Je ne suis pas dans le vestiaire des Alouettes et vous non plus. Il y a toutefois lieu de se poser quelques questions après la plus récente défaite contre les Stampeders de Calgary.

De l’extérieur, il n’est pas facile d’essayer de comprendre ce que le personnel d’entraîneurs des Alouettes tente d’accomplir, mais chose certaine, il semble croire en sa façon de faire et son système.

Confiance aveugle? Je ne sais pas, mais cela relèverait davantage de l’arrogance que de la confiance.

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En voyant tous ces entraîneurs américains débarquer à Montréal, on était en droit d’espérer une seule chose et c’est une certaine dose d’humilité de leur part afin d’accepter le fait que le football de la LCF est totalement différent de celui qui se joue au sud de la frontière.

Des ressources, de l’expérience et de l’expertise, Dan Hawkins et ses hommes en ont à portée de main pour faciliter leur transition. D’abord et avant tout, ce personnel d’entraîneurs peut toujours compter sur Anthony Calvillo, qui après 20 ans de service dans ce circuit, est une source inépuisable de savoir.

À titre de conseiller spécial, Doug Berry en est un autre qui peut faire profiter l’équipe de son expérience à titre d’entraîneur de la ligne à l’attaque, de coordonnateur offensif et d’entraîneur-chef dans la LCF.

J’espère seulement qu’on les utilise à bon escient, mais permettez-moi d’en douter.

En plus de Calvillo et Berry, Hawkins et son coordonnateur à l’attaque Mike Miller auraient pu se rabattre sur les bandes vidéo des deux premiers matchs des Stampeders cette saison, car on ne se le cachera pas, au football il y a beaucoup de copier-coller.

Après avoir concédé un total de 68 points face aux attaques de Jacques Chapdelaine (Lions) et George Cortez (Roughriders), deux des meilleurs coordonnateurs offensifs de la ligue, la défense albertaine était vulnérable. L’occasion était donc belle pour les Alouettes de déceler ses faiblesses. Quand tu vois une équipe connaître du succès avec certains jeux, pourquoi ne pas les copier et les utiliser à son avantage? Tout le monde le fait et c’est justement pourquoi  les bandes vidéo sont disponibles.

Or, j’ai le malheureux sentiment que le personnel d’entraîneurs montréalais se prive de toutes ces connaissances et données. Ça donne ce que ça donne...

Un mirage

Le temps d’une séquence offensive, leur première du match face aux Stampeders vendredi soir, les Alouettes ressemblaient aux Alouettes des dernières années.

Scriptée afin d’analyser les premières réactions de la défense adverse, cette série de jeux composée de passes courtes, de passes-pièges, de courses et d’un beau vote de confiance en situation de troisième essai a été couronnée par un touché du receveur Brandon London. Le ballon a été bien distribué et presque tout le monde, à l’exception de Jamel Richardson, a été impliqué.

On a alors vu tout le potentiel de cette attaque, qui est encore bien présent, croyez-moi. Car après tout, ce sont les 12 mêmes joueurs de l’an dernier qui composent cette unité. Il s’agit maintenant d’afficher un peu plus de constance afin que ce potentiel se transforme en production. Présentement, c’est loin d’être le cas.

Après avoir vu London poser les pieds dans la zone des buts, les Alouettes ont obtenu le ballon à 12 autres reprises. Qu’en ont-ils fait? Huit dégagements et quatre revirements. En sept occasions, les Montréalais ont effectué deux jeux avant d’inviter Sean Whyte à dégager le ballon. La panne sèche quoi.

Ce qui me saute d’abord aux yeux, c’est où est le jeu au sol?

Contre les Blue Bombers de Winnipeg une semaine plus tôt, les Alouettes avaient effectué 12 courses. Deux d’entre elles étaient des balayages rapides vers Noel Devine. On ne peut pas vraiment qualifier cela de véritable course pour la ligne à l’attaque. Si le synchronisme est à point, Devine n’a besoin que d’un bloc d’un receveur à l’extrémité de la ligne d’engagement pour réaliser un jeu intéressant. La ligne à l’attaque n’a qu’à pourchasser les secondeurs plutôt que de frapper et marteler la ligne défensive.

