SECTION SPÉCIALE

MONTRÉAL – Mitch Gagnon savait que le pire était derrière lui. Il le savait parce que c’était la deuxième fois que le ligament croisé antérieur de son genou droit déchirait et le renvoyait quelque part entre le désespoir et la case départ.

La douleur, l’opération, les béquilles, les pensées sombres. Tout ça était derrière lui, donc. Ses plaies étaient guéries. Depuis six semaines, il voyait un physiothérapeute et s’affairait à regagner la force dans sa jambe. Un retour à la compétition était envisageable. La vie était belle à Sudbury.

Un seul détail le chicotait, lui faisait craindre que quelque chose ne tournait pas rond. Sur son genou, à l’endroit où apparaissait autrefois ses cicatrices, s’était formée une étrange petite bosse. Assez étrange pour le pousser à la faire examiner.

Les médecins ont prélevé un échantillon de son sang et ont fait une intervention exploratoire pour observer l’état de la greffe. Constat : le corps de Gagnon rejetait le ligament de remplacement qui avait été attaché à son genou et l’infection s’était installée.

« Chaque opération vient avec un risque d’infection, racontait le combattant franco-ontarien lorsque RDS l’a joint la semaine dernière. On ne saura jamais ce qui a causé le problème cette fois-là. Ce qu’on sait, c’est que l’infection était creuse dans le genou. »

« Quand les médecins ont réalisé ce qui se passait, ils n’en revenaient pas que je n’aie pas d’autres symptômes. Un spécialiste m’a dit qu’encore sept à dix jours et la bactérie s’infiltrait dans mon sang. Ça aurait pu être très dangereux. Perdre ma jambe? Je ne sais pas si c’était proche... »

La liste de ses malheurs, qu’il décrit sans traduction comme ses « setbacks », s’étire bien au-delà de cette frousse. Il a passé cinq jours branché à une poche de liquide antibiotique et a dû revenir deux fois sur la table d’opération avant qu’on puisse finalement terminer proprement le travail autour de son articulation.

Au bout de l’énumération, Gagnon prend une pause et change de ton. Il ne veut pas passer pour un plaignard. Son sport vient avec des risques qu’il connaît et assume entièrement. Il connaît des confrères qui ont surmonté bien pire. « Je ne veux pas être le gars qui s’apitoie sur son sort et qui braille chez lui », dit-il.

Sa longue convalescence lui a permis de faire grandir ses deux jeunes entreprises, Troop MMA, un gymnase d’arts martiaux mixtes, et Inspired Sudbury, un centre d’haltérophilie et d’entraînement privé. Il s’est aussi payé le luxe d’être un père présent auprès de ses deux filles, Alexandria, 3 ans, et Gabrielle, 1 an.

« Je voulais juste avancer, pas regarder en arrière », conclut-il avant de prendre une seconde de réflexion pour s’éloigner des clichés.   

« J’ai trouvé ça très dur. Mentalement, c’est une des affaires les plus dures que j’ai traversées. Les blessures, les imprévus, ça m’a privé d’une couple d’années de mon prime. Je faisais très bien avant ça. Mais là je me sens comme je me sentais avant. »

« Je veux voir jusqu’où je peux me rendre »

« Avant », c’est avant la première opération au genou, celle que Gagnon a subie après sa défaite contre Renan Barao au début de l’année 2015. Il serait facile de l’oublier, mais l’ancien champion de l’organisation québécoise Ringside était une figure montante au sein de la division des poids coqs de l’UFC à cette époque. Il avait signé quatre victoires consécutives, dont trois par soumission, et un affrontement contre le Brésilien, qui venait tout juste de perdre son titre aux mains de T.J. Dillashaw, était un développement majeur dans sa carrière. 

Gagnon s’était battu vaillamment contre Barao, mais la fatigue l’avait gagné et forcé à abandonner sous une prise de soumission au troisième round. Il ignore si c’est ce soir-là que son ligament a commencé à déchirer. Ce qu’il sait, c’est qu’il a complètement cédé deux semaines plus tard, à son retour à l’entraînement.

Gagnon est remonté dans l’octogone exactement deux ans plus tard et a subi une deuxième défaite consécutive, cette fois contre l’Américain Matthew Lopez. C’est dans les mois suivants que son genou l’a de nouveau lâché.

« Je n’ai jamais voulu prendre ma retraite. Si je n’aimais pas entrer en camp d’entraînement, si je n’aimais pas le mode de vie, je serais passé à autre chose. Mais j’adore faire ça. Quand j’ai complété ma dernière réhabilitation, j’ai recommencé à faire du kickboxing et du jiu jitsu. Je me sentais tellement bien que dans les semaines suivantes, j’ai fait un faux camp d’entraînement pour voir si mon corps allait tenir le coup. Après tout ça, j’ai appelé mon gérant et je lui ai dit que j’étais prêt à prendre un combat. »

Malgré sa longue période d’inactivité, l’UFC n’a jamais résilié le contrat de Gagnon, qui demeure lié à l’organisation pour deux combats. Samedi, à Ottawa, l’athlète de 34 ans effectuera son grand retour à la compétition face à son compatriote Cole Smith (6-0), un combattant qui vivra son baptême des grandes ligues.

Gagnon affirme qu’il n’a pas fait tout ce chemin pour trouver la paix d’esprit, mais pour tester sa valeur parmi les nouveaux visages de sa division. 

« Je veux voir jusqu’où je peux me rendre. De voir que j’ai été capable de garder mon contrat avec le UFC, c’est motivant. Il n’y a pas grand monde qui aurait pu être inactif pendant si longtemps et garder ses liens avec l’organisation. Si j’avais perdu mon contrat, je ne serais probablement pas retourné dans les petits shows locaux, mais là, je suis motivé. J’aime m’entraîner, j’ai encore le goût de voyager et l’argent n’est pas mal non plus. Je me sens super bien physiquement. C’est pour toutes ces raisons que je reviens. »