Des changements ont été apportés à la tête du Marathon international de Montréal à la suite des ratés de la dernière édition. Un jeune coureur était décédé d’un arrêt cardiaque et la lenteur d’intervention de l’équipe médicale avait fortement été décriée. De plus, le départ de la course de 42,2 kilomètres fut donné avec une cinquantaine de minutes de retard. Le directeur de course du marathon, Dominique Piché, avait remis sa démission quelques jours après la course.

 

En novembre dernier, le marathon nommait un nouveau directeur général, Eddy Afram, ainsi qu’un nouveau directeur des opérations, Mario Blain. La ville de Montréal choisissait de miser sur l’expérience de ces deux hommes ayant déjà fait partie de l’organisation pour redorer le blason de l’événement montréalais qui célèbrera sa trentième édition les 19 et 20 septembre prochain.

 

J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec monsieur Afram.

 

Eddy AframComment en êtes-vous venus à occuper le poste de directeur général du Marathon de Montréal?

 

J’étais impliqué avec l’organisation depuis 2007 comme membre de l’équipe médicale. J’ai ensuite gravi les échelons jusqu’à devenir le coordonnateur médical en 2012, ce qui a fait en sorte que j’ai pris en charge la gestion de la sécurité et les mesures d’urgence. J’ai travaillé de manière étroite avec l’organisation jusqu’en 2017. L’année suivante, alors qu’un changement a été effectué au sein de l’équipe de direction, j’ai hérité sur une base transitoire de la coordination des services médicaux. Finalement, après avoir quitté l’organisation, la Série Rock’n’Roll m’a approché pour me demander de revenir comme directeur général avec mon collègue Mario Blain au poste de directeur des opérations.

 

Sur le communiqué annonçant la prochaine édition, on vante votre expérience et votre expertise de même que celle de Mario Blain en production de marathons. À quoi fait-on référence?

 

C’est Mario qui a produit tous les marathons à Montréal du début des années 80 jusqu’en 2017. Je l’ai accompagné pendant une douzaine d’années, que ce soit au niveau du service aux athlètes, de la gestion et création des parcours et de toute la logistique événementielle derrière un tel événement. Je m’occupais également du volet « sécurité publique » qui se rattachait aux parcours alors que Mario se concentrait sur la production et l’administration de l’organisation. Après les événements de 2019, alors que les dirigeants américains de la Série des Marathons Rock’n’Roll cherchaient une nouvelle équipe pour produire l’événement, ils nous ont approchés. Mario et moi en avons discuté puisqu’il était à la retraite et que je menais une autre carrière avec Urgence Santé. Nous avons finalement décidé de revenir et de nous allier pour réaliser un travail d’équipe. C’était une de nos conditions pour accepter de restructurer l’événement.

 

Vous avez présenté à la ville de Montréal un important plan de redressement pour promouvoir un événement local et sécuritaire. En quoi consiste ce plan?

 

Nous avons d’abord présenté un diagnostic organisationnel à partir des ratés de l’édition 2019. Par le passé, dans la gouvernance de l’événement, la compagnie américaine propriétaire de la Série Rock’n’Roll sous-traitait le marathon à un organisme québécois pour produire la course. En 2018 et 2019, il y a eu un changement d’organisation avec la venue de Dominique Piché à sa tête pour produire les courses. Par la suite, Mario et moi avons fondé un organisme sans but lucratif local qui détient les droits de production avec la Série Rock’n’Roll.

 

Et vous prévoyez effectuer une restructuration du Marathon international de Montréal?

 

Effectivement. Cette restructuration prévoit de réinventer l’événement pour lui donner un caractère beaucoup plus communautaire et social en 2020. C’était une de nos conditions pour accepter de revenir. Le Marathon de Montréal doit avoir une dimension sociale, inclusive et environnementale pour permettre d’élargir l’accès à la course aux gens. Nous avons donc déjà baissé la tarification des inscriptions et sommes revenus à celle de 2015-2016. Nous voulons également régler les problèmes de sécurité publique auxquels nous avons été confrontés l’an dernier en rehaussant les services médicaux. Nous avons présenté des propositions de parcours repensés complètement pour réduire l’impact de la course sur la ville, mais également pour mieux intégrer la participation des services d’urgence. Enfin, nous avons présenté à la ville un plan qui prévoit de respecter les communications en français.

 

Communiqué Marathon de MontréalPourtant, un communiqué bourré de fautes de français a été publié la semaine dernière. Comment une telle chose a-t-elle pu se produire?

 

Ça me fait capoter! Il s’agit tellement d’une erreur niaiseuse qui est à l’origine de cet impair. Ce n’est évidemment pas le texte que nous avions soumis à un fournisseur tiers et que j’avais personnellement rédigé. Ce fournisseur gère les envois de masse de nos courriels et il y a eu deux problèmes techniques. Le premier au niveau de l’encodage régional dans l’en-tête du courriel qui a été mal programmé. Des accents ont été inversés. Le second est survenu lorsqu’ils ont fait un copier-coller avec un encodage américain ce qui fait que chaque début de mot avait une lettre majuscule et les accents étaient inversés. Une chose est certaine, ce n’était pas la version que nous leur avions soumise et cela a donné un envoi complètement raté. Je n’étais vraiment pas content! Nous essayons de mettre cela derrière nous en nous assurant que de telles erreurs ne surviennent plus avec ce fournisseur.

 

Pourquoi les dirigeants de la ville de Montréal ont-ils été séduits par votre plan?

