L’épreuve de bosses en ski acrobatique aux Jeux du Canada de Red Deer se déroulait à un endroit inédit. Non pas à flanc de montagne, mais plutôt dans le creux d’un canyon. Il fallait d’abord descendre dans les entrailles de la région pour pouvoir ensuite lever la tête vers le haut de la piste bosselée, magnifique chaos organisé pour pousser les athlètes à le maîtriser. Il faut être un peu fou pour s’y lancer, un peu inconscient et téméraire, et avoir ce sentiment d’invincibilité qui mêlé d’intrépidité forme un cocktail explosif.

« Avez-vous peur parfois? » ai-je demandé aux médaillés d’argent et de bronze de l’épreuve, les deux Québécois Olivier Lessard et Jean-Christophe Nadeau. « Toujours! » m’ont-ils répondu avec un bel ensemble. Les monstres qui se cachent derrière les bosses prennent plusieurs visages, les pièges sont nombreux et la hantise de la blessure qui les tiendrait à l’écart durant des semaines ou des mois tourbillonne avec le vent qui lève la neige autour d’eux.

Mais si à 15 ans ou 16 ans ils sont prêts à défier la montagne, à s’élancer comme des chevaliers sur le dos d’un dragon pour dompter la bête, c’est qu’ils ont été inspirés par d’autres fous magnifiques. Un Jean-Luc Brassard dont on célébrait cette semaine les 25 ans de sa descente inoubliable à Lillehammer, un Mikaël Kingsbury qui réécrit sans cesse les pages de records remplaçant un « boss » par un « roi », ou un Philippe Marquis qui était là, au bas de la pente, à jaser avec eux après avoir commenté leurs exploits quelques instants plus tôt.

Claudine Douville et Philippe MarquisPar un formidable concours de circonstances, Philippe disposait de quelques jours entre les championnats du monde et la prochaine étape en Coupe du monde au Japon, quelques jours pour se rapprocher des jeunes qui rêvent de suivre ses traces, quelques jours pour être à notre antenne pour partager sa passion avec les téléspectateurs. Et revenir sur ce que fut sa vie dans la dernière année.

Il y a eu d’abord la blessure tant redoutée par tous les sportifs, le ligament croisé antérieur qui cède un mois avant les Jeux olympiques. Puis vient le pari impossible d’être prêt à temps, un plan audacieux bâti autour d’un genou fragile qui le force, à deux semaines de la compétition, à ajuster son plan de match après un désaxé 720 raté à l’entraînement. La huitième position en ronde de qualification, qui lui ouvrait la porte de la finale, enlève un poids immense de ses épaules.  « On ne pouvait plus remettre en question ma présence là-bas, dit-il en se rappelant le soulagement ressenti. Dès lors, je savais que mon histoire avait le potentiel d’inspirer des gens. C’est devenu ma mission. »

À son retour au pays, tout s’est enchaîné très vite. À peine les valises posées et la tournée médiatique expédiée qu’il passait sous le bistouri. Les mois de récupération allaient lui permettre de penser à son avenir et de voir quelle forme il pourrait prendre. « Je ne voulais fermer aucune porte, raconte-t-il, garder toutes les éventualités ouvertes. Il y avait le camp d’entraînement de l’automne à Zermatt, un camp qui est devenu un objectif, tant pour tester mes capacités que par le plaisir que j’avais à y participer. Mais je n’y ai pas trouvé de réponse au sujet de mon avenir dans le ski de haut niveau. J’ai décidé d’oublier les premières étapes de la Coupe du monde et d’être patient. »

La patience aura payé. Jusqu’à l’amener, ajoutant une nouvelle composante de saut à chaque compétition, au Championnat du monde dans l’Utah où il a réussi une éclatante sixième place. « C’est là que j’ai décidé de terminer la saison, dit-il, avant de prendre ma retraite. Je savais que j’allais le faire pour les bonnes raisons : pour moi, pour les gens que j’y rencontre et ceux que j’inspire, pour les endroits que je visiterais de cette façon une dernière fois, et pour le formidable esprit d’équipe qui règne sur le circuit. Si j’avais coupé les ponts après ma blessure, j’en aurais gardé des regrets. Ç’aurait été comme si un grand pan de l’histoire de ma vie était resté sans conclusion. »

Philippe Marquis se retirera donc après le Japon et le Kazakhstan en espérant que son parcours semé d’embûches surmontées, saura inspirer les plus jeunes. « C’est le legs que je souhaite laisser », dit-il simplement. C’est là un legs essentiel. Les athlètes qui émergent ont besoin de modèles, ce qui se reflétait énormément dans les fiches biographiques qu’ils devaient remplir. Nombreux sont ceux qui citaient les Kingsbury, Marquis, Heil comme des modèles à suivre et les Jeux olympiques de Vancouver comme le moment déclencheur de leur passion.

La relève au Québec se porte bien. D’abord chez les garçons avec les deux médaillés cités en début d’article. Jean-Christophe Nadeau , parti premier, a même fait le meilleur pointage, jusqu’à ce qu’Olivier Lessard le déloge. « Partir premier met une pression supplémentaire », avouait-il, heureux de sa médaille, après la course. « Mais en même temps, il y a aussi quelques avantages. La piste n’a pas encore été skiée, les bosses sont intactes, et avec de la chance il y a même un peu de neige qui les recouvre encore. Les conditions sont alors idéales. »

Pour le médaillé d’argent Olivier Lessard, sa fierté découlait du fait que le niveau de compétition était très élevé. « Les gars qui étaient là, ce sont ceux qu’on croise dans les courses Nor-Am. Les meilleurs y étaient et on va les revoir d’ici la fin de la saison. Un résultat comme celui-ci donne confiance. J’ai eu le sentiment de maximiser le potentiel de ce que j’avais travaillé à l’entraînement. »

Chez les filles, même réussite pour le Québec. La médaillée d’argent, Sandrine Vaillancourt, transpirait le bonheur. « Au départ, je me disais "sois heureuse". J’avais un sourire grand comme ça en haut de la pente et je l’ai gardé tout au long du parcours. » Quant à Florence Delsame, médaillée de bronze, elle a un peu inquiété après une chute dans la première ronde de qualification qui lui a laissé le cou un peu raide. « Mais on m’a bien traitée et j’ai retrouvé ma souplesse. Je me suis bien sentie dans la descente. » Pour elle aussi cette médaille n’était que du bonheur.

L’avenir s’ouvre maintenant devant eux tous. Pour ces jeunes, la promesse d’horizons bosselés qui les mèneront toujours un peu plus loin, au gré de leurs réussites et de leurs envies, suivant les traces de ceux qui leur ont prouvé que les rêves peuvent se vivre dans la vie et pour Philippe, mille projets à réaliser qui tourneront toujours autour de ce qui aura été son moteur et sa passion depuis tant d’années, ce merveilleux ski acrobatique. Et nous aurons été les témoins privilégiés de son cheminement exceptionnel, comme nous applaudirons les autres au cours des prochaines années.