Liste des meilleurs espoirs en prévision du repêchage :
 

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MONTRÉAL – L’appel arrive en provenance du Minnesota. Todd Woodcroft, l’entraîneur-chef de l’équipe masculine de hockey de l’Université du Vermont, nous explique qu’il s’y trouve dans le cadre d’un voyage de recrutement.

« Je cherche des joueurs qui pourraient nous aider d’ici deux, trois ans. Ce qui est drôle, quand on y pense, c’est qu’ils sont à peine plus jeune que Dovar », lâche-t-il en guise d’introduction parfaite à la discussion qui suivra.

Woodcroft fait référence à Dovar Tinling, un jeune attaquant qu’il a dirigé l’hiver dernier lors de sa première saison à la barre des Catamounts. Tinling est né à Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal. Il s’est développé au sein de l’Association de hockey mineur du Lac-St-Louis jusqu’au niveau Midget AAA et est allé jouer une saison de transition dans un circuit junior A de l’Ontario.

Au premier coup d’œil, son parcours ressemble à celui de tous les jeunes Québécois qui décident d’emprunter la voie des universités américaines. Sauf qu’il ne l’est pas. Si on calcule bien, on comprend que Tinling a brûlé une étape dans sa progression. Il n’avait en effet que 17 ans quand il a donné ses premiers coups de patins à Burlington, l’hiver dernier, ce qui faisait de lui le plus jeune joueur parmi toutes les équipes de Division 1 de la NCAA. 

La décision de quitter prématurément les rangs juniors recelait de grands enjeux pour Tinling, qui était déjà considéré comme un espoir en vue du repêchage de la Ligue nationale en 2021. À quelques jours de l’encan, son nom apparaît d’ailleurs au 84e rang du classement final des meilleurs patineurs nord-américains compilé par la Centrale de recrutement de la LNH.

L’approche plus conventionnelle aurait été d’aller passer une saison en USHL, le plus important circuit junior aux États-Unis. Tinling, qui avait été recruté par les Buccaneers de Des Moines, y aurait probablement compilé de rutilantes statistiques. Son dossier de candidature pour les équipes de la LNH s’en serait logiquement retrouvé bonifié.

 « Mais Dovar a un plan à long terme. Il ne s’en fait pas avec le rang auquel il sera repêché », défend son entraîneur.  

En entrevue, Tinling apparaît comme un jeune homme mature, confiant, sûr de lui. Woodcroft, qui a travaillé pendant vingt ans dans la LNH et sur la scène internationale avant d’accepter le poste au Vermont, compare son attitude à celle d’un jeune Gabriel Landeskog, qui a été pendant un temps le plus jeune capitaine de l’histoire de la LNH. Mais Tinling admet que son plan à long terme a presque pris le bord.

Un peu de contexte : le programme de hockey masculin de l’Université du Vermont a connu de meilleurs jours. Il n’a compilé que deux saisons gagnantes lors des douze dernières années. Dans les trois saisons précédant l’arrivée de Tinling, les Catamounts n’avaient gagné que 13 matchs sur une possibilité de 48. Ça explique sans doute en bonne partie pourquoi il y avait une place pour un jeune de 17 ans dans l’alignement cette année. Ça laissait aussi présager une immersion difficile pour celui-ci.

Pour son premier week-end de la saison, le Vermont a joué deux matchs contre l’Université du Massachusetts. Les éventuels vainqueurs du championnat national étaient bien rodés avec déjà six matchs au compteur. Ça ne s’est pas bien passé, au point où Tinling, malgré toutes les précautions prises par ses entraîneurs pour faciliter son intégration, s’est demandé ce qu’il pouvait bien faire là.

« Mentalement, ça a été confrontant. J’ai douté de moi. Mais j’ai continué d’avancer. Après le match du dimanche, j’ai fait un bilan de ma fin de semaine et le lundi matin, j’étais passé à autre chose. J’ai parlé à mes parents, à mon conseiller et je me suis dit : "Je suis déjà là, c’est ma réalité. Si je commence à douter, ça peut juste être pire". À partir de ce moment, j’ai été capable de rebondir et d’apprécier la situation dans laquelle je me trouvais. »

La suite n’a pas nécessairement été rose. Tinling n’a jamais été promu sur le premier trio et n’a pas goûté aux unités spéciales. Pour la première fois de sa vie, il n’a pas été parmi les meneurs offensifs de son équipe. Même pas proche, en fait. Les Catamounts n’ont joué que douze matchs en raison des interruptions à son calendrier causées par la pandémie. Leur jeune recrue a marqué un but et obtenu une passe. Ça n’a pas été facile et personne, à l’extérieur de son propre vestiaire, ne s’est gêné pour le lui dire.