 

Je dis souvent que tu ne peux pas t’improviser promoteur de marathons. On a malheureusement vu ce qui s’est passé lors des deux dernières années. Il faut avoir été impliqué pendant de nombreuses années pour bien comprendre les subtilités et les pièges qui peuvent survenir lorsqu’on prépare un tel événement. Organiser un marathon en région, c’est une chose, mais le faire dans un  milieu densément urbain, comme Montréal, c’en est une autre. La ville a retenu notre expertise et notre expérience car nous avons les capacités de livrer la marchandise en respectant l’enjeu de sécurité publique, un prérequis essentiel.

 

Il y a quelques jours (24 janvier), la compagnie Lassonde annonçait qu’elle mettait fin à son entente de commandite avec le Marathon international de Montréal après 17 années. Un dur coup pour votre organisation?

 

Je ne peux malheureusement pas commenter ce dossier par respect pour les parties qui négocient et qui se parlent toujours. Mais je ne suis pas inquiet pour la suite des choses. Le marathon n’est pas en danger économiquement.

 

Le parcours du marathon a souvent été décrié comme peu intéressant comparativement à d’autres courses du genre dans des villes importantes.  L’aspect « carte postale » n’y est pas toujours et de longs segments sont ennuyants. 

 

C’est certain que nous allons changer le parcours dès la prochaine édition. Ceci étant dit, j’ai toujours trouvé ironiques les propositions des autres promoteurs qui ont annoncé via les médias vouloir, par exemple, reprendre le parcours des Jeux olympiques de 1976.  C’est un beau concept, mais il ne faut jamais avoir organisé de marathons pour comprendre que ça ne fonctionnerait jamais. Premièrement, à Montréal nous sommes pris en otage par les nombreux chantiers de construction. Si je voulais faire passer les coureurs sur une artère importante, mais qu’il s’y trouve un trou de vingt pieds car on refait les infrastructures, c’est impossible! Nous devons savoir plusieurs mois à l’avance quels sont les travaux envisagés. La ville de Montréal est un excellent partenaire et nous aide dans la planification. Deuxièmement, de nombreuses artères ont des connotations de sécurités publiques. Par exemple, la rue Sherbrooke est une route provinciale et n’est pas de juridiction municipale. C’est une voie d’urgence en cas d’évacuation.  Nous n’avons donc pas le droit de l’utiliser ou de la traverser. En 2017, juste emprunter cette rue pour tourner un coin du parcours avait requis des années de négociations. C’est la même chose avec la rue Saint-Denis. Ajoutez à cela l’interdiction d’encercler un hôpital ou d’enclaver une population et vous comprenez la complexité de créer un parcours. 

 

Pourtant, dans de grandes villes comme Paris, Londres, ou Rome, cela ne semble pas être un problème.

 

C’est vrai et c’est en raison de la capacité de volume et de réponse. Par exemple, à Paris ou à Boston, il peut y avoir jusqu’à 500 médecins et 300 ambulances dans les zones directement affectées. Je ne peux pas compter là-dessus à Montréal. On doit donc être cohérent dans nos comparaisons.  Il y a aussi une volonté collective. La population doit être fière de l’événement, ce qui ne semble pas être le cas présentement. On n’est pas encore rendu à dire « je suis heureux qu’un marathon passe devant chez moi ». Nous sommes conscients que nous devons faire nos preuves et présenter un trajet intéressant qui respecte les limitations imposées par la logistique et la sécurité. On doit trouver des lieux où on est capable d’accueillir des lignes de départ et d’arrivée et qui sont servis par le transport en commun. La Place des arts ou le Parc Jean-Drapeau offrait cela. Le Stade olympique pourrait l’offrir.

 

Avez-vous déjà une idée de ce à quoi ressemblera le parcours de l’édition 2020?

 

Oui. Nous avons présenté des esquisses à la ville et nous devrions le rendre public dans une dizaine de semaine. Mais je peux déjà vous dire que le passage sur Hochelaga c’est terminé!

 

Et l’élite? Allez-vous prendre des mesures pour attirer certains des meilleurs coureurs de la planète?

 

Oui et cela passe par une augmentation des bourses. Nous sommes présentement en discussion avec la Fédération québécoise d’athlétisme pour ré-établir des relations avec les coureurs élites. Des budgets ont été prévus à cet effet et nous allons certainement inviter l’élite internationale. Jusqu’à 2017, le Marathon de Montréal a eu, avec succès, une vocation participative. Nous avions entre 16 000 et 18 000 coureurs en 2011 et avons grimpé cela jusqu’à un record de 36 000 personnes en 2016. Nous occupons une situation géographique avantageuse pour la série Rock’n’Roll. Il n’existe pas d’autres courses dans leur calendrier situées dans le nord-est de l’Amérique à part Montréal. Ça nous donne un excellent pôle d’attraction. C’est pourquoi nous faisons partie de cette série. On peut aller chercher jusqu’à 15% de touristes étrangers qui viennent courir à Montréal grâce à cette association. Ce sont des retombées économiques intéressantes pour Montréal.

 

En terminant, vous êtes conscient du lien de confiance que vous devez rebâtir avec les Montréalais et les Québécois? Nombre d’entre eux ont l’impression que le Marathon international de Montréal appartient à une série américaine détenue par une entreprise chinoise qui est ici uniquement pour engranger des profits?

 

Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un défi colossal. Il y a également un travail d’humilité que mon équipe assume entièrement. Nous ne sommes pas rendus au point de pouvoir dicter la vitesse de l’industrie de la course à pied, mais nous demandons aux gens de nous donner la chance de leur présenter la prochaine course. Déjà, je vous garantis que vous verrez une différence lors de la 30e édition en 2020 en ce qui a trait à la santé et à la sécurité. Car avant que les gens puissent apprécier la beauté d’un parcours, ils doivent être assurés que s’il leur arrive quelque chose, ils seront pris en charge. Par la suite, nous nous donnons de deux à trois ans pour ramener le marathon à un niveau de calibre mondial.