On savait que ça n’allait pas être facile pour Johnny Manziel à son premier départ dans la LCF, mais je dois vous avouer que j’avais entretenu un peu plus d’espoir. Il fallait cependant être réaliste. C’est une nouvelle équipe oui, mais une nouvelle ligue également.

Malheureusement pour les Alouettes et Manziel, j’ai trouvé que ses meilleurs moments sont survenus lors des entrevues d’après-match. Évidemment, j’exagère un peu avec cette petite blague, mais j’ai aimé son humilité, son calme et son leadership alors qu’il a pris sa part de responsabilités. C’est venu me chercher et je trouvais ses propos intéressants. C’est plate à dire, alors que je relève parmi ses meilleurs moments vendredi son discours après la rencontre devant les Tiger-Cats de Hamilton, mais c’est tout de même pertinent de le mentionner, alors qu’il ne s’est pas défilé.

Il n’est pas tout seul dans cette histoire. J’avais avancé avant la rencontre qu’il allait avoir besoin de soutien et qu’il ne pouvait tout faire. Il ne sera pas le sauveur et il ne joue pas en défense ou sur les unités spéciales. Ces dernières n’ont pas contribué de manière positive contre les Tiger-Cats, ce qui explique le pointage sévère de 50 à 11.

Chaque semaine, on se retrouve avec des acteurs différents, mais le scénario demeure le même.

Manziel a sa part de blâme, mais pas la totalité

On peut prendre le temps de décortiquer dans un premier temps les quatre interceptions de Manziel. Techniquement, sa première est survenue sur sa deuxième passe du match, alors que le premier jeu à BJ Cunnigham est considéré comme tel, même s’il s’agit d’une courte remise vers l’avant. Ce jeu n’est allé nulle part, si bien que Manziel s'est retrouvé avec un 2e essai et 15 verges profondément dans son territoire.

Ce n’est pas une position idéale à négocier. C’est certain que c’est facile d’en faire le constat ensuite, mais il aurait peut-être été plus sage de se tourner vers un jeu avec un plus haut pourcentage de réussite, même si le premier jeu n’allait possiblement pas être obtenu à sa suite. Les Alouettes auraient pu se tourner vers une passe-piège par exemple. L’unité défensive des Tiger-Cats a très bien joué sur cette séquence, il faut le dire, alors que Larry Dean a entamé le jeu sur la ligne défensive afin de feinter qu’il s’amenait en pression et il a reculé ensuite au centre pour réaliser l’interception.

Les conditions n’étaient donc pas optimales pour le quart de 25 ans à sa première « réelle » tentative de passe avec les Alouettes.

Sur son deuxième revirement du match, il est difficile de lui faire porter le chapeau. Le ballon venait tout juste d’arriver dans ses mains après la remise qu’il avait déjà trois joueurs des Tiger-Cats sur le dos. Il n’a même pas eu le temps de placer ses doigts sur les lacets du ballon qu’il devait tenter de faire fi de la pression. Il parvient à l’éviter du mieux qu’il peut et sa passe rebondit ensuite sur les mains de Tyrell Sutton avant de terminer sa course dans celles de Jumal Rolle. Il n’y pouvait pas grand-chose.

La troisième interception est cependant une mauvaise décision alors qu’il a tenté le gros jeu et il s’est fait prendre. Je vous rappelle qu’elle est survenue sur un troisième essai et Sutton me semblait libre, mais encore, Patrick Lavoie était fin seul et il pouvait obtenir le premier jeu. Il avait donc un joueur à découvert, mais il a opté pour une passe dans les zones profondes qui s’est retrouvée encore une fois dans les mains de Rolle.

Lorsque je regarde sa dernière interception, oui on peut dire qu’il a voulu forcer le jeu en tentant une passe en déséquilibre, mais s’il se retrouvait dans une telle position, c’est parce qu’il se faisait plaquer encore une fois. Dans les circonstances, il cherchait à provoquer une étincelle en attaque et c’est à ce moment que de tels revirements arrivent. Dans cette situation, un sac aurait évidemment été mieux qu’une interception, mais il faut aussi comprendre le joueur qui n’avait définitivement pas ce scénario en tête comme premier match dans la LCF.