« Je ne dirais pas nécessairement que j’étais un joueur ciblé, mais j’en ai certainement vu et entendu de toutes les couleurs. Chaque fois que je me faisais frapper, je pouvais entendre le banc adverse s’exciter. Les gars qui me plaquaient ajoutaient toujours une petite remarque. Après les coups de sifflet, c’était la même chose. Mais au final, ils pouvaient bien dire ce qu’ils voulaient, ce n’est pas eux qui étaient dans mes souliers. J’avais confiance en mes habiletés et leurs mots ne m’affectaient pas trop. »    

Studieux

Cette grande confiance, Dovar Tinling dit la puiser dans une enfance qu’il estime « unique ».  

Il a entendu ses premières railleries avant même d’apprendre à freiner des deux côtés. Son nom inhabituel et la couleur de la peau de son père Adolphe, qui est de descendance jamaïcaine, lui a valu des moqueries tout au long de son parcours au hockey mineur. Une maladie affectant ses reins, pour laquelle il dit être en rémission depuis le début de l’adolescence, a été un autre obstacle sur son chemin.

« Et puis juste le fait d’être bon au hockey... Il y a toujours des gens qui regardent avec jalousie et qui ne peuvent s’empêcher des petits commentaires subtils. C’est un mélange de plein de choses », se remémore-t-il.

À sa deuxième année Bantam, Tinling a amassé 49 points en 25 matchs avec les Lions du Lac-St-Louis. La saison suivante, il a gradué avec le groupe Midget AAA dirigé par Jon Goyens. « C’est là que je suis devenu un joueur de hockey », dit-il avec le recul.

« Je pense que Dovar avait été couvé pas mal dans les niveaux inférieurs, suggère Goyens. Avec nous, ça avait commencé lentement. Il avait réalisé qu’on pratiquait avec beaucoup de tempo et de hargne. Notre environnement était très compétitif, c’est dans notre culture. Mais ça ne lui avait pas pris beaucoup de temps à s’ajuster, à peu près un mois peut-être, parce que c’est un gars brillant. »

Avec le temps, Goyens a aussi découvert un élève curieux et studieux, un étudiant modèle pour tout ce qui peut être accompli avec des patins aux pieds et une rondelle au bout du bâton.

« Je me rappelle de la fois où j’ai vraiment réalisé que Dovar Tinling était all in, raconte le coach. Il y avait un certain jeu individuel qu’on travaillait avec lui. Un jour, avant une pratique, il arrive et me dit : "Coach, tu sais le jeu dont tu m’as parlé, tu veux que je coupe vers le centre, que j’amène mon lancer au milieu de la glace? J’ai cherché quelque chose comme ça hier sur YouTube. J’y ai passé des heures." » Goyens a fini par comprendre que sa recrue était tombée sur le fameux but marqué par Keith Primeau en cinquième période de prolongation d’un match de séries, presque trois ans avant sa naissance.

À partir de ce moment, Tinling a commencé à observer des joueurs dont le style s’apparentait au sien. Goyens l’a dirigé vers Kyle Connor « pour la façon dont il patine avec la rondelle, qu’il est capable de lancer et de passer ». Pour sa façon d’aborder les mises en jeu et son jeu dans sa zone, il lui reconnaît aussi la même polyvalence qu’un Patrice Bergeron.

« Il était venu me voir pour parler de son rôle en avantage numérique, continue Goyens. Généralement, les gars de skills, ils veulent jouer le long de la bande, à la hauteur du cercle de mise en jeu. C’est cool, jouer là. Lui, il m’a dit qu’il voulait que je le mette plus proche du filet, "comme Crosby". Il savait qu’il pouvait jouer half wall et il voulait pratiquer autre chose. Il me disait qu’il voulait devenir meilleur autour du but adverse, même à 5-contre-5. »

Tinling a été le troisième meilleur pointeur de son équipe avec 42 points en seulement 29 matchs de saison cette année-là. En séries éliminatoires, il a fourni 16 points en 15 parties.

