Après une très, très longue disette au Championnat mondial de curling  féminin, le Canada a remporté l'or grâce à la performance exceptionnelle de l'équipe de Rachel Homan.

Le Canada n'avait pas grimpé sur la plus haute marche du podium depuis 2008, soit huit années consécutives sans médaille au Mondial. Tous les observateurs sont d'accord pour reconnaître que le curling sur la scène internationale s'est grandement développé depuis que celui-ci est devenu une discipline officielle aux Jeux olympiques, mais de là à passer huit années de suite sans médailles d'or, il y avait de quoi s'inquiéter, non seulement pour les amateurs de curling canadien, mais aussi pour les dirigeants de Curling Canada.

Pourquoi Curling Canada commençait à avoir hâte de voir une de ses formations se couvrir d'or? La réponse est fort simple, c'est une question de dollars.

Le Canada, nous le savons, peut compter sur six ou sept des meilleures équipes au niveau international. Nous n'avons qu'à penser aux capitaines canadiennes Rachel Homan, bien sûr, Jennifer Jones, Val Sweeting, Allison Flaxey, Kerri Einarson, Kelsey Rocque et Chelsea Carey. Elles occupent sept des dix premières places au classement de « L'ordre du Mérite en curling », l'équivalent de l'ATP au tennis.

Sept des dix meilleures boursières sur le circuit sont également canadiennes.

Alors pourquoi s'inquièterait Curling Canada? Le programme de développement va très bien. On continue à développer de nombreux joueurs de talents. On développe encore de nos jours beaucoup plus de joueurs de talent au pays que dans l'ensemble des autres pays membres de la Fédération mondiale de curling réunis. Même les entraîneurs canadiens continuent d'être sollicités par les différentes fédérations au niveau international.

Le problème est que tout ce beau succès en terme de développement doit aboutir en victoires sur la scène internationale pour que Curling Canada continue de toucher sa part du gâteau dans l'obtention de subventions offertes par le gouvernement fédéral.

Être première au classement du « World curling tour » et compter sur sept des dix meilleures équipes au monde n'attire pas l'oeil politique vers notre sport. Ce sont les victoires en compétitions internationales et évidemment celles aux Olympiques qui maintiennent le flot continu d'argent vers les coffres de Curling Canada.

Des sous en curling, le Canada en a besoin plus que toutes les autres fédérations de curling s’il veut maintenir le standard d’excellence qu’il se fixe depuis plus de 50 ans. Pourquoi a-t-on besoin de plus de sous que les autres fédérations me direz-vous? Simplement parce que nous avons plus de bouches à nourrir.

Aucune autre fédération ne peut se vanter d'avoir autant de membres et d'enceintes sportives (club) dédiées uniquement au curling. Il y a probablement plus de clubs de curling dans une ville comme Winnipeg que dans chacun des pays d'Europe membres de la fédération mondiale de curling. Le Canada compte plus de 1000 clubs de curling. Le Danemark, à titre d'exemple, a construit sa première enceinte sportive dédiée au curling après avoir raflé la médaille d'argent aux Jeux de Nagano! Il est facile de concevoir qu'une plus grosse infrastructure est plus coûteuse.

Mis à part l'infrastructure, le maintien de l'élite est également plus onéreux. La plupart des fédérations de curling déploient des efforts pour leurs équipes féminine et masculine, tout en préparant une relève au niveau junior. On met en quelque sorte tous nos oeufs dans le même panier. Sur le plan financier, ces formations reçoivent donc plus que le nécessaire.

Au Canada, il y a un partage entre les nombreuses équipes de talent. Or, ça prend plus d'entraîneurs de haut niveau et plus de camps de perfectionnement, entre autres, pour satisfaire les besoins des équipes désireuses de progresser.

Les insuccès du Canada au niveau international du côté féminin ont apporté de l'eau au moulin aux dirigeants qui pensent que l'on devrait  sélectionner une ou deux équipes et concentrer les ressources pour celles-ci. Je suis convaincu que les dirigeants de Curling Canada ont réfléchi à cette suggestion beaucoup plus souvent au cours des huit dernières années qu'ils le faisaient alors que le Canada remportait en moyenne un Championnat mondial sur deux.

Ironie du sort, cette victoire de Homan, dimanche, va probablement étouffer ou à tout le moins ralentir ce courant de pensée qui commençait à prendre un petit peu trop de place au Canada. Je dis ironie du sort car si jamais le Canada décidait pour des raisons économiques d'appliquer un modèle similaire à celui présenté ci-haut, il y a de fortes chances que l'équipe sélectionnée chez les dames serait celle de Rachel Homan, qui forme depuis quelques années la meilleure formation féminine au monde.

On pourrait presque conclure que cette victoire de Homan, qui aura sans doute pour effet de maintenir active la part de subvention fédérale, pourrait un jour la priver d'une plus grande part du gâteau  prochainement si jamais les dirigeants de Curling Canada décidaient de s'engager dans cette voie.

Les tweets étant très à la mode c'est temps-ci, je me permets de vous en citer un, émis par le joueuse de première position de l'équipe canadienne, Lisa Weagle.

« Today we played for each other, and we played for you Canada (Aujourd'hui, nous avons joué l'une pour l'autre, et pour toi, le Canada). »

Reste à savoir si elle était à ce point consciente de la véracité de ses propos. Oui, elles ont joué pour elles-mêmes, mais cette victoire risque d'avoir des répercussions positives sur l'avenir et le développement de plusieurs autres joueurs au pays.