Tant Patrick Chan que Yuzuru Hanyu pouvaient écrire l’histoire aujourd’hui en devenant le premier médaillé d’or masculin pour son pays respectif. Il s’agissait de voir qui allait le mieux résister à la pression… Patinant devant Chan dans le programme libre, Hanyu a ouvert une porte suffisamment grande pour que le Canadien puisse l’emporter. Mais il était dit que personne ne serait parfait sur la glace de l’Iceberg en ce jour de la Saint-Valentin et Patrick n’a pu profiter de l’occasion offerte et a accroché l’argent autour de son cou.

Mais revenons sur le prélude au programme libre... le programme court qui qualifiait vingt-quatre patineurs pour la grande finale. Drames et surprises ont ponctué la soirée. D’abord Plyuchenko. Tellement attendu par le public, tellement applaudi lors de la finale par équipe. Mais l’âge et les blessures ont fini par le rattraper. Une blessure à l’entraînement a réveillé un dos fragilisé par une opération au bas du dos qui a laissé une cicatrice de huit centimètres. Lors de l’échauffement avant le court, on l’a vu grimacer en tentant un triple axel et s’arrêter après une deuxième tentative. Il dira plus tard qu’à ce moment, il ne sentait plus ses jambes. Il a donc déclaré forfait, la grande déception de ses fans et à la sienne propre.

Puis Jeremy Abbott à son tour a fait frémir l’amphithéâtre. Une vilaine chute sur le quadruple boucle l’a envoyé percuter la bande et il est resté étendu sur la glace d’interminables secondes, visiblement blessé. Puis il s’est relevé, et donnant une belle leçon de courage et de détermination, il a repris et terminé sa chorégraphie, réussissant tous ses sauts subséquents. La note était cependant lourde à payer et le champion américain venait d’être sorti de la course aux médailles. L’ovation debout qu’il a reçue aura peut-être mis un peu de baume sur ses blessures physiques et morales.

Puis, un record a été établi. Yuzuru Hanyu a réussi une performance impeccable, une coche au-dessus, on ne savait pas que c’était possible, de celle qui lui avait valu la première place au court par équipe! 101.45. Le plus haut pointage jamais donné à un programme court. 

Pas facile de suivre pour l’Espagnol Javier Fernandez, qui espérait devenir le premier représentant de son pays à remporter une médaille olympique dans sa discipline. Il a terminé à 15 points du meneur. Chan clôturait. Il se devait d’être parfait lui aussi. Il a fait une seule erreur, une sortie de triple axel un peu bousculée. Et c’est là que ça s’est joué. 11,49 pour le triple axel d’Hanyu, 7,50 pour celui de Chan. Ces quatre points d’écart allaient peser lourd dans la balance. 

Mais le feu d’artifice attendu au programme libre ne s’est pas produit. Est-ce qu’à l’instar de la piste au ski de fond, de la neige au combiné alpin, de la glace au skeleton, toutes affectées par la température clémente de ces jeux d’hiver, et qui ont eu des répercussions sur les performances des athlètes, la patinoire de l’iceberg a suivi par solidarité? Il n’y a eu aucune performance parfaite des hommes au libre. Tous se sont accrochés à un moment ou l’autre de leur performance.

Le dernier groupe retenait donc l’attention, là où normalement les médailles devaient se jouer. Et il y avait la possibilité de voir un podium entièrement auréolé du Canada… l’entraîneur de Yuzuru Hanyu et de Javier Fernandez étant Brian Orser, l’ancien médaillé d’argent olympique canadien.

Fernandez, troisième après le court, mais partageant l’espace d’un point avec trois autres patineurs, n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre. Il a bien débuté avec deux quadruples, s’est légèrement accroché au triple axel, puis a triplé son salchow, prévu pour le quadruple. Ce triple aura eu des répercussions insoupçonnées… Il avait un triple salchow de prévu plus loin, mais il est interdit de répéter un saut, à moins qu’il ne soit dans une combinaison. Et la combinaison n’a pas suivi. Un manque de vitesse fatal qui n’aura rapporté aucun point à Fernandez pour le saut, alors que s’il avait fait un double, moins payant, il aurait probablement eu ce qu’il fallait pour monter sur le podium. Triste, triste, triste. Mais comment penser à tous ces calculs quand on est en pleine chorégraphie? L’habitude vous me direz, mais permettez-moi de souligner que ce n’est pas évident.

Le duel pour l’or n’aura pas eu le panache qu’on attendait. Plutôt de voir deux patineurs qui montaient à l’attaque, on a vu deux hommes qui tentaient désespérément de survivre. Hanyu a tenté un quadruple salchow risqué en début de programme, risqué parce qu’il ne l’avait pas réussi avec constance durant la saison. Et c’est là que la porte pour Chan s’est ouverte avec fracas, sur la chute du Japonais qui y prenait un trois points de déduction. Nouvelle chute sur le triple flip, des approximations, des accrochages… Lui qui patinait sur un Roméo et Juliette fort à propos en ce jour de Saint-Valentin, est resté longuement en position sur la glace à la fin de sa performance, miné par la déception. Le sourire allait lui revenir un peu plus tard.

Pas de chute majeure pour Patrick Chan, mais des déductions ici et là qui allaient gruger l’avance potentielle que lui avait cédée Hanyu. Il a gardé cette élégance, cette grâce qui le caractérise sur les Quatre saisons de Vivaldi, mais lui aussi faisait du patin de rattrapage. Dans le « kiss and cry » il attendait l’impossible…qui n’est pas venu. Patrick Chan repartira donc avec deux médailles d’agent, en équipe et en simple. Ce n’était pas l’or attendu, mais il faut se garder de voir l’argent comme une défaite.
L’affaire du jour a été réussie par le Kazakh Denis Ten qui a remporté la médaille de bronze en sortant du groupe précédant celui de Chan, Hanyu et Fernandez. Et pour Brian Orser, il couronne un deuxième champion olympique dans son écurie, après Kim Yu-na en 2010.

On restera avec une impression d’inachevé sur cette compétition chez les hommes. La bataille espérée, avec des performances réussies, viendra peut-être aux mondiaux le mois prochain?