COLLABORATION SPÉCIALE

C’est tout un chapitre de la NFL qui se termine avec la confirmation mardi que Tom Brady quitte vers la retraite après 22 saisons dans la ligue.

Depuis que je suis dans la famille de RDS, Brady a toujours joué au sein de la NFL. À mon arrivée en 2002, il était déjà un membre des Patriots de la Nouvelle-Angleterