Dans une entrevue accordée plus tôt cette saison sur les ondes de RDS2, le capitaine québécois Jean-Michel Ménard disait que Brad Gushue était un demi-dieu à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il avait ajouté que si jamais il parvenait à remporter le Brier, Championnat Canadien de curling masculin devant ses partisans, il serait consacré divinité à temps plein!

Eh bien c'est fait, Brad Gushue a été officiellement élevé à la fonction de Dieu du sport à temps plein à Terre-Neuve-et-Labrador après avoir réussi, à l'arraché, à remporter le premier Brier en sol terre-neuvien depuis plus de 45 ans. Un deuxième titre seulement dans l'histoire du Championnat canadien remporté par une équipe de cette province. Jack McDuff, capitaine de sa formation, avait remporté le titre en curling masculin en 1976. McDuff, très grande célébrité à Saint-Jean de Terre-Neuve qui est malheureusement atteint d'une maladie dégénérative, a trouvé vendredi dernier l'énergie et les forces nécessaires pour faire une apparition au Mile One Centre lors des cérémonies d'ouverture du Championnat canadien de curling pour venir saluer ses partisans et inspirer l'équipe du jeune capitaine Gushue. Le capitaine Gushue, médaillé d'or aux Jeux olympiques de Turin, a eu de la difficulté à contenir ses émotions lorsque McDuff a fait son apparition-surprise sur les glaces et surtout lorsqu'il a été témoin de la réaction de la foule à l'égard du champion de 1976.

Si jamais vous avez l'occasion de mettre les pieds dans le club de curling de Saint-Jean de Terre-Neuve, aussitôt que vous franchirez la porte d'entrée, vous trouverez sur votre droite un présentoir vitré contenant une paire de chaussures dorée. Ces chaussures sont les chaussures portées par Jack McDuff lors de sa conquête du titre canadien. Les amateurs de curling avaient souligné cet exploit en recouvrant d'or les chaussures de McDuff pour que celles-ci soient visibles pour tous amateurs de curling de la province.

Gushue a grandi et amorcé sa carrière en voyant ces chaussures dorées chaque fois qu'il pénétrait dans le club de curling. Source de motivation fort originale, celles-ci ont sûrement fait germer de très grands rêves dans la tête du tout jeune qui amorçait une carrière qui allait le mener vers les plus hauts sommets.

Brad a relaté, sur les ondes de RDS en fin de semaine, que lorsqu'il était tout jeune, il avait collé sur la porte de sa chambre trois choses qu'il désirait accomplir. D'abord, remporter un championnat mondial de curling junior. Il a représenté sa province à six reprise aux championnats canadiens, remportant celui-ci en 2001 et remportant la même année le titre mondial junior.

Sur sa porte de chambre, il avait également inscrit son rêve probablement le plus ambitieux, celui de remporter une médaille d'or pour le Canada en curling aux Jeux olympiques. Dans les mois qui ont précédé les essais olympiques pour les jeux d'hiver de Turin, Gushue n'hésite pas à chambarder sa formation pour y inclure l'ex-champion canadien Russ Howard à la position de capitaine. Gushue, jeune capitaine, savait que son manque d'expérience dans la maison pourrait diminuer ses chances de remporter ces fameux essais olympiques. Russ dirigerait les troupes et Brad lancerait les dernières pierres. Peu de gens croyaient en cette formule. Pourtant Gushue a remporté son pari et a représenté le Canada aux Jeux de Turin. La formule gagnante a continué sa magie jusqu'en Italie et le Canada en a profité pour remporter sa première médaille d'or olympique chez les messieurs depuis le retour de ce sport comme sport officiel aux Olympiques d'hiver.

Ne restait qu'un seul des trois rêves de Brad Gushue à réaliser, c'est-à-dire celui de remporter un titre canadien chez les messieurs. Dimanche, entouré de sa formidable jeune équipe composée de Mark Nicholls à la position de troisième et vice-capitaine, de Brett Gallant et Geoff Walker, il a pu placer un petit crochet à côté de la dernière de ses ambitions les plus folles.

Brad Gushue est un travailleur acharné et il n'a pas remporté ce titre sur un coup de chance. On ne réalise pas d'aussi grands rêves sans être prêt à payer le prix qui les accompagnent. À sa sortie des rangs juniors, Gushue faisait un peu bande à part sur le circuit en brisant les stéréotypes bien implantés qui avaient fait de ce sport un club social plutôt qu'un sport de compétition. Brad, lui, se distinguait par son sérieux, sa détermination et son empressement à rentrer à sa chambre d'hôtel une fois les matchs terminés, ce qui n'était pas monnaie courante même chez les joueurs de haut niveau. Brad avait une longue liste de rêves à réaliser.

Cet ardant désir qui l’a caractérisé toute sa carrière l’a souvent amené à remanier ses formations. Il n'a pas hésité au fil des ans à se séparer d'un coéquipier, même talentueux, si celui-ci n'acceptait pas de marcher au même pas que le capitaine et des autres coéquipiers. Il n'a pas hésité à s'entourer de très jeunes joueurs fraîchement sortis des rangs juniors et à les aider à développer leurs talents tout en respectant avant tout le concept d'équipe. Brett Gallant et Geoff Walker sont pour ainsi dire la création de Brad Gushue. Celui-ci a pris un talent brut pour le façonner à sa façon afin de le rendre meilleur et lui permettre d'atteindre ses objectifs.

Bien qu'une évaluation des forces, du talent des individus peut être très subjective, j'ai écrit et répété à quelques reprises dans le passé que la formation de Brad Gushue était la meilleure formation en curling masculin au pays depuis deux ans. Est-ce que c'est la plus talentueuse? Probablement pas. Ne serait-ce qu'à la position de capitaine, Kevin Koe est le meilleur joueur de curling au pays, le meilleur de son époque, tout comme Kevin Martin l'a été et d'autres joueurs qui ont marqué leur époque respective. Mais pour ce qui est de la meilleure formation, celle qui pousse toujours à 100 % dans la même direction, il n'y a aucun doute dans mon esprit que la formation de Brad Gushue est installée au sommet. Il ne suffit que de regarder jouer ces quatre individus ensemble sur une glace de curling pour vitement réaliser que cette formation est aussi près du professionnalisme qu'un sport amateur peut le permettre. Il y a plus de 30 ans, Brad avait un plan et des rêves les plus impensables à réaliser. Armé de talent et de patience, il a su prendre les bons moyens pour les concrétiser.

Pour ce qui est de son statut de dieu ou de demi-dieu, laissons le plaisir aux résidents de Terre-Neuve-et-Labrador, le choix de lui attribuer les épithètes qu'ils jugeront appropriées. On peut souhaiter cependant que tous les jeunes athlètes aux pays en curling ou dans un autre sport jettent un petit coup d'œil sur le parcours de Brad Gushue et de ses coéquipiers. Ils réaliseront rapidement que « tout est beaucoup plus que la somme des parties » et qu'il n'y pas de rêve trop grand pour les joueurs ou les équipes qui embrassent à part entière ce principe pourtant fort simple.