C’est évident que la soirée a été difficile, mais lorsque j'analyse la rencontre, je suis bien plus inquiet par la ligne à l’attaque, la ligne défensive et par l’unité défensive dans son ensemble que par Johnny Manziel. On sait qu’il va s’améliorer comme quart, mais les autres unités, je commence à avoir des doutes. C’est difficile et encore là vous comprenez que le mot est faible.

Une domination dans la guerre des tranchées

On parle toujours du cliché qu’il faut gagner la guerre des tranchées, mais on s’entend que c’était loin d’être le cas vendredi.

Au niveau de la protection, j’avais l’impression de voir par moments des blocs pour des passe-pièges alors que ce n’était pas le jeu qui avait été commandé des lignes de côté. Sur ce type de jeu, on laisse le joueur de ligne défensive se rendre au quart après l’avoir légèrement ralenti. On semblait assister à ce genre de séquences, mais le problème c’est que le jeu n’était pas une passe-piège. Manziel n’avait même pas le temps de faire sa première lecture qu’il devait éviter la pression. N’importe quel quart va avoir des ennuis dans cette situation.

La combinaison ne peut être gagnante pour la ligne à l’attaque alors que d’autres changements sont survenus, non seulement avant le match, mais également pendant ce dernier. C’était la septième ligne différente en autant de matchs, mais les rotations en cours de rencontre en ont créé une huitième. La cohésion et la communication deviennent impossibles à établir. Les entraîneurs auraient intérêt à sélectionner cinq joueurs et à rester avec ces mêmes cinq joueurs pour la suite. Qu’ils leur donnent au moins quatre matchs pour se familiariser, car présentement il n’y a aucune stabilité et cette recette ne peut fonctionner dans le football professionnel.

Ce n’est guère plus rose du côté de la ligne défensive des Alouettes. Si on met de côté John Bowman et certains bons flashs de Woody Baron, on n’a pas eu grand-chose à se mettre sous la dent.

Il faut se le dire, nous sommes loin de la « défense de championnat » que voulait bâtir Kavis Reed. Après avoir congédié Noel Thorpe, le directeur général des Alouettes disait qu'il fallait une défense se situant dans le top-3 de la ligue, or sa défense figure au neuvième et dernier rang de la LCF. L'édition 2018 est la sienne. Il y a clairement un manque de talent et de profondeur sur l'unité défensive et le match de vendredi tant à mettre ces lacunes au grand jour.

On a tellement vu de formation avec seulement trois joueurs sur la ligne que je commence à me demander si ce n’est pas un constat du coordonnateur défensif, alors qu’il a évalué qu’il n’avait pas la profondeur nécessaire à cette position pour y aller à quatre joueurs et connaître du succès.

Les Tiger-Cats ont quelque peu commencé à nous montrer que cette hypothèse était plausible. Avant le match de vendredi, Hamilton était l’équipe qui déployait le plus souvent six joueurs de ligne à l’attaque à travers la ligue. Plus de la moitié des jeux offensifs des Tiger-Cats étaient disputés avec un sixième joueur sur la ligne, à la position d’ailier rapproché, afin d’aider le travail de ses coéquipiers et d'offrir plus de temps à Jeremiah Masoli. C’est drôle, mais contre les Alouettes, on n’a pas vu cette stratégie de leur part. Est-ce qu’ils se sont dit qu’ils n’avaient pas besoin d’un sixième bloqueur pour faire face à la pression? Visiblement, ils ne respectaient pas la ligne défensive des Montréalais. Les seules fois où je les ai vus utiliser six joueurs sur la ligne, c’était lors des situations de courts gains où c’est normal de voir une telle recette. À un certain point, ça me dit que dans leur évaluation, ils jugeaient qu’ils pouvaient faire appel à un receveur supplémentaire.

Une personne qui regarde les statistiques pourrait par contre avancer que les Alouettes et les Tiger-Cats ont chacun enregistré deux sacs du quart au cours du match. C’est vrai, mais pour ceux qui ont vu la rencontre, Manziel était constamment sous pression, alors que Masoli n’a presque pas eu à vivre pareille situation. C’est à ce moment qu’on voit, et je me répète, que les sacs du quart, c’est une statistique trompeuse.

La ligne défensive n’est pas à seule à connaître des difficultés en défense, alors que la tertiaire a donné beaucoup trop d’espace aux receveurs adverses. L’espace est ton ennemi en défense, alors tu veux la réduire, que ce soit entre les ailiers défensifs et le quart ou entre les demi-défensifs et les receveurs. Le terrain alloué aux Tiger-Cats était immense. Encore une fois, on a vu des receveurs des saisir des ballons et il n’y avait aucun joueur des Alouettes visibles à la caméra lors de la reprise en isolé.

C’est pour ça que je suis davantage inquiété par la prestation de certaines unités que par le match de Johnny Manziel.

Un manque de gaz dans le réservoir?

Si ce dont je viens de vous parler représente un méchant casse-tête pour le groupe d’entraîneurs, il y a un autre facteur qui me chicote dernièrement. J’assiste à plusieurs entraînements des Alouettes, mais je le concède, je ne vois pas tous les entraînements de l’équipe au cours d’une semaine. Cependant, de ce que j’ai vu et noté, les séances sont très longues et il y a beaucoup de répétitions.

Pourquoi je relève le tout? C’est encore une fois des commentaires des joueurs après la rencontre qui m’ont mis la puce à l’oreille. Patrick Lavoie a laissé entendre que l’équipe n’avait pas de jus. Ensuite, sur le plateau pour l’émission d’après-match, il a dit qu’ils étaient « ultra flat ». Mike Sherman a fait savoir que les joueurs avaient connu d’excellents entraînements avec beaucoup d’énergie, mais que cette dynamique ne s’est pas transposée dans la rencontre. À cet instant, de petites lumières rouges se sont allumées dans ma tête, car j’ai déjà vécu ce genre de situation.

Je vous avertis qu’au premier regard, ça peut sembler drôle à dire, mais si une équipe joue des matchs à chacune des pratiques, joue avec la même intensité, il ne reste plus de gaz dans le réservoir le jour de la partie.

Cette équipe a visiblement des lacunes en ce qui concerne le talent, mais en plus, les joueurs arrivent au match avec un réservoir à moitié vide. Ce n’est pas une bonne formule. La préparation n’implique pas uniquement les bonnes stratégies, mais également la gestion de l’énergie chez les joueurs. C’est ça aussi préparer une équipe.

Lorsque j’entends des joueurs dire qu’ils n’avaient plus d’énergie après seulement sept matchs, alors qu’ils ont pu profiter d’une semaine de congé, je ne trouve pas ça normal.

J’ai connu des entraîneurs qui faisaient des entraînements longs et difficiles et au final ça n’avait pas été payant. Le meilleur exemple, c’est à ma dernière saison avec les Alouettes. Nous avions amorcé la saison avec une fiche de 9-2. À l’époque, on portait nos épaulettes à chacun des entraînements, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. L’intensité était élevée et nous avions l’impression de jouer des matchs chaque fois que nous étions sur le terrain. Au final, nous avons eu plusieurs blessés en deuxième moitié de saison, nous avons conclu la campagne avec un dossier de 9-9 et nous avons perdu notre premier match éliminatoire. Les joueurs n’avaient plus d’énergie et tombaient comme des mouches parce qu’ils étaient blessés.

Je sais que c’est drôle à dire à l’endroit d’une équipe qui a seulement une victoire et six revers cette saison et on s’attend à ce qu’elle doive travailler encore plus. C’est là que les Alouettes tombent dans un cercle vicieux et les entraîneurs auront à trouver le juste équilibre entre l’entraînement et le repos afin de doser l’énergie. Il faut oui travailler fort, mais intelligemment aussi.