Les Alouettes n’ont donc réalisé que 10 vraies courses contre les Bombers, ce qui est très peu. L’effet immédiat c’est que les Oiseaux n’ont pas contrôlé le temps de possession, comme en témoignent les huit minutes supplémentaires des Bombers avec le ballon.

Contre les Stampeders, les Alouettes ont également effectué 12 courses. L’une d’entre elles a été un balayage rapide vers Arland Bruce III. À celle-ci, il faut ajouter trois courses de Calvillo, qui a plutôt opté pour cette option afin de sauver sa peau. Ce sont donc des passes qui se transforment en courses improvisées car Calvillo est sous pression. Au lieu d’un sac du quart, c’est une course pour un gain minime.

Le porteur de ballon Brandon Whitaker n’a donc obtenu le ballon qu’à huit reprises. Dans trois de ses courses, il s’est substitué en quart auxiliaire pour prendre directement la remise et aller chercher le premier jeu en situation de court gain. En pareilles situations, Whitaker a finalement grugé un total de cinq verges.

Je l’ai déjà souligné dans cette tribune, je suis surpris que l’équipe n’ait pas encore concocté une série de jeux spécifique au quart réserviste pour ce type de situation. Imaginez-vous un instant que Whitaker, le porteur de ballon numéro un de cette équipe, se blesse sur un jeu de la sorte.

Une série de jeux comme celle-là aurait peut-être été utile aux Alouettes au quatrième quart, alors qu’on était en situation de 2e essai et deux et de 2e essai et trois. Plutôt que d’y aller d’une faufilade du quart comme on le faisait ces dernières années avec Adrian McPherson, les Alouettes ont dû se contenter de deux passes incomplètes, en plus de donner le ballon aux Stamps sur un revirement.

Whitaker n’a donc effectué que cinq « vraies » courses pour des gains totaux de 37 verges. C’est honteux! Je ne me souviens pas d’avoir déjà été témoin de cela. D’où les problèmes de cette attaque anémique.

Trop prévisible

En situation de premier essai et 10 verges à franchir, les Alouettes ont opté pour cinq courses et 20 passes... De quoi faciliter la tâche du coordonnateur défensif adverse, qui a fait face à une attaque assez prévisible merci.

Pour connaître du succès, les porteurs de ballon ont besoin de plusieurs répétitions afin d’identifier la stratégie de la défense adverse. Ce n’est pas pour rien que les meilleurs demis à l’attaque font la plupart de leurs dommages en deuxième demie et au quatrième quart. C’est à ce moment qu’une équipe récolte les dividendes des courses tentées en première demie.

Force est de constater que là n’est pas la stratégie des Alouettes. Ils ne le font jamais. Ils avaient pourtant le parfait exemple devant eux vendredi soir.

Les Stampeders ont en effet proposé un bel équilibre en situation de premier essai et 10 avec 17 courses et 18 passes. Ils auraient pu délaisser le jeu au sol après avoir vu leur porteur de ballon étoile Jon Cornish récolter que six verges au premier quart. Cela ne les a pas empêchés de continuer à lui faire confiance. Cornish a complété la rencontre avec 18 courses pour 90 verges de gains. Ils ont gardé le cap et ce fut payant. Tout le contraire des Alouettes.

En ne diversifiant pas ses jeux, l’attaque joue dans la main de la ligne défensive adverse, qui n’a pratiquement pas à se préoccuper du jeu au sol. Tout ce que les joueurs de celle-ci ont à faire est de se mettre en position sprinteur et attaquer le quart. Ils profitent donc de multiples occasions pour conditionner la ligne à l’attaque à un certain patron de jeu. Ensuite, ils n’ont qu’à soudainement opter pour une tactique distincte et réaliser le gros jeu.

