Par Eric Theroux - Seriez-vous prêts à quitter la maison à 19 ans et aller vivre aux États-Unis avec une demi-douzaine d’autres gars pour vous entraîner au moins 6 heures par jour, 6 jours par semaine? C’est le genre de vie qui attend la majorité des athlètes sportifs avec de l’ambition et celle qu’a choisie un jeune québécois quand il a décidé de rejoindre le circuit professionnel de League of Legends. Laissez-moi vous présenter Philippe “Vulcan” Laflamme, un des espoirs de l’équipe Clutch Gaming qui a vécu son premier match sur la grande scène de la North American League Championship Series (NALCS) cette année. J’ai eu le privilège de m’entretenir avec ce jeune homme, voici le condensé de l’entrevue.

 

ET: Bonjour Philippe, merci beaucoup de m’accorder cette entrevue pour la section esport de RDS. Tu viens de terminer tes entrainements, je crois? J’aurais quelques questions pour apprendre à mieux te connaître et comprendre ton parcours pour devenir un professionnel de League of Legends. 

PVL: Oui, parfait.

 

ET: À quel moment tu as réalisé que LOL ce n’était plus un passe-temps, mais bien une possibilité de carrière?

PVL: J’avais fait quelques LAN pour le fun et après en avoir gagné j’ai réalisé que j’avais le potentiel pour aller pro. J’ai donc fait de plus gros événements amateurs pour monter dans le classement. J’avais toujours in the back of my head que je pourrais aller pro si je voulais vraiment. Donc, lâcher l’école et juste commit là-dessus.

 

ET: Comment on fait pour se faire recruter dans une équipe professionnelle comme Clutch Gaming?

PVL: Il faut que tu te démarques quand tu joues avec les pros des autres équipes et qu’ils veulent jouer avec toi. Et il y a ça depuis 2 années, les scouting grounds, où je suis allé. Ils (les équipes professionnelles) regardent les nouveaux talents. Il y a 20 joueurs qui jouent ensemble et les meilleurs joueurs sont recrutés à la fin. C’est un bon système pour recruter.

 

 

ET: Et c’est là que Clutch gaming t’a offert un contrat jusqu’en novembre 2020. Est-ce que tu pourrais être échangé si Clutch gaming voulait offrir ton contrat, un peu comme au hockey où tu appartiens à l’équipe?

PVL: Oui c’est possible si une équipe montre de l’intérêt, ils peuvent contacter mon organisation pour pouvoir m’acheter… ouin, c’est ça. (petit rire)

 

ET: Quand tu as pris la décision d’aller jouer professionnel, comment a réagi ta famille?

PVL: Ils savaient que j’étais un joueur de haut niveau, mais ils ne pensaient pas que j’allais y aller à plein temps. Dans le fond j’allais au Cégep et en même temps que je jouais semi-professionnel. La première année je n’ai pas pu me qualifier pour les scouting grounds. Donc pour la deuxième j’ai décidé d’aller à temps plein sur LOL pour pouvoir juste focaliser là-dessus et avoir un bon niveau pour les scouting grounds. Je leur ai annoncé que j’allais lâcher l’école pour tenter ma chance durant l’été juste avant que le cégep commence. Ça a été une pas pire surprise qu’ils n'étaient pas tant contents, mais après ils m’ont dit qu’ils me faisaient confiance, que si je pensais que j’étais assez bon pour le faire, je pourrais avoir une session off pour tenter et que si ça ne marchait pas je retournerais à l’école.

 

ET: Est-ce que le fait de parler français dans ta vie de tous les jours ça a été un atout?

PVL: Je dirais qu’au début quand j’ai commencé à jouer avec des équipes anglophones c’était un obstacle parce que, même si je n’étais pas gêné avec mon anglais, je n’étais pas très à l’aise. Je communiquais moins qu’avant avec des équipes francophones. Ça m’a pris un certain moment d’adaptation pour pouvoir jouer au même niveau habituel tout en parlant anglais et en communiquant les affaires que j’ai besoin de communiquer. Après quelques mois de jeu avec les équipes anglaises je me suis habitué et je ne vois pas de différence avec le fait que je parlais français et les autres dans l’équipe américaine.

 

 

ET: Comment se passe ton quotidien avec l’équipe Clutch gaming et Clutch Academy? 

PVL: On a deux maisons, celle pour l’équipe Academy et l’autre pour la main team. On joue dans une pièce qu’on appelle la gaming room où il y a tous nos ordis. Nos matchs pour l'Academy se jouent de là, en ligne, alors que la LCS c’est sur place (dans le stade de la NALCS). Par contre, la plupart des équipes sont en train de développer des bureaux, qui est une place différente de leurs maisons et de là où ils dorment. Juste pour pouvoir séparer le travail et ta vie quotidienne. Je pense que Clutch va vouloir changer pour ça aussi l’année prochaine, je pense que la plupart des équipes vont avoir ce système-là.

 

ET: Et de quoi a l’air l'entraînement dans une semaine typique? 

