« J’avais 19 ans quand mon père est décédé d’un AVC à 45 ans ».

 À ce moment précis de l’entrevue, Jean-Philippe Lebeau s’arrête. Après quelques secondes de réflexion, il ajoute : « Ne laisse rien passer si tu as un projet, un rêve. » Alors, sa vie prendra un virage dès cet instant.

 Cet enseignant en mathématiques qui aura 40 ans le 9 août est le genre à installer une petite corde à linge sous son pupitre dans sa classe afin de faire sécher ses vêtements car il vient d’arriver à l’école en courant !

 Lors d’un feu de camp Covid-19 en famille avec la présence de son frère Francis, le dépassement fait partie de la discussion. Sans se détruire physiquement, ils aspiraient à un défi de taille. Que dire de courir d’un bout à l’autre le parcours du Petit Train du Nord ? Natif de Bellefeuille dans les Laurentides, il caressait le rêve de le faire à vélo. Nombreux furent les tentatives infructueuses réalisées par plusieurs coureurs.

 

Une prouesse hors du commun pour Jean-Philippe alors qu'il a battu le record du parcours du Petit Train du Nord (Mont Laurier- Saint-Jérôme)  qui remontait à 2015 .

 

Son ami Alexandre Benoit pour qui il voue beaucoup de respect, avait dû abandonner au 160e km, blessé, quelques jours auparavant. À la dernière minute, il a proposé aux frères Lebeau de les accompagner, question de bien les ravitailler et de les soutenir moralement. Un cadeau du ciel de dernière minute qui fera pencher la balance !

 Samedi le 27 juin dernier, le trio quitte Mont-Laurier à 17h42, après avoir suivi une tradition de trailers, soit prendre une bière, question de permettre aux nuages menaçants de disparaître ! Il devenait essentiel d’abandonner dès les moindres bobos. Arrivés au 102e km, Francis doit s’arrêter, incommodé. « J’ai dû gérer mes émotions pour le reste du parcours même si j’étais confiant de battre le record de ce parcours », précise Jean-Philippe qui se présentera à Saint-Jérôme après 21h51 et 201 km dans le compteur, conservant une moyenne de 6 minutes et 30 secondes par kilomètre.

 « Mais quelle belle nuit j’ai passée avec mon frère, des moments uniques, exceptionnels », retient-il principalement de cet exploit, déployant ainsi tout le caractère humain de cette aventure. Précisons que l’ancienne marque appartenait à un certain Jean Labedan et qui était de 27 heures en 2015.

 

Il sont partis les deux frères à la conquête de cet exploit. Malheureusement, Francis (à gauche) a dû abandonner.

 

Quel sympathique personne qu’est ce Jean-Philippe Lebeau ! Un pur bonheur que de converser avec cet être unique en son genre.

 Il a 15 ans lorsqu’il veut motiver son ami Donovan Lagrange qui aspire devenir policier et qui doit courir 3 km en 12 minutes. Il l’accompagne, le motive afin qu’il puisse réussir. Malheureusement, Donovan perdra la vie dans l’exercice de ses fonctions en 2012 alors qu’il est happé par une voiture aux abords d’une route suite à une arrestation.

 Dans les années suivantes, boulotte, il admirait les gens qui adhéraient à des compétitions. Il se procure un vélo et de 17 à 19 ans, il se concentrera vers le triathlon, joignant même l’équipe nationale junior. À 20 ans, sous la tutelle de Pierre Léveillée, il se concentre sur le 1500 mètres et ce jusqu’à 22 ans.

 

Jean-Philippe en compagnie des membres de sa petite famille, sa compagne Valérie, Iris dans ses bras, Gaëlle et Frédérique.

 

Il obtient un BAC en enseignement à l’université de Trois-Rivières. À 24 ans, il quitte pour la France, en Provence pour un an ou il prendra part au Championnat de France pour le 10km de vélo. « Je me souviens que dans l’avion du retour, je calculais mes possibilités pour aspirer aux Olympiques et exceller lors des marathons », poursuit celui qui a couru 25 marathons.

 Suivra une période où il se concentrera au plan familial avec sa compagne Valérie Houde et ses trois belles filles, Frédérique, 12 ans, Gaëlle, 9 ans et Iris, 2 ans. « Je vivais d’imprévus et je profitais amplement de mes moments de plaisir. »

 Il reprend sérieusement l’entraînement à 30 ans. « Je ne suis pas un spartiate », me répète-t-il à quelques reprises, m’indiquant par le fait même qu’il n’est pas du genre à se prendre au sérieux et qu’il tient mordicus à véhiculer cette image. « Je suis un chef cuisinier qui connaît bien ses recettes ».

 

Auteur d'un roman graphique en 2019,  Jean-Philippe a connu beaucoup de succès avec cet ouvrage.

 

L’année 2015 se transforme en un voyage familial en Asie. « Je suis allé « bummer » là-bas. Je m’entraînais parmi des décors particuliers, des rizières à Bali, la chaleur insupportable du Sri Lanka où mes cheveux sentaient le brûlé ! »

 Puis au retour, il se cherche un projet. « On se fait un autre bébé ? », propose-t-il à Valérie, enseignante également, en français.  Croyant que la naissance d’Iris allait provoquer sa retraite active de la course à pied, c’est le contraire qui se produit et il signera une performance de 2h44 au marathon de Toronto ! « Étrangement, je n’avais jamais couru autant dans ma vie. Iris m’aura procuré le calme qu’il me fallait ».

 Et dans le dernier droit, Jean-Philippe se tourne vers les ultras et entraîne Valérie dans son sillon, elle qui court maintenant depuis deux ans.

 

Une petite bière avant le début de l'aventure, une tradition semble-t-il chez les fervents de trail. À souligner, la présence d'Alexandre Benoit sur cette photo, une personne indispensable dans la réussite de ce record.

 

Un couple qui projette la santé, le bien-être et constitue de beaux exemples pour leurs élèves respectifs. « Tout ce qui se passe pour moi actuellement est le fruit de mes 25 années de course à pied qui est véritablement devenu un mode de vie. »

 Que dire maintenant de son projet de publier un roman graphique, une bande-dessinée concrétisée en mai 2019, sur laquelle il travaillait depuis 2011. Excellent dessinateur, il passe à l’action suite à la suggestion d’un ami. La route des grandes Alpes raconte une aventure qu’il vivra en France. Après cinq années à dessiner et plusieurs rencontres dont une avec le célèbre auteur Paul Rabagliati, il amènera son projet à terme, très heureux du résultat et de la popularité qu’il obtient.

 Prévoyant, talentueux, consciencieux, discipliné, Jean-Philippe Lebeau récolte aujourd’hui ce qu’il a semé au cours de sa vie, une fenaison qui logiquement, risque de se poursuivre pour encore plusieurs années. 

Un gars heureux, sympathique et humble.