On en a eu une première preuve contre les Bombers, qui ont fait usage de nombreux jeux en croisé tout au long de la rencontre. Puis, en toute fin de match, Bryant Turner a battu rapidement le garde des Alouettes Scott Flory avec une technique à l’intérieur. Il a fait croire qu’il s’agissait encore d’un jeu en croisé et Flory s’est fait avoir tellement il était conditionné.

Contre Calgary, ce fut au tour du centre Luc Brodeur-Jourdain de tomber dans le piège. Après avoir encaissé quatre ou cinq charges du taureau de la part du joueur devant lui, le Québécois a donc mis tout son poids vers l’avant, mais il été déjoué par une esquive tout en finesse qui a mené à un sac du quart.

Tout ça pour dire que la sélection de jeux est loin d’aider les joueurs de la ligne à l’attaque, qui sont sans doute fort mécontents. Ils seront les premiers à dire que s’ils doivent travailler de sorte à permettre 60 passes durant un match, ils vont le faire. Même chose si leur mandat était d’offrir six secondes de protection à Calvillo. La réalité est cependant toute autre. Les joueurs de l’autre côté du terrain sont eux aussi excellents et il faut mettre les joueurs dans une position où ils peuvent mener l’équipe à la victoire.

Dans leur seule victoire de la saison, acquise par la marque de 38-33 face aux Blue Bombers, les Alouettes avaient effectué 21 courses. C’est la seule fois où la formation montréalaise a remporté la bataille du temps de possession. Tirez-en votre propre conclusion...

Non seulement le jeu au sol est-il pratiquement inexistant, on ne voit plus de passes-pièges au sein de cette attaque. Je ne veux pas vivre dans le passé, mais dans l’ancien système, tout le monde, absolument tout le monde, avait sa passe-piège. Porteur de ballon, centre-arrière, ailier rapproché, receveur de passe, tous les joueurs touchaient au ballon. C’est à se demander si le gérant de l’équipement de l’équipe Ronnie James n’en avait pas une lui aussi! Il s’agissait d’une arme redoutable permettant de refiler le ballon rapidement à des joueurs d’impact.

Ce n’est donc pas pour rien que les Alouettes sont bons derniers pour les verges amassées après l’attrapé. Ils n’en font plus des jeux comme ceux-ci. On a de gros receveurs capables d’éviter les plaqués et il faut absolument en tirer avantage.

C’est sans compter qu’on n’utilise pas le mouvement des receveurs avant la levée du ballon, ce qui est pourtant illimité dans la Ligue canadienne. Ç’a peut-être l’air de rien comme ça, mais le mouvement des receveurs a plus d’une utilité.

D’abord, ça permet au quart-arrière d’aller chercher de l’information sur la couverture de passe employée par l’adversaire. Quand les receveurs se mettent à bouger, la défense adverse donne des indices avec sa réaction. Ça prépare donc le quart dans sa prise de décision.

Beaucoup de mouvement des receveurs permet aussi de mettre un doute dans la tête des demis défensifs en plus de mettre leur communication à l’épreuve. La moindre mauvaise interprétation ouvre la porte à un gros jeu payant.

Comme si ce n’était pas assez, je n’ai pas encore vu les Alouettes utiliser une technique qui les a pourtant si bien servis au fil des dernières années : le faux départ. Après avoir amorcé leur mouvement, les receveurs arrêtent et reculent, ce qui force la défense adverse à montrer ses cartes. Calvillo avait alors l’option de garder le jeu ou le changer. Je n’ai pas encore vu de changements de jeux à la ligne d’engagement même si on a un gars d’expérience sous la main.

Tout ça a pour résultat que les demis défensifs jouent sans penser face aux Alouettes. Ils n’ont qu’à réagir et soutirer le maximum de leurs capacités athlétiques en y allant à 100 milles à l’heure.