Tous les joueurs se sont entendus pour dire que le camp d’entraînement avait été exigeant, ce qui n’est pas une surprise alors qu’un nouveau groupe d’entraîneurs étaient en place et il y avait de nouveaux systèmes à assimiler.

Le problème aussi, c’est qu’il y a de nouveaux joueurs qui se greffent à l’équipe à chacun des matchs. Il faut donc faire plus de répétitions afin qu’ils comprennent le plus rapidement possible les différentes stratégies. Au final, ils n’ont plus d’énergie lorsque vient le jour du match. Le cercle vicieux reprend alors sans cesse.

J’avance cette théorie, car les chiffres sont frappants lorsqu’on regarde la différence de points entre les matchs à domicile et ceux à l’étranger. À la maison, les Alouettes ont perdu leurs quatre matchs par un pointage total de 178 à 62, pour une moyenne d’environ 45 à 16 en faveur de l'adversaire à chacune des rencontres. Lorsque les matchs sont à domicile, les Alouettes ont un total de quatre entraînements par semaine ce qui est presque du jamais vu. Une semaine normale comprend trois entraînements et, la dernière journée avant le match, c’est surtout pour des rencontres, du vidéo, mais les Alouettes font beaucoup de jeux lors de cette journée ce qui en fait presque un quatrième entraînement. Sur la route, ils ne le font pas parce qu’il y a le voyagement et d’autres situations. Avec une séance en moins, le pointage sur les terrains adverses est de 64 à 41, soit 21-13 en moyenne par match. Ce n’est peut-être qu’une coïncidence, mais je trouve cette situation particulière.

Le groupe d’entraîneurs doit s’asseoir et discuter de cette situation afin que dans leur préparation, les joueurs soient à leur meilleur au moment de sauter sur le terrain pour le match.

Le meilleur entraîneur que j’ai eu pour cette facette est Don Matthews. Il disait que son but était que ses joueurs soient à leur maximum le jour du match. Il était bon pour prendre le pouls de ses joueurs. Il savait si une journée on était mieux de ne faire que de la vidéo au lieu de s’entraîner ou si on se tournait vers une séance de visualisation à la marche sur le terrain. On pouvait alors simuler les jeux, mais à un rythme plus lent qui ne brûlait pas d’énergie. Les réflexes étaient cependant ancrés. Parfois même, Matthews n’hésitait pas à annuler des entraînements, mais il voulait s’assurer qu’on soit à notre mieux quand ça compte au tableau.

Je me souviens des entraînements de Marc Trestman qui ne duraient jamais plus d’une heure ou 75 minutes maximum. C’était réunion par-dessus réunion et il y avait beaucoup de séances où les joueurs marchaient sur le terrain afin d’avoir des répétitions mentales et qu’ils savaient ce qu’ils allaient faire.

Quand je vois une équipe qui se fait battre 28-0 au premier quart, je me dis qu’il y avait des lacunes au niveau de la préparation et je ne me limite pas aux stratégies, mais la préparation au sens large comme je viens de vous l’illustrer.

On a bien vu plusieurs erreurs mentales lors des premières minutes du match. Il y a tout d’abord eu un manque dans la couverture sur le premier touché des Tiger-Cats, il y a eu ensuite l’interception et finalement une erreur sur la protection lors d’un botté de dégagement de Boris Bede. On sait que la concentration est plus difficile à maintenir lorsque la fatigue se fait sentir.  

Je ne sais pas si ce n’est qu’une coïncidence encore une fois, mais on retrouve 18 joueurs sur la liste des blessés des Alouettes. Certains sont cachés là afin de les laisser dans l’entourage de l’équipe, mais plusieurs formations le font. À l’inverse, les Tiger-Cats n’ont que cinq joueurs sur leur liste. Habituellement, plus tu es fatigué, plus il y a des risques de blessure.

C’est une nouvelle pièce qui s’ajoute au casse-tête des entraîneurs chez les Alouettes, alors qu’il faut doser le travail et le repos afin que les joueurs puissent donner le meilleur d’eux-mêmes lors des matchs.

*Propos recueillis par Maxime Tousignant