J'ai un aveu à vous faire. Des nouvelles de moi. Je suis là à vous écrire des chroniques sur la course à pied chaque semaine, mais je suis un imposteur. En fait un imposteur récent.

C'est que, voyez-vous, depuis ma course à Drummondville, le 21 mai dernier. Je n'ai pas couru une seule fois. Pas par choix, mais par obligation. Recommandation du médecin qui m'a dit que si je voulais courir encore longtemps et participer à d'autres marathons, je devais prendre soin de ma cheville droite. Elle me faisait souffrir depuis deux ans, mais j'hésitais toujours à m'en occuper. Je me disais que courir sans douleur, c'était impossible. Que la douleur de courir n'était rien comparativement à la déception de ne pas être en forme. Mais là, j'avais atteint un point de non-retour.

Le matin à mon réveil, mon épouse assistait à un curieux spectacle. Celui d'un homme dans la mi-quarantaine qui tente de marcher droit, mais qui en est incapable. Celui du même homme qui essaie de descendre l'escalier pour aller se faire un café à la cuisine, mais qui doit le faire une marche à la fois, prudemment, un peu comme s'il posait le pied sur une fine glace.

Le tendon d'Achille (le plus imposant des tendons du corps humain) de ma cheville droite me faisait souffrir. C'est un des maux qui affecte le plus les coureurs. Ils seront nombreux à se reconnaître. Au bureau lorsque je me levais pour aller chercher des feuilles à l'imprimante après avoir été assis pendant une heure, oh que je devais me faire violence pour adopter une démarche un tant soit peu régulière. J'avais besoin d'une dizaine de pas avant que les muscles et tendons de ma cheville droite se réchauffent et que je puisse marcher presque normalement. J'étais un vieux camion diesel qui essayait de démarrer!

Les premiers kilomètres de mes courses étaient un vrai calvaire. Une douleur sourde irradiait les tendons de ma cheville lors de mes départs. C'était encore pire si je devais courir en pente. Ça ne pouvait plus durer. Je ne faisais qu'aggraver les choses.

Je devais arrêter, prendre une pause salvatrice pour éviter d'aggraver ma blessure.

Trouver une solution de rechange

Je ne cours donc plus depuis le 22 mai dernier. Et  il en sera ainsi pour encore quelques semaines. Probablement jusqu'au début du mois de septembre. En 20 ans de course à pied, je n'ai jamais pris une pause aussi longue.

Le problème, c'est que je ne suis pas de ceux qui sont capables de s'asseoir et de ne rien faire. Depuis tellement d'années, je m'efforce de faire pomper ce fabuleux organe creux et musculaire qu'on appelle le cœur. Un cœur que je ne souhaite surtout pas voir perdre sa capacité cardio-respiratoire pour tristement me retrouver essoufflé à l'automne après les trois mois de repos de ma fragile cheville droite.

J'ai tendu l'oreille, lu de nombreux conseils et rencontré des amis bien intentionnés qui avaient tous des conseils géniaux pour garder ma forme sans mettre de poids sur ma cheville. D'abord, la natation. Rien de mieux pour faire pomper un cœur au max! C'est vrai. Mais je suis un nageur très très ordinaire qui n'a surtout pas le temps de se mettre à la recherche d'une piscine avec des couloirs pour y faire des longueurs. Et le bonnet de bain qui me donne une tête d'œuf, très peu pour moi.

J'ai essayé de tourner en rond dans ma petite piscine hors terre chez moi. Je démarrais ma Garmin 735 pour connaître ma distance, mes chronos et mes battements cardiaques. Mais j'obtenais seulement un gros tracé rouge imprécis en forme de point sur une carte. Les satellites semblaient se demander qui était l'hurluberlu qui dansait de la sorte. Mon cœur battait fort, mais pour le plaisir, on repassera!

J'ai installé mon vélo stationnaire devant mon cinéma maison et je me suis mis à pédaler en écoutant la télé. Très agréable de regarder les Alouettes ou la F1 à RDS, mais difficile d'apprécier l'action lorsqu'on pédale sans avancer. Ce vélo devient rapidement ennuyeux après une dizaine de journées de suite assises sur sa selle. Et le vent et le soleil me manquaient. Non ce n'était pas pour moi.

Pourtant, c'est avec ce vieux vélo stationnaire que je parvenais à brûler le plus de calories et à faire travailler mon cœur. L'équation était facile à faire et j'ai alors pris une grande décision: celle de sortir de mon cabanon mon vélo Peugeot Urbano acheté en 1984 et faire de la route. Frédéric Plante

Ce vélo semble être le seul que j'ai toujours eu. Je me l'étais procuré à Québec lors de mes études au secondaire en utilisant une bonne partie de mes économies. Une tante, férue de cyclisme, m'avait conseillé d'investir dans quelque chose de bon, mais qui me durerait longtemps. Elle avait raison.

Chaque année, lorsque je fais faire la mise au point de ce vélo qui me permet de parcourir tout au plus quelques centaines de kilomètres avec ma famille, je vois l'hésitation sur le visage des jeunes spécialistes et le respect sur celui des plus âgés. « Oh! Un Peugeot Urbano ISS 550. Il ne s'en fait plus des comme ça. »

Mais allait-il tenir le coup? Serait-il assez solide pour me permettre de pédaler à un bon rythme pratiquement tous les jours?

La réponse est oui! À mon grand étonnement, je monte quotidiennement, tel un chevalier sur sa monture, sur mon vieux vélo depuis un mois et il me transporte partout. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais je maintiens une moyenne de 29-30 km/h sur mon fier destrier dans les rues de ma ville. En ligne droite, je m'étonne de mes pointes de vitesse à près de 40 km/h avec un petit vent de dos. J'ai toujours hâte d'arriver à la maison pour consulter les statistiques sur ma montre Garmin.

Mes sorties en vélo me permettent exactement d'atteindre le but que je m'étais fixé, à savoir celui de me faire pomper le cœur. J'ignore quel est le facteur d'équivalence entre la course à pied et le vélo pour les calories brûlées, mais à l'œil, je vous dirais qu'une heure de vélo intense vaut une bonne course d'une quarantaine de minutes. Certains d'entre vous seront peut-être en mesure de me le dire plus exactement.

J'ai très hâte de recommencer à courir. Mais j'aurai retenu une bonne leçon de cette pause. Celle de l'importance de varier les sports pratiqués pour éviter les blessures. Dorénavant, le vélo fera partie de mon entraînement. Les tendons de ma cheville droite seront moins sollicités .

Reste à savoir si je continuerai d'utiliser mon antiquité sur deux roues, ou si je m'équiperai d'un engin capable de faire le tour de France.  Entre-temps, si vous voyez passer un cycliste portant des vêtements pour joggeur, mais filant à toute allure sur une fusée d'un autre âge ne vous surprenez pas. C'est juste un gars qui essaie de garder la forme. Un imposteur du vélo!