Une défense tenace

Heureusement pour les Alouettes, ils ont une fois de plus pu compter sur leur défense face aux Stampeders. Cette dernière a en effet plié, mais elle n’a pas cassé.

Tenace, cette unité a été particulièrement efficace dans la zone payante, alors qu’elle a forcé plusieurs bottés de dégagement et de placement. Il est évident que sans elle, le match n’aurait pas été aussi serré au tableau indicateur.

Toujours sur le terrain en raison des insuccès chroniques de l’attaque, la défense n’a toutefois pas été à l’abri des ennuis. Elle a notamment permis aux Stampeders d’effectuer de longues séquences offensives.

Le quart-arrière numéro deux des Stamps,  Kevin Glenn, a été impressionnant. Je lui lève mon chapeau. Victime de cinq sacs du quart, il a été pourchassé pendant toute la soirée. La défense montréalaise l’a forcé à penser, lancer et exécuter rapidement. Ce n’est pas confortable que d’affronter la défense des Alouettes.

Malgré cela, Glenn a gardé son sang-froid, complétant 75% de ses passes et étant victime d’aucune interception. Il est demeuré calme et il a étiré des jeux quand il en a été capable. Il a de plus affiché une belle mobilité quand c’était le temps.

Là où il a vraiment mérité sa paie, c’est en situation de deuxième essai, alors qu’il a permis aux siens de prolonger plusieurs séquences. Il a complété 11 de ses 13 passes tentées (84%) en pareilles circonstances pour 164 verges. Cela a permis aux Stampeders de contrôler le temps de possession.

Les Alouettes ont par ailleurs éprouvé un problème de discipline en écopant de 13 pénalités pour 143 verges. C’est presque un terrain et demi qu’on a offert aux Stampeders. La plupart d’entre elles ont été décernées à la défense, mais il faut l’accepter.

Après les deux premiers matchs de la saison, j’étais même surpris que les Alouettes n’aient pas écopé de davantage de punitions avec une défense aussi combattive et agressive. Les demis défensifs et les secondeurs n’avaient pas encore été victimes d’une seule pénalité pour obstruction à l’endroit d’un receveur.

Contre Calgary, ils ont toutefois été pénalisés en quelques reprises, mais cela vient avec le style. Il faut vivre avec car on demande aux demis défensifs d’être très combatifs et d’accrocher les receveurs dans une couverture homme à homme.

Le monde à l’envers

Les unités spéciales sont quant à elles de plus en plus solides, elles qui ont inscrit un deuxième touché cette saison à la suite d’un botté de dégagement bloqué. Cela donné une chance aux Alouettes de revenir dans le match. Malheureusement, ce n’est pas survenu.

Sur les retours de botté de dégagement, ce fut un peu plus difficile, alors que les Alouettes n’ont obtenu que huit verges de gains en quatre retours. Le plus long a été de trois verges. Il y a donc encore du travail à faire.

Bref, c’est le monde à l’envers comparativement aux dernières campagnes. La défense et les unités spéciales gardent le fort pendant que l’attaque piétine.

Dan Hawkins a tous les outils en main pour adresser la situation et soutirer le meilleur d’une attaque autrefois dévastatrice. Ce qui n’est pas sans me rappeler une petite anecdote.

En 1997, alors que j’évoluais avec  les Argonauts de Toronto, Doug Flutie était notre quart-arrière et Don Matthews notre entraîneur-chef. Après avoir soulevé la coupe Grey en 1996, l’équipe a procédé à un changement au poste de coordonnateur à l’attaque.

Je me souviendrai toujours du message lancé d’entrée de jeu par Matthews à son nouveau coordonnateur, avec quelques jurons bien placés, bien sûr. « Niaise pas avec Flutie. Arrange-toi pour qu’il soit de bonne humeur, content et confortable, car si l’un d’entre vous en venait à devoir partir, ce ne serait pas lui... »

*Propos recueillis par Mikaël Filion