La nouvelle avait quelque chose d’absurde. Quelqu’un qui incarne si passionnément la vie ne pouvait pas être décédé, il y avait certainement une erreur quelque part. La vague alerte lue en diagonale sur Facebook « quelqu’un a entendu parler de Julie Sauvé? J’ai vu une nouvelle inquiétante passer en vitesse sur mon ordi… » ne m’a pas inquiétée de prime abord, je venais d’échanger avec elle, à peine quelques jours auparavant via Messenger. Et puis Julie, c’est Julie. Le genre de personne qui semble immunisée contre la mort, portée par une joie de vivre extraordinaire, par mille projets qui l’empêchent de tenir en place, par ses sautes d’humeur, d’humour et d’amour.

Mais cette rumeur un peu floue d’abord a ensuite été confirmée dans toute son aberrante réalité. Julie Sauvé est bel et bien décédée. Cela m’a pris de longues minutes pour laisser le temps à la nouvelle de s’ancrer dans ma tête. Je cherchais désespérément un indice, quelque chose qui dirait que tout ça n’était qu’une funeste erreur jusqu’à ce que Diane Sauvé de Radio-Canada m’annonce que Synchro Québec avait officialisé la nouvelle sur sa page Facebook. Plus de doute n’était permis. Alors l’incrédulité a fait place à la peine.

Dire que Julie Sauvé a été importante pour la nage synchronisée, aujourd’hui natation artistique, au Canada serait un euphémisme. Elle a été la pierre angulaire de ce sport parfois malmené et s’est battue bec et ongles pour qu’il gagne ses lettres de noblesse. Et elle l’a fait avec classe et assurance, démontant les arguments boiteux pour faire la preuve par mille que son sport était le plus beau au monde, du moins à ses yeux. Elle fut l’une des premières entraîneuses engagées par Synchro Canada en 1982 quand le programme national a été instauré et a largement contribué à en faire une référence mondiale. Sa large contribution a été reconnue par le Panthéon des sports canadiens qui l’y a intronisée en 2006, par le Temple de la renommée du COC en 2012 et le Panthéon des sports du Québec en 2015.

Son long passage avec le Club aquatique Montréal olympique (CAMO), on parle de plus de 30 ans, lui aura permis de rencontrer celle qui allait devenir championne olympique et avec qui elle a travaillé pendant 18 ans, Sylvie Fréchette.  Cette relation allait au-delà du simple coaching. De l’aveu même de Sylvie, elle était devenue « une mère, un guide », toujours là dans les moments de grandes joies, mais aussi de grandes peines. La complicité entre les deux était palpable et nul n’avait besoin d’un diplôme en relations humaines pour sentir tout l’amour qui les unissait. L’or olympique, celui des Championnats du monde et des Jeux du Commonwealth ont consacré leur union professionnelle, une tendresse sans borne et une relation étroite celle de leur relation personnelle.

Elles sont plusieurs à être en deuil aujourd’hui, les Marie-Pierre Boudreau-Gagnon, Élise Marcotte, Jo-Annie Fortin, Valérie Welsh, Valérie Hould-Marchant, Jacinthe Taillon, Penny et Vicky Vilagos pour ne nommer que celles-là, et bien sûr sa sœur Denise, pleurent le départ d’une femme qui aura été déterminante dans leur vie, tant d’athlète que personnelle.

Julie a pris sa retraite de l’équipe nationale en 2012, après les Jeux de Londres où ses protégées ont terminé 4. Mais retraite était un mot qui ne s’accordait pas avec Julie Sauvé. Pour les Jeux de Rio, elle fut consultante avec l’équipe brésilienne et pour ceux maintenant repoussés de Tokyo, elle partageait son expertise avec l’équipe de Singapour, où elle était jusqu’à son décès.

Julie avait la bougeotte et était curieuse de tout. L’an dernier l’une de ses élèves s’est mariée au Mexique. Qu’à cela ne tienne! Julie y a loué une maison en vue de passer quelques mois sous le chaud soleil mexicain et s’est mise en frais de perfectionner son espagnol pour mieux se préparer à son séjour. Élève douée, c’est mon mari qui était son prof qui le dit, elle a travaillé sur son espagnol avec la même rigueur qu’elle préparait ses entraînements. Avec Julie, pas de demi-mesure.

Puis elle est repartie pour un autre tour du monde : Paris, Égypte, Budapest, Grèce, Kazan, Chine, Japon…on pouvait sentir l’excitation dans ses messages. Et Singapour pour six mois, histoire de préparer les qualifications olympiques.  La crise du coronavirus frappait là-bas comme partout ailleurs, mais elle s’y sentait en sécurité, disant que le gouvernement y était très proactif. Son retour était prévu pour le 6 mai. On discutait de l’actualité internationale au beau milieu de la nuit, décalage horaire exige, et Julie s’emportait sur l’annonce tardive du CIO de repousser les Jeux. « Il manque de femmes sur le CIO pour faire bouger les choses! » m’écrivait-elle. C’est sûr qu’avec une Julie Sauvé dans ses rangs, le Comité olympique international aurait pris des couleurs.

Julie est partie on ne sait encore comment. Les circonstances de son décès n’ont pas été expliquées ce qui a contribué à la stupeur générale. Un jour nous saurons, et peut-être comprendrons-nous. Mais en attendant, il n’y a que la peine pour combler ce vide immense creusé par le voyage sans retour de Julie. Je l’aimais beaucoup. Je compterai aujourd’hui les verres de vin que nous n’avons pas pris ensemble, les promesses que nous nous sommes faites et que nous avons remises à plus tard. En partant sans laisser d’adresse, Julie nous envoie un ultime message : profitez de la vie, profitez des gens que vous aimez, ils ne seront pas là éternellement.

Dans mes tentatives pathétiques de renverser le cours des événements, j’ai écrit un dernier message à Julie sur Messenger, sous la blague qu’elle m’avait envoyée le 1er avril : « Julie, t’es où? ». La réponse viendra dans une brise subite qui bougera mes cheveux, dans un rayon de soleil qui chauffera ma joue, dans une fleur qui brillera particulièrement au bord du chemin. Son sourire est à jamais gravé dans mon cœur.

 

En synchro avec la vie : 1re partie
En synchro avec la vie : 2e partie
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En synchro avec la vie : 4e partie