Le sort semblait en être jeté. La République Tchèque avait fait ce qu'il fallait, imposer un rythme de jeu, distribuer le ballon efficacement et surtout garder le contrôle d'une rencontre et d'une qualification qui semblait presque acquise à la mi-temps. Le but de Koller à la 34e minute, qui justifiait le choix de Karel Brückner de l'avoir choisi comme partant au détriment de Milan Baros pourtant bien en vue contre le Portugal, avait placé les Tchèques sur la bonne voie.

La seconde mi-temps semblait être le prolongement de la première. D'autant plus que Plasil, en marquant un très beau but juste après l'heure de jeu, mettait les Tchèques à l'abri… pensait-on. Trempés par une pluie qui tombait dru, les deux équipes paraissaient prendre part au deuxième acte d'une pièce dont la fin était déjà écrite. Mais c'était sans compter sur l'esprit de combativité de la Turquie, de ces ressources qu'elle va chercher au fond de l'âme de ses joueurs et qui, en 2002, l'auront portée jusqu'en troisième position de la Coupe du monde.

Ils n'avaient pas besoin de grand-chose, juste d'un petit rayon de soleil dans la grisaille de la journée. C'est Arda Turan qui le leur aura donné. À un quart d'heure de la fin, il marquait le but qui permettait à la Turquie d'espérer. Et là, les choses ont changé. L'équipe assiégée par les Tchèques remontait à l'abordage. La marée rouge déferlait sur le terrain, tout le monde voulait participer à la bataille. Kazim Kazim, dans sa précipitation, a perdu deux fois de suite un ballon prometteur. C'est alors qu'on a vu Nihat Kahveci, porteur du brassard de capitaine depuis la blessure d'Emre Belozoglu, prendre les choses en mains. Il a d'abord fait signe au fautif de se calmer, message qu'il a passé au reste de l'équipe. Le moment n'était plus à la précipitation, mais à l'attaque froide, implacable, dévastatrice.

Les Turcs flairaient une faiblesse chez l'adversaire, une fragilité qui n'y était pas un peu plus tôt. Le but avait ouvert une brèche dans la muraille et c'était par là qu'il fallait passer. Dans cette incertitude, dans ce frémissement, dans cette peur de perdre qui commençait à fleurir au fond des tripes. Nihat attendait l'occasion, comme le fauve qui guette sa proie. Et cette occasion se présente sous la forme d'un ballon glissant qui échappe à un Peter Cech impeccable jusque là, aux pieds d'un Ufjalusi tétanisé devant le but. Nihat n'a aucune pitié, il fonce et marque.

Le capitaine a réussit ce qu'il fallait. Montrer aux siens qu'ils n'étaient pas vaincus, qu'en y croyant tout pouvait encore arriver. Le match nul les amenait aux tirs aux buts. La victoire mettrait le dossier aux affaires classées. C'est l'option que Nihat a choisie. Deux minutes plus tard Capitaine Turquie remettait ça et l'incroyable se produisait. En quinze minutes les Turcs passaient d'éliminés à qualifiés, donnant une leçon de détermination et de combativité aux Tchèques qui semblaient avoir baissé les bras.

Pourtant, comme les grands héros, ils ont bien failli connaître aussi la chute. Le match s'est conclu dans le chaos le plus total, menant à l'expulsion du gardien Volkan Demirel, qui comme le brésilien d'origine Mehmet Aurelio, ne pourra pas participer au match quart de finale. Fébrile et volontaire, habillé à la hâte d'un maillot noir, Tuncay Sanli s'est retrouvé dans les buts en remplacement du gardien qui avait perdu la tête, essayant de garder la sienne froide.

Lorsque le coup de sifflet final a retenti, les Turcs ont enfin pu laisser éclater leur joie, respirer un grand coup et saluer les partisans bruyants qui les auront supportés jusqu'à la fin. Les Tchèques dévastés n'auront qu'eux-mêmes à blâmer. Laisser filer une avance de deux buts à quinze minutes de la fin, ça ne pardonne pas. Une fois l'euphorie retombée, la Turquie mesurera la perte de lson gardien et de son milieu de terrain qui viennent s'ajouter aux nombreux blessés déjà forfaits. Mais ça c'est pour plus tard. Pour l'instant, l'heure est à la fête, et c'est bien mérité.