Une grande carrière en rouge
Impact mardi, 17 oct. 2017. 15:49 jeudi, 12 déc. 2024. 22:57MONTRÉAL – Colin Miller avait pour ainsi dire les mains liées lorsqu’on lui a donné pour la première fois les rênes de l’équipe nationale canadienne.
Miller arrivait au sein du programme sur une base intérimaire à la suite du départ du sélectionneur Holger Osieck. Lorsqu’il est débarqué à Teplice, en République tchèque, pour un match amical contre la quatrième équipe au monde, il a hérité d’un groupe dont il n’avait eu aucun mot à dire sur la composition.
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L’élaboration du onze partant, par contre, relevait de sa juridiction et rapidement, une certitude s’est installée dans son plan de match : le petit nouveau en ferait partie.
Le petit nouveau, c’était Patrice Bernier.
« En temps normal, vous rencontrez vos joueurs quelques jours avant le match et lors des entraînements, vous voyez qui est dans une bonne forme, les qualités individuelles ressortent. Immédiatement, Patrice m’a tombé dans l’œil », se remémore Miller, qui est aujourd’hui entraîneur-chef du FC Edmonton.
« En plus, ceux, parmi mes adjoints, qui le connaissaient avaient tenu des propos très élogieux à son endroit et je savais qu’il jouait dans un championnat relevé. Pour moi, c’était un choix logique. Quand vous êtes le gars par intérim, vous n’avez rien à perdre. Je peux dire aujourd’hui que je suis fier de lui avoir donné sa première chance à l’international. »
Bernier, qui venait à peine de célébrer ses 24 ans, a fait ses débuts dans l’Unifolié dans le corridor droit d’un schéma tactique en 5-3-2. Pendant une demie complète, il a été confronté à Pavel Nedved, de la Juventus de Turin, qui allait remporter cette année-là le prestigieux Ballon d’Or. Le Canada a résisté jusqu’à la mi-temps, qu’il a atteinte avec un déficit de 0-1, avant de finalement s’incliner par un score logique de 5-1.
De ce match, Colin Miller retient bien plus que le pointage final. Il entend encore les huées des partisans locaux, frustrés par les succès des modestes visiteurs. Il n’a pas oublié les compliments de son homologue tchèque, impressionné par la pugnacité canadienne. L’aplomb démontré ce soir-là par Patrice Bernier n’est pas loin non plus dans ses souvenirs.
« Il était jeune, mais on voyait que ce n’était pas trop gros pour lui. À mes yeux, c’est un signe qu’il y a place au progrès. Dès ce moment, je savais qu’il allait devenir une présence forte au sein de l’équipe nationale », affirme Miller, un ancien défenseur lui-même convoqué 61 fois par la sélection canadienne entre 1983 et 1997.
Miller avait vu juste. En 2005, Bernier participe à sa première Gold Cup dans le XI type du sélectionneur Frank Yallop. Deux ans plus tard, il connaît selon ses propres dires ses meilleurs moments à l’échelle internationale quand le Canada s’incline devant les États-Unis en demi-finale de la même compétition. L’Unifolié compte à l’époque sur un milieu de terrain béton avec la présence de Julian De Guzman et Atiba Hutchinson, deux jeunes qui évoluent respectivement en Espagne et au Danemark, mais Bernier trouve le moyen de ressortir du lot.
« Il avait connu un tournoi fantastique, souligne le sélectionneur de l’époque, Stephen Hart. Je l’avais placé dans un rôle qui n’était pas le sien, soit sur l’aile droite, parce que je croyais qu’il était le seul qui avait la discipline requise pour nous apporter l’équilibre que nous recherchions. Ceux qui le connaissent bien ne seront pas surpris d’apprendre qu’il a non seulement accepté son sort sans rechigner, mais qu’il a excellé dans ses nouvelles responsabilités. »
À l’époque, Hart avait d’ailleurs insisté pour faire savoir à Bernier qu’il était à ses yeux le héros obscur de son effectif.
« Il n’était pas toujours le plus flamboyant, mais quand il quittait le terrain, les spectateurs attentifs, ceux qui s’y connaissent, savaient qu’il venait de livrer une performance dominante. Par contre, jamais je ne l’ai vu tenter d’attirer l’attention sur sa personne. Il ne cherchait pas les projecteurs ni l’approbation de quiconque à l’extérieur du vestiaire. »
Ce trait de caractère est corroboré par Colin Miller, qui l’avait déjà décelé en 2003. « Je ne veux manquer de respect à personne, mais on fait parfois affaire avec des joueurs qui n’hésiteraient pas à se manger s’ils étaient faits en chocolat. Ils s’aiment tellement! Mais Patrice faisait toujours ce qu’on lui demandait et il n’y avait jamais de problème. C’était un charme de travailler avec lui. »
Même si Bernier s’en allait sur ses 28 ans lors de la Gold Cup de 2007, Hart avait presque l’impression de s’adresser à un adjoint quand il engageait la conversation avec son jeune titulaire.
« J’ai toujours essayé d’encourager mes joueurs à s’impliquer dans les discussions internes, à donner leur avis sur ce que l’équipe voulait accomplir. Patrice n’a jamais eu peur de se faire entendre. Il voulait toujours parler de soccer, qu’on soit le long des lignes de touche après un entraînement, dans le lobby d’un hôtel ou sur le bord d’une piscine. Je n’ai jamais rencontré un pro de sa trempe. »
Bernier a été convoqué douze fois en équipe nationale dans les deux années suivantes et a joué chaque minute des quatre matchs que le Canada a disputés à la Gold Cup de 2009. Mais sa carrière internationale a commencé à emprunter une douce pente descendante après ce tournoi. Ignoré pour les premiers matchs amicaux de 2010, puis blessé pour la première partie de 2011, il n’était clairement plus dans les plans de sa nation quand Colin Miller s’est vu confier un autre mandat intérimaire à la Gold Cup de 2013.
Puis est arrivé dans le portrait l’Espagnol Benito Floro, qui a pratiquement boudé le numéro 8 de l’Impact de Montréal pour la durée de son règne.
« L’un des mandats que Soccer Canada m’avait donnés, c’était d’offrir à des jeunes joueurs la chance de faire leur première apparition sur la scène internationale. Le but était de préparer le terrain pour l’arrivée éventuelle de Benito. C’était la vision des dirigeants et je n’étais pas là pour aller à contre-courant de leurs idées. Patrice a toujours été sur le radar, mais il était temps de rassembler les jeunes et de préparer la relève », s’excuse presque Miller.
La sortie de Floro, congédié en 2016, a ouvert la porte à la réconciliation de son mal-aimé avec le maillot rouge qu’il avait porté si fièrement. Parce qu’on ne peut mettre le point final à une histoire sans en avoir complété tous les chapitres, il a représenté son pays à trois autres reprises, dont une sur celui du Stade Saputo. Le petit nouveau avec le brassard de capitaine autour d’un biceps?
C’était Patrice Bernier.