MONTRÉAL – Agent de joueur depuis plus de 30 ans, Bob Perno ne croit pas que l’attitude agressive de Jonathan Drouin et de son conseiller Allan Walsh dans le différend qui les oppose à l’organisation du Lightning de Tampa Bay fera avancer la cause du jeune joueur de 20 ans.

« Moi, je pense qu’ils se tirent dans le pied », a candidement avoué le complice professionnel de Don Meehan au sein de la firme Newport Sports Management dans une entrevue à RDS jeudi.

« L’avenir nous le dira, mais un move comme celui-là, ça peut te sauter dans la face, prévient M. Perno. Ça arrive qu’on voit un joueur être échangé une semaine après parce que l’organisation veut s’en débarrasser. Mais ça n’arrive vraiment pas souvent et je ne pense pas que ça va fonctionner avec un joueur de la qualité de Jonathan Drouin. »

Rappelons les faits. Le 3 janvier, moins de 24 heures après que la direction du Lightning eût décidé de céder Drouin à son club-école de la Ligue américaine, Walsh a effectué une sortie publique pour dévoiler qu’il avait formellement demandé au directeur général Steve Yzerman d’échanger son client. Le 20 janvier, soit un peu plus de deux semaines après l’étalage du dossier sur la place publique, Drouin a refusé de se présenter à un match du Crunch de Syracuse. Aussitôt suspendu par le Lightning, il est revenu au Québec et attend le dénouement de la saga. Walsh, lui, en a remis en déclarant que la relation entre Drouin et l’équipe qui l’avait repêché en première ronde en 2013 était maintenant brisée de manière irréversible.

En décidant de maintenir la ligne dure dans ce dossier, Walsh manie une arme à deux tranchants. Lorsqu’il se retrouve avec le canon d’un fusil pointé sur la tempe, un directeur général peut réagir de deux façons. La première, c’est d’obtempérer au plus vite en se disant que le jeu n’en vaut de toute façon pas la chandelle. L’autre, c’est de rester bien assis sur ses positions et d’éviter de céder à la panique.

« Dans le cas de Drouin, je ne pense pas que ça va marcher parce que le joueur est très jeune et qu’il a quand même un beau potentiel. Je ne pense pas qu’un club va simplement s’en débarrasser pour faire disparaître le problème », devine Bob Perno.

« Ce qui se passe présentement, ce n’est pas bon pour la réputation du jeune, ce n’est certainement pas bon pour la réputation de l’agent et ce n’est pas bon pour la réputation de tous les autres agents. Ça nous donne un mauvais nom. Un agent devrait être là pour régler des problèmes et je ne pense pas que c’est la façon d’en régler. L’intimidation, ça ne donne absolument rien. Ça ne fait qu’enflammer la situation », croit celui dont la compagnie protège les intérêts d’environ 130 joueurs de la Ligue nationale.

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Un joueur qui exige une transaction n’a rien d’une anomalie dans la réalité contemporaine du sport professionnel. Plutôt cette saison, le cas de Travis Hamonic, des Islanders de New York, en est un autre qui a été dévoilé au grand jour. Perno estime qu’il reçoit deux ou trois demandes par année de clients qui désirent un changement de décor. Mais notre homme est de la vieille école. Il ne croit pas que de telles discussions devraient être ébruitées et encore moins qu’un joueur peut obtenir un avantage quelconque en mettant des menaces à exécution.

« Il y a d’autres façons de régler le problème et la meilleure, selon moi, c’est de se rapporter dans les mineures. Je sais que le joueur n’est pas content, mais il va brûler la ligue et ça, ça va accélérer un échange.  Le directeur général va avoir ce qu’il veut en retour – tant mieux pour lui – et les autres clubs vont vouloir aller te chercher. Mais il n’y a pas beaucoup de clubs qui vont vouloir de toi quand tu es chez vous en train de couper le gazon. »

Les agents effectuent leur travail dans un milieu très compétitif où d’importantes sommes d’argent sont en jeu. Malgré tout, Bob Perno croit que le côté humain doit encore primer dans cette folie motivée par l’appât du gain.

« Quand tu en donnes un peu, tu peux recevoir beaucoup. Mais quand tu n’en donnes pas, c’est bien rare que tu vas être gagnant dans l’échange », estime Perno, inspiré par une vieille anecdote tirée de négociations avec Serge Savard.

« C’était le temps de renouveler le contrat de Benoît Brunet et j’avais dit à Serge le montant qu’on voulait obtenir. Il m’avait dit : "Non, c’est non! Tu prends ça ou il reste chez lui". J’avais fait comprendre la situation à Ben et je lui avais dit qu’avec un contrat d’un an, c’était à lui de prouver qu’il valait plus. Il avait connu une bonne saison et l’année suivante, j’étais entré dans le bureau de Serge pour renégocier. Il m’avait dit : "Bob, je me souviens de l’année passée. Tu n’avais pas fait ton fin-fin, tu m’avais respecté et je l’ai apprécié. Combien tu veux?" Je lui ai donné mon chiffre et il m’a donné un peu plus en me disant qu’il m’en devait une. »

Yzerman : honnête, propre et compétitif

Quand Bob Perno a commencé sa carrière, Steve Yzerman a été l’un de ses premiers clients. Aujourd’hui, l’agent décrit l’ancien capitaine des Red Wings de Detroit comme « une maudite bonne personne » qui est capable de mettre de l’eau dans son vin.

Yzerman n'est pas pressé

« Il n’est pas un DG rancunier ou têtu. Il y en a une couple avec qui c’est bien difficile de parler. Glen Sather en est un. Phil Esposito, dans le temps, c’était bien difficile de dealer avec lui. Des gros égos, énormes. C’était leur façon de faire et rien d’autre. Mais Steve n’est pas comme ça. C’est facile de lui parler, il est très raisonnable. Comme à l’époque où il jouait, c’est un gars honnête et propre. Mais c’est aussi un compétiteur né qui va faire ce qui est le mieux pour son équipe. Il ne se laissera pas intimider par qui que ce soit. »  

Perno ne croit pas qu’Yzerman sera tenté de laisser Drouin moisir sur une tablette simplement pour lui servir une leçon et faire regretter à Allan Walsh d’avoir voulu jouer au plus fort.

« Je ne pense pas que Steve est le genre de personne qui va tenter de se venger. Mais il a une bonne mémoire. Et dans notre game, il y a des petites faveurs qui se donnent... Peut-être que ce n’est pas le bon mot, mais quand tu agis en professionnel, c’est apprécié. Les gens s’en souviennent et ça peut te sourire dans le futur. »

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