D’abord et avant tout, permettez-moi de vous souhaiter, mordus de basket du Québec (et ailleurs), une excellente année 2017 remplie de « alley-oops » et de tirs du centre-ville! Pour ma première chronique du nouvel an, je me permettrai de mettre la NBA sur la glace pendant quelques jours afin de vous parler d’un basketball à saveur plus locale. Plus précisément d’un Québécois qui capte l’attention de plusieurs observateurs dans les rangs universitaires américains.

Il fut un temps pas si lointain où les universités de la NCAA ne prenaient pas le temps de venir voir ce qui se passait au Canada en matière de basketball amateur. Malgré les distances tout à fait raisonnable à parcourir pour les dépisteurs, on voyait le tout comme une perte de temps sans aucune valeur. Puis la situation commença tranquillement à changer vers la fin des années 70 alors que quelques vedettes québécoises (principalement anglophones) évoluant dans des Cégeps comme Vanier ou Dawson se firent offrir la chance de migrer vers le sud. Des noms peu connus comme Stan Blumenfeld, Rick Hunger et Ron Crevier. Tous des joueurs de 6 pieds 9 pouces ou plus dont le gabarit aura sans doute joué un gros rôle pour leur notoriété et leur progression. Ensuite, une deuxième vague de talent montréalais au début des années 80 produira des athlètes comme Bill Wennington, Wayne Yearwood et Dwight Walton. Ceux-ci représenteront fièrement le Québec dans la NCAA ainsi que le Canada sur la scène internationale pendant plusieurs années. La visibilité de nos vedettes québécoises évoluait peu à peu mais on était loin d’avoir la coupe aux lèvres.

Joseph ChartounyOn peut prétendre qu’une percée plus significative eut lieu au début des années 2000 lorsque le Cégep Champlain-Saint-Lambert commença à envoyer plusieurs de ses joueurs à des programmes NCAA Division 1 d’envergure : Bernard Côté (Kentucky), Pierre-Marie Altidor-Cespedes (Gonzaga) et Maurice Joseph (Michigan State) arrivent en tête de liste. Bien que l’expérience de ces trois athlètes ne fût pas 100% concluante dans leurs programmes originaux respectifs, une autre étape avait été franchie. Soudainement, ces programmes de renom ne voyaient plus le Québec comme une région seulement apte à produire des joueurs de grand gabarit. On pouvait y dénicher des meneurs de jeu, des francs-tireurs, des ailiers athlétiques, etc.  Bref, la Belle Province commençait à produire des « play makers », avec un fort niveau de talent et de potentiel. Les Américains allaient dorénavant devoir affecter des ressources concrètes et stables de dépistage dans notre sympathique province.

Avec l’aide de northpolehoops.com, on recense pas moins de 16 Québécois évoluant en division 1 un peu partout aux États-Unis cette saison. Du lot, ceux qui captent le plus notre attention par leurs performances sont Chris Boucher de l’université Oregon (qui méritera sans doute un article à lui seul prochainement) et Joseph Chartouny de l’Université Fordham à New York. Bien que j’aie beaucoup entendu parler de lui entre les branches, j’ai rencontré Joseph pour la première fois seulement en février 2015. Quelques mois avant de quitter pour Fordham, il était alors passé à RDS pour une entrevue qui avait laissé une forte impression sur moi. Il avait assurément une très bonne tête sur ses épaules, un bon niveau de talent et de motivation, tout en étant bien préparé pour la prochaine étape de sa jeune carrière. Mais allait-il réussir à se démarquer dans la jungle de la Division 1? Là où plusieurs avaient échoué par le passé. Les avis étaient mitigés.

Près de deux ans plus tard, on peut se prononcer sans hésiter sur cette question avec un retentissant oui !  Le jeune homme de 6 pieds 3 pouces, originaire de Saint-Hubert, a été nommé recrue par excellence de la réputée conférence « Atlantic 10 » la saison dernière, avec des moyennes de plus de 11 points, 6 aides et 5 rebonds par match. On peut dire que les sceptiques auront été convaincus de façon fracassante.

Joseph Chartouny en action

Je suis donc entré en contact avec lui il y a quelques semaines dans le but d’obtenir son témoignage après une saison et demie dans les grandes ligues universitaires. J’espérais qu’il veuille partager avec nous tous ses expériences et leçons apprises tout en prodiguant quelques conseils à nos vedettes locales émergentes. Non seulement a-t-il généreusement accepté de nous accorder de son temps précieux, mais il livre les réponses suivantes de sa propre plume.

**Quelles ont été les étapes principales de ton cheminement basket?

J’ai grandi à Saint-Hubert, sur la Rive-Sud de Montréal. J’ai commencé à jouer au soccer à l’âge de 4 ans, et c’est après avoir approché des jeunes que j’avais vus jouer au basket dans la cour de récréation au primaire que j’ai demandé à mon père de m’y inscrire. J’ai commencé à jouer à l’âge de 10 ans, dans la ligue récréative des Lynx de Saint-Hubert avant de me faire approcher par le responsable de la ligue inter-cité pour jouer avec l’équipe de la ville. Je jouais aussi avec celle de Charles-Le Moyne, mon école primaire, avec laquelle nous avions réussi à atteindre la finale provinciale avant de nous incliner par trois points.