PVL: Mes journées commencent à 11h avec un premier bloc de scrim, un entraînement où on joue 3 matchs contre une autre équipe. Après on a une heure de break où on peut manger. Ensuite on a 3 autres games contre la même équipe ce qui nous amène à 6h de jeu. Après on a du temps libre, mais tout le monde s’attend à ce qu’on joue la soloQ qui est le système de classement public. Et ça, c’est 6 jours par semaine avec une seule journée de congé. C’est notre horaire pendant les deux splits (un split dure 9 semaines excluant les finales). On commence deux semaines avant le début pour s'entraîner avec l’équipe, entre les splits il y a la off season où on n’a pas vraiment d’obligation et on recommence. Il faut vraiment que tu t’impliques.

 

ET: Comment est-ce que Clutch t’a annoncé que tu allais jouer support dans un match de l’équipe principale contre l’équipe 100 Thieves?

PVL: Le dimanche avant cette fin de semaine là, je me suis fait dire que j’allais essayer de jouer avec l’équipe de la main team. Ils voulaient essayer différentes options d’équipe et voir les différentes line-up pour voir ce qui serait le meilleur pour cette fin de semaine. Et après avoir pratiqué avec l’équipe pendant plusieurs matchs, ils ont décidé d’y aller avec moi. J’étais extrêmement content de pouvoir finalement jouer sur le plus gros stage. C’est le but quand tu joues à LOL et que tu es professionnel, pouvoir jouer LCS, et j’étais extrêmement fier de pouvoir jouer.

 

 

ET: Et l’arrivée sur scène, c’est comment?

PVL: J’étais vraiment stressé avant le match et en montant sur le stage, mais une fois arrivé dans la game je suis comme rentré dans la zone et j’ai oublié les facteurs extérieurs pour me concentrer sur mon jeu.

 

ET: Clutch Gaming a un Summer Split plus difficile, comment est le moral?

PVL: Selon mon expérience qui a été assez brève avec l’équipe principale, je dirais que le moral est assez bas comparé au Spring Split où ils ont fait les playoffs et gagné contre TSM. Mais là ne pas faire les playoffs et être dernier pendant un petit bout ça a affecté le moral de plusieurs. Et les performances je donne ça au fait que le jeu a beaucoup changé entre les deux splits et il y a des affaires vraiment différentes ou bizarres dans le jeu en ce moment.

 

ET: Tu dirais que votre adaptation a été difficile avec la mise à jour 8.13?

PVL: Dans cette patch j’ai été avec la team Academy et notre jungler c’est quelqu’un qui aime vraiment ça expérimenter alors on a mis plusieurs choses en pratique. Je dirais que notre succès était assez élevé comparé aux autres équipes. Mais l’équipe principale a eu plus de difficultés puisque c’était une patch qui se concentrait surtout sur le mid and jungle et il fallait que la synergie entre les deux soit extrêmement bonne. C’était plus difficile entre ces deux-là et ils ont eu plus de difficulté à s’adapter tandis que nous en Academy on a eu du succès grâce à ça.

 

ET: Tu considères donc que ta synergie avec ton partenaire, Piglet, est bonne?

PVL: Oui, je dirais qu’on s’entend bien. C’est un peu nécessaire si c’est pour jouer dans la même équipe de bien s’entendre. Si tu veux t‘arracher la face, ça va mal finir. Considérant qu’on est dans les playoffs, oui, je dirais que ça va bien.

 

 

ET: Est-ce que votre préparation pour les matchs de finales est différente?

PVL: On commence en après-midi, pour plus simuler ce qu’on va vivre. Dans le fond c’est des best of 5 les playoffs, alors on fait des best of 5 complets, peu importe les résultats. On joue un peu plus tard parce que notre match sera à 3 heures. Donc, on essaie de simuler l’environnement qui va être on stage.

 

ET: Qu’est-ce que tu réponds à ceux qui disent que le esport ce n’est pas un sport?

PVL: Honnêtement ça ne me dérange pas tant que ça. Je comprends le monde d’où ils viennent s’ils disent que ce n’est pas un sport, qu’il n’y a pas d’action physique. Comme les échecs. Mais que ce soit un sport ou pas ça ne me dérange pas vraiment, je fais juste jouer parce que j’aime ça, j’aime la compétition. Les termes du jeu, sport ou non, ça ne m’affecte pas vraiment

 

ET: Pour terminer, quel conseil tu donnerais aux jeunes qui envisagent une carrière dans le esport?

PVL: Je dirais que malgré que c’est possible qu’un québécois ait une carrière dans le esport de nos jours, il faut toujours avoir un plan B. Ne pas lâcher l’école, même si c’est ce que j’ai fait à moins que tu sois convaincu que tu peux avoir du succès. Le pourcentage de personnes qui ont du succès est quand même très bas par rapport au nombre de personnes qui essaient de percer. Donc, continuer l’école, un travail, avoir un plan B c’est toujours nécessaire.

 

Encore une fois félicitations et bon succès dans les playoffs.

 

Entre le temps d’écrire ces lignes et la publication de cet article, Vulcan et Clutch Academy ont disputé leurs matchs de quart de finale qu’ils ont malheureusement perdu 2-3.