kevin et Kelly Klima et à Val-d’Or, il a trouvé Olivier Galipeau, un pesant défenseur gaucher.

Le DG a ensuite réalisé sa plus grosse prise en convainquant German Rubtsov, un choix de première ronde des Flyers de Philadelphie, de quitter la KHL pour venir poursuivre son apprentissage au Québec. L’arrivée du jeune Russe mettait la touche finale à un impressionnant travail de métamorphose.

Mais quand on lui demande ce qui l’a motivé à être si agressif sur le marché des transferts, Jean se braque. Le terme choisi ne semble pas faire son affaire.

« Agressif? On n’a pas l’impression d’avoir hypothéqué le futur. Ça, c’est la première des choses », répond-il, comme pour se protéger du pot qui vient souvent après les fleurs.

Jean explique que son plan avait été mis en branle un an plus tôt quand il avait fait le plein de choix au repêchage en sacrifiant les vétérans Jonathan Bourcier, Garrett Johnston et Gabryel Paquin-Boudreau. « On avait mis des choix en banque justement pour cette période de transactions, pour pouvoir entourer les Nicolas Roy, les Frédéric Allard et les Julio Billia qui en sont à leurs derniers milles avec l’équipe », raisonne-t-il.

On ne fait pas les manchettes en hiver sans devoir livrer des résultats au printemps. Ça, Louis Robitaille l’a compris et c’est cette carte que l’entraîneur-chef des Tigres de Victoriaville a décidé de sortir de son jeu pour tenter de mettre la pression sur le clan adverse à l’aube du duel que son équipe livrera aux explosifs Saguenéens au premier tour des séries éliminatoires.

« C’est un club qui est bâti pour gagner, note le pilote recrue. On a tous vu les achats qu’ils ont faits cet hiver. Personne ne va là pour perdre, mais quand tu sacrifies des choix de première ronde et des jeunes espoirs de qualité, tu sais que tu es "all in". »

Jean, qui est aussi l’entraîneur des Saguenéens depuis trois ans, et Robitaille, qui en est à ses premières armes comme entraîneur-chef dans la LHJMQ, n’en sont pas à leur premier désaccord. Tout au long de la saison, les deux rivaux ont opposé leur philosophie et leur interprétation des propos de l’autre dans les pages sportives des journaux de leur région respective.

L’un des débats qui a alimenté le feu de cette rivalité naissante concerne le style de jeu soi-disant robuste préconisé par les Tigres. Jean, qui se vante d’avoir l’une des équipes les moins punies de la Ligue, le juge archaïque. Robitaille voit dans cette attaque beaucoup de fumée, mais pas de feu.

« Moi, je suis un gars de chiffres, dit-il en guise d’introduction à son argumentaire. Si tu regardes les matchs de suspension des deux équipes, les batailles, les minutes de punition, c’est pratiquement similaire. Il n’y aura pas d’histoire de "Mon équipe est plus disciplinée que la tienne..." »

« Je me fous de ce qu’il dit et je me fous de ce qu’il prétend, réplique Jean. Moi, je dis juste que notre club a encore une fois été l’une des équipes avec le moins de désavantages numériques dans la Ligue. La discipline fait partie de notre ADN. Lui, peu importe ce qu’il pense, ça ne change absolument rien pour moi. Qu’il dise qu’il y a une différence ou non, peu importe, je m’en fiche. Nous, on connaît nos valeurs et c’est avec ça qu’on va continuer de travailler en séries. »

« Yanick est un fin renard, il a vu neiger, ajoute Robitaille. On sait comment il est, on a averti nos joueurs. Il va se servir des médias pour passer ses messages. Il ne faut pas embarquer là-dedans. S’il veut jouer cette carte-là, c’est correct. Mais il ne faut pas que le monde tombe dans le piège et nous, on ne tombera pas dans le piège. »

Sur la glace

Les deux entraîneurs s’entendent sur une chose : la série entre les détenteurs des huitième et neuvième places au classement final de la saison régulière ne se décidera pas sur une joute verbale et chacun croit compter sur les joueurs qui sauront faire la différence.

À Victoriaville, les Tigres (35-25-6-2, 78 points) ont été constants dans leur inconstance dans le dernier mois de la saison, mais ont su boucler leur calendrier avec deux grosses victoires contre Val-d’Or et Rouyn-Noranda.

« Les gens regardent les résultats, mais dans nos dix ou douze derniers matchs, j’adore la façon dont on se comporte, assure Robitaille. On sent l’équipe unie, on la sent soudée. On joue bien défensivement et on fait beaucoup de bonnes choses. »

Robitaille devra souhaiter le réveil de quelques-uns de ses gros canons. Si les vétérans Alexandre Goulet et James Phelan ont bien conclu la saison régulière, Ivan Kosorenkov (cinq points en 13 matchs) et Pascal Laberge (un but en 7 matchs) ont connu un dernier droit plus tranquille.

« Ils sont fin prêts, rassure Robitaille. C’est vrai que certains ont peut-être été un peu lents à partir en mars, mais j’ai adoré comment ils ont terminé le mois. On entre en séries en pleine confiance. »

À Chicoutimi, Jean estime que ses Sags (38-25-3-2, 81 points) ont eu besoin d’un mois pour accorder leurs instruments après l’intense séance de magasinage des Fêtes.

« On avait des gros pas à faire avec les changements qu’on avait effectués. Il ne faut pas oublier que notre réalité est différente avec les dimensions de notre patinoire. Mais la chimie a opéré immédiatement dans le vestiaire et sur la glace, on n’a pas arrêté de s’améliorer. »

Depuis le 18 décembre, date de l’arrivée des frères Klima, les Saguenéens montrent une fiche de 22-11-2. Et selon les données recueillies par le collègue Stéphane Leroux, Chicoutimi n’a toujours pas perdu en temps réglementaire (10-0-1) depuis que Jean a décidé de réunir ses trois « R » (Rubtsov, Roy et Ratelle) sur un même trio.

Rubtsov n’a pas joué depuis le 4 mars. On le dit blessé au haut du corps et Jean n’est pas intéressé à en dire plus sur les chances de le voir dans uniforme pour le début de la série.

« On verra son état dans quelques jours. Mais s’il est dans l’alignement, c’est sûr qu’ils vont jouer ensemble », promet toutefois l’entraîneur, cachottier.

« On a un plan en tête, promet Robitaille. On connaît la force de frappe de ce trio et il va falloir rester disciplinés. On a une identité qu’on ne changera pas. On est une équipe qui joue avec intensité, mais on veut rester loin du banc des punitions parce qu’ils ont un très bon jeu de puissance. »

Robitaille sait qu’il n’est pas au bout de ses peines. Il voit les Klima sur le deuxième trio, il voit le vétéran Antoine Marcoux sur le troisième, il voit la prometteuse recrue Samuel Houde sur le quatrième. La profondeur des Saguenéens, celle que Yanick Jean convoitait il y a quelques mois, ne lui échappe pas.

« On s’en va là-bas dans le rôle de négligés, la pression est de leur côté, conclut Robitaille, qui connaît ses classiques. On ne s’en fait pas avec ce que les pseudo-experts vont dire. On va être prêts et on va donner la meilleure opposition qu’on peut aux Saguenéens de Chicoutimi. Le résultat, on s’en reparlera à la fin de la série. »