La sélection de mon école secondaire a ensuite été un évènement marquant dans mon cheminement au basket. Je devais choisir entre le Collège Français à Longueuil et l’école secondaire Saint-Jean Baptiste, qui m’offraient respectivement la chance de combiner études/soccer ou études/basket. Après avoir longuement discuté avec mes parents et mes entraîneurs, j’ai finalement choisi l’école secondaire Saint-Jean-Baptiste. Durant mes trois premières années au secondaire, je jouais simultanément dans deux équipes de basket et une équipe de soccer, ce qui n’a été possible que grâce à mon père qui m’amenait à tous les matchs et à toutes les pratiques.

**As-tu toujours visé atteindre la NCAA un jour? À quel moment cette ambition est-elle devenue réelle?

Pour être honnête, je n’ai jamais vraiment cherché à atteindre la NCAA. Mon rêve a toujours été et est encore d’atteindre la NBA. La NCAA ne constituait donc pas une finalité, mais plutôt une des étapes de ma vie que je devais traverser pour atteindre mon but, mais aussi pour m’assurer d’avoir un diplôme.

Cette ambition s’est par la suite concrétisée lorsque j’ai changé d’école en secondaire 4 pour me diriger vers le Collège Jean-de-Brébeuf. Les intervenants du programme de basket, que ce soit Jean-François Allard, le responsable du programme, ou bien les deux entraîneurs que j’ai eus, Mehdi Stambouli et Mike Chmielewski, ont été des mentors durant mes cinq années au Collège. Ils ont toujours été là pour moi, plus précisément lors des moments difficiles de mon adaptation. 

**Tu es recruté par Fordham en 2014 et tu acceptes leur offre. Comment a été ton adaptation au calibre de la NCAA?

Mon adaptation d’un point de vue académique s’est déroulée beaucoup mieux que prévue. Le plus difficile pour un ‘freshman’ (joueur de première année) lorsqu’il arrive à l’université est de pouvoir gérer son temps efficacement entre les études et le basket, sans oublier les nombreuses distractions auxquelles on peut faire face en arrivant sur un campus universitaire américain. Il est très facile pour quelqu’un qui n’a jamais été préparé à vivre dans un tel milieu de s’y perdre.  Toutefois, le fait d’avoir étudié à Brébeuf, dans un environnement extrêmement exigeant tant au basket qu’académiquement, m’a forcé à entretenir une très bonne éthique de travail. Brébeuf m’a donc offert une préparation au niveau universitaire américain, non seulement au niveau des entrainements et de la qualité du coaching, mais aussi au niveau de l’environnement scolaire. 

En ce qui concerne l’adaptation du français à l’anglais, c’est une question qui était souvent revenue en secondaire 5 au moment de choisir mon Cégep. Je n’avais alors jamais étudié en anglais et je ne faisais pas non plus partie des groupes d’anglais les plus avancés au secondaire. Plusieurs personnes avaient tenté de me convaincre qu’un Cégep anglophone allait mieux me préparer pour les universités américaines. Mon anglais se développait majoritairement avec les voyages de mon équipe AAU (Brookwood Elite) ou bien en discutant avec différents coachs américains. Après avoir passé trois sessions à Fordham, je peux confirmer à n’importe quel étudiant qui ne se sent pas très à l’aise à communiquer ou à étudier en anglais que l’adaptation ne prend que quelques mois, après lesquels on n’a plus aucun problème à communiquer en anglais.

**Quelles sont les plus grosses différences entre le Cégep au Québec et la NCAA sur le plan basket?

Selon moi, ça se résume à deux aspects.

Premièrement, l’intensité des pratiques et le nombre d’heures d’entraînements en NCAA ne sont pas comparables avec celles au Québec. Tous les joueurs au sein de l’équipe étaient les meilleurs joueurs de leur école secondaire, alors on se doit de pratiquer et de jouer au sommet de nos capacités à chaque jour. De plus, avec le nombre d’heures d’entraînements que nous avons par semaine, il est extrêmement important de faire attention à son corps. Sinon c’est impossible de pouvoir suivre et maintenir cette intensité tout au long de la saison.

Deuxièmement, le niveau athlétique des joueurs ne peut pas être comparé à celui au Québec. Par exemple, il était impressionnant au Québec de voir un joueur dunker la balle, alors qu’ici tous les joueurs en sont capables. Chaque joueur a ses forces et faiblesses, mais les points qui reviennent le plus souvent sont généralement sa grandeur, sa rapidité ou bien son explosion. Il y a une différence entre lancer ou bien attaquer le panier contre des gars de 6 pieds 7 qui sont toujours prêts pour t’arrêter.

**Ton coéquipier québécois Nemanja Zarkovic t’a aidé? Il a facilité ton adaptation?

Qui ne rêverait pas de partager son expérience dans un collège américain avec son meilleur ami? Nemanja a énormément facilité mon adaptation puisqu’il était déjà passé par là une année avant moi. Par contre, je crois qu’avec le nouvel entraîneur arrivé l’année passée, nous avons réussi à nous aider mutuellement pour arriver à le comprendre et à saisir ses attentes.

**En étant nommé recrue de l’année l’an dernier, tu ne pouvais évidemment plus passer inaperçu cette saison. C’est plus difficile cette année? Les adversaires se préparent davantage pour t’arrêter?

Évidemment, le fait d’avoir été nommé la recrue de l’année a fait en sorte que les équipes adverses se concentrent davantage sur moi. Mais bien que je prenne cela comme un signe de respect, ça ne change pas vraiment grand-chose dans ma façon de jouer. J’ai toujours été habitué à ce que les équipes adverses mettent leur énergie sur moi, mais cela ne m’a jamais empêché de contribuer à mon équipe. En ce qui concerne la comparaison entre ma première et ma deuxième année universitaire, c’est comme le jour et la nuit. Tout était nouveau et extrêmement difficile pour moi l’année passée. Cette année, tout est beaucoup plus simple. J’arrive enfin à être moi-même sur le terrain et à jouer sans avoir à me préoccuper de ce que le coach pense, ou bien si je fais la bonne chose ou non. C’est vrai que mes statistiques sont très semblables à celles de l’an dernier. Mais je pense que la grande différence est que cette année, je sais que je peux faire mieux, même si j’ai jusqu’à présent été un peu ralenti par des blessures.

**Quelles sont les principales qualités qui te permettent de te démarquer à ton avis?

Je crois qu’une de mes principales qualités est le fait que dans tout ce que j’entreprends (et pas uniquement au basket), je suis très compétitif et je déteste perdre. D’un point de vue plus technique, je pense qu’une des choses qui me permet de me différencier est mon anticipation en défense et mes lectures des jeux en attaques. Mon « QI de basket » me permet d’analyser et de comprendre rapidement ce qui se passe sur le terrain, et par conséquent de prendre la meilleure décision possible avant que mon adversaire ne s’en aperçoive. Aussi, le fait que je sois capable d’utiliser autant ma main droite que ma main gauche me permet d’avoir beaucoup plus d’options en attaque, que ce soit pour attaquer le panier ou pour passer le ballon. Finalement, je peux très bien tirer la balle de la ligne de trois points et je suis très confiant lorsque je reçois un écran sur la balle.

**As-tu une idole ou un modèle dans le monde du basket?

Depuis que je suis jeune j’essaye de copier Steve Nash pour essayer un jour d’atteindre son niveau. En ce qui concerne les joueurs actuels, je prends beaucoup de plaisir à étudier et à copier Stephen Curry et Klay Thompson.

**As-tu des conseils à offrir à des jeunes joueurs québécois voulant faire le même saut que toi un jour?

En ce qui concerne le mode de vie et l’éthique de travail à adopter, il faut mettre autant d’effort à l’école qu’au basket, faute de quoi vous n’allez pas réussir à rentrer dans une université américaine. Gérer ses études, son basket et les autres activités est beaucoup plus facile avec un bon horaire : il permet de gérer son temps mais aussi de maximiser chaque heure que l’on a pour étudier, nous entraîner ou nous amuser. De plus, commencez à traiter votre corps comme un professionnel en prenant des habitudes de vies saines : bien manger et dormir, prendre l’habitude de s’étirer après vos entrainements, etc.

Au niveau de la préparation physique, je suis persuadé que prendre l’habitude de s’entrainer sérieusement avec un entraineur qualifié est un immense plus. Si vous ne commencez pas à développer votre corps en ce sens, vous serez désavantagés une fois arrivés à ce niveau. D’un côté plus technique, il est essentiel de vous créer du temps dans votre horaire pour aller s’entraîner seul. Que ce soit pour pratiquer son tir, son maniement de balle ou même des situations de match.

Finalement, pour tous les points, la qualité est toujours meilleure que la quantité. Il ne suffit pas de lancer pour lancer, de jouer pour jouer ou même d’étudier simplement parce que notre horaire nous le recommande. Oui, il est important d’effectuer beaucoup de répétitions pour maîtriser un mouvement. Mais la répétition d’un mauvais mouvement n’est pas bénéfique. Et il est essentiel de toujours tout faire au meilleur de ses capacités.

**Quels sont tes objectifs à long terme? Jouer professionnellement?

Mon objectif à long terme est de jouer dans la NBA. Je crois que si un jour, j’ai la chance de me prouver lors d’une séance d’essai (individuelle ou collective) devant dépisteurs, je réussirais à me démarquer. Si jamais la NBA n’est pas faite pour moi, j’aimerais continuer ma carrière au niveau professionnel, de l’autre côté de l’océan.