« On peut amener un cheval à la source, mais on ne peut pas le forcer à boire, illustre l’entraîneur. Dovar a vraiment pris ça en main. Éventuellement, il a pris le contrôle de notre première ligne et il a été une des grosses raisons pour lesquelles on s’est rendu jusqu’en finale cette année-là. »

L’apport de Babcock

Quand Tinling est arrivé au Vermont, Todd Woodcroft a vite réalisé que ses bonnes habitudes avaient fait le voyage.

Le personnel d’entraîneurs des Catamounts comptait sur l’expertise d’un certain Mike Babcock cette saison. Celui qui a dirigé plus de 1300 matchs dans la LNH et remporté une coupe Stanley offrait ses conseils sur une base volontaire. En personne ou sur vidéo, il observait chaque entraînement et chaque rencontre et partageait ensuite ses notes avec ses pairs.

Woodcroft se souvient d’un match où Tinling avait connu quelques ratés. Quand les séquences décortiquées par Babcock sont entrées sur son ordinateur, il a fait venir son jeune joueur dans son bureau pour un post mortem. 

« Alors je clique sur le premier fichier et l’écran est encore gelé quand Dovar m’interrompt. "Je sais exactement ce que tu vas me dire. J’aurais dû retenir mon gars le long de la bande ici." Je fais jouer la séquence et il avait absolument raison. On passe à la deuxième séquence : même chose. C’était comme s’il avait tout regardé avant moi. La lucidité avec laquelle il reconnaissait ses erreurs me donnait l’impression d’être avec un vétéran de dix saisons. Il est plus qu’une éponge. C’est un vrai nerd. »

Woodcroft, qui a passé quatre saisons derrière le banc des Jets de Winnipeg, compare cette obsession de Tinling pour les menus détails d’un match à celle qu’il a diagnostiquée jadis chez Mark Scheifele.

« Quand on demande aux gars quels joueurs ils tentent d’imiter, ils répondent toujours la même chose, tu sais? C’est McDavid, c’est Matthews. Dovar vous dirait qu’il aime regarde Alexandre Texier à Columbus. »

Woodcroft est aussi bien placé pour juger de la comparaison avec Kyle Connor proposée par Jon Goyens.

« Ça tient la route, à l’exception que Connor est extrêmement rapide. Dovar ne peut pas en dire autant. C’est le joueur que Dovar vise à devenir et peut-être qu’il y parviendra, mais si vous voulez le comparer avec un joueur des Jets, mon choix s’arrêterait davantage sur Paul Statsny. Dovar est un joueur cérébral. Alors que Connor peut accélérer le jeu, Dovar peut le ralentir, retenir la rondelle, observer, patienter et réfléchir non seulement au prochain jeu, mais à celui qui suivra. »

Pour mettre en perspective l’ampleur du défi que s’était lancé Tinling en précipitant son arrivée à l’université, Woodcroft aime dire qu’il jouait contre des gars qui paient aujourd’hui une hypothèque alors qu’il n’avait même pas encore l’âge de voir tous les films au cinéma. Tinling est conscient que les questions quant à sa décision persisteront tant qu’il ne les aura pas lui-même dissipées.

« C’est sûr que j’y ai repensé. Qu’est-ce qui serait arrivé si j’avais fait ceci ou cela? Mais au bout du compte, j’ai fait un choix et je l’assume. Si c’était à refaire, je ne changerais rien parce que rien ne dit que j’aurais appris à Des Moines les mêmes choses que j’ai apprises au Vermont. On peut regarder ça de tous les angles, mais je ne regrette rien. »

« Sa logique, c’était que s’il est assez chanceux pour jouer dans la LNH à 22 ou 23 ans, il devra affronter des gars dix ans plus vieux que lui, alors aussi bien commencer tôt, défend Woodcroft. Sa décision d’emprunter un parcours plus difficile est tout à son honneur. Il n’a même pas choisi la voie moyennement facile. Il a pris le plus dur des chemins. »