Depuis 1979, année de la mise en place du Championnat du monde féminin en curling, le Canada a dominé de façon indécente cette compétition. Le Canada a grimpé sur le podium à 34 reprises sur un total de 37 années de compétition, avec 34 médailles, dont 15 d’or. La plus longue disette sans médaille d’or pour le Canada avait été de trois années seulement et cela remontait au début des années 1990 alors que les Norvégiennes de Dordy Nordby et les Suédoises d’Elisabet Gustafson dominaient le classement mondial chez les dames. Mais au cours des sept dernières compétitions, le Canada a dû se contenter de trois médailles d’argent et de trois médailles de bronze.

Comment expliquer de façon rationnelle cette séquence tout aussi surprenante qu’inusitée? Il faut d’abord rendre à César ce qui appartient à César. Les équipes féminines du reste du globe ont accru grandement leur qualité de jeu. Le plus grand nombre d’équipes de qualité ou de pays, si vous préférez, qui peuvent aspirer à un titre mondial a également augmenté. Durant de nombreuses années, le titre se disputait entre le Canada et quelques pays du nord de l’Europe, de la Suède, de la Norvège, etc. Avec l’émergence des équipes asiatiques (la chine a remporté le titre en 2009) et le développement rapide de certaines fédérations comme la Russie et autres pays de l’Europe de l’Est, la compétition internationale est beaucoup plus féroce que durant les années de vaches grasses du Canada.

Depuis l’arrivée du curling en compétition officielle aux Olympiques, plusieurs fédérations de curling de divers pays ont injecté des fonds nécessaires au développement des athlètes qui pratiquent le curling dans leur pays. Qui dit plus de sous, dit plus te temps d’entraînement, plus de compétitions internationales, de meilleurs entraîneurs et d’autres choses indispensables à l’épanouissement des athlètes, et cela, peu importe le sport en question. De nombreuses équipes féminines viennent régulièrement participer à des compétitions au Canada pour pouvoir affronter sur une base régulière les meilleures formations au monde et ça porte ses fruits.

Plusieurs formations de calibre international bénéficient également de l’aide d’entraîneurs canadiens. Le meilleur exemple de tous fut la participation du Montréalais Dan Rafael, qui a accompagné la formation de Bingyu Wang jusqu’à la médaille d’or au Championnat du monde en 2009. De nombreuses fédérations font appel à l’expertise canadienne pour faciliter l’apprentissage  et l’émergence de leurs jeunes talents.

Un autre facteur que l’on ne doit pas négliger à mon avis est les conditions de jeu qui s’offrent dorénavant aux athlètes des autres pays. Il n’y a pas si longtemps, Roy Sinclair, président de la fédération mondiale de curling de 2000 à 2006, croyait dur comme fer que la façon dont les Canadiens confectionnaient les glaces de curling n’était pas la bonne. Celui-ci croyait que des glaces de curling ne devaient pas offrir d’effets de courbes aussi prononcées que celles que nous avions ici au Canada. Il croyait en des glaces plus droites. Un détail pour certains, mais je demeure convaincu que ce facteur ralentissait beaucoup le développement des jeunes joueurs européens en particulier,  en plus de leur conférer un très grand désavantage lorsque ceux-ci disputaient un titre mondial en sol canadien. Les joueurs étrangers étaient totalement sidérés devant des glaces si rapides et de si grands effets de courbes. Depuis Les Harrison, un Canadien qui a succédé à Roy Sinclair à la présidence de la Fédération mondiale de curling, cette façon de voir les choses a changé.  Au cours des dernières années, la Fédération mondiale fait de plus en plus souvent appel à des techniciens de glace canadiens pour effectuer le travail lors de compétitions majeures comme les Championnats du monde voire même les Olympiques.

Alors si tous ces facteurs expliquent en grande partie l’émergence de plusieurs excellentes formations au niveau international, pourtant lorsque l’on jette un coup d’œil au classement mondial du circuit féminin, 7 des 10 meilleures formations au monde sont canadiennes. Quatre des cinq meilleures boursières sont Canadiennes! Alors comment expliquer la plus longue disette de l’histoire pour le Canada, avec aucune médaille d’or depuis 2008?

Plusieurs observateurs croient que le processus de qualification des représentantes pour le Canada nuit aux chances du Canada de remporter les plus grands honneurs. Ceux-ci préféreraient voir le Canada désigner sa formation plutôt que de voir les meilleures formations se disputer un titre canadien. D’autres préféreraient utiliser un système de points qui assurerait que la meilleure formation canadienne soit effectivement notre représentante au Championnat du monde (Rachel Homan domine outrageusement le classement mondial pourtant elle n’était même pas au Championnat canadien).

Les Américains entre autres utilisent cette formule. J’ai déjà mentionné dans un blogue précédent mon opposition à cette pratique et les raisons qui les justifient. Je préférais 10 médailles de bronze consécutives au Championnat mondial plutôt que 10 d’or, si le prix à payer était de nous priver d’un championnat canadien visant à désigner notre équipe nationale. Oui, si le Canada désignait Rachel Homan comme équipe nationale au cours des dix prochaines années, le nombre de médailles d’or serait possiblement plus grand mais pas pour autant garanti. Sans compter que le prix à payer serait beaucoup plus élevé pour le développement du curling au Canada.

Alors oui, l’inexpérience de Chelsea Carey en compétition internationale risque de compromettre les chances du Canada de reconquérir le titre mondial. Il pourrait même priver le Canada d’une médaille tout simplement! Mais en tant qu’amateur de curling, je suis prêt à vivre avec ce risque. Pour paraphraser Pierre Corneille, « À vaincre sans péril on triomphe sans gloire », et le plus grand des périls pour Carey ne sera pas son inexpérience au Championnat mondial mais plutôt la pression de porter l’unifolié en curling international. Que l’on soit championne canadienne, équipe désignée ou meilleure au classement mondial n’y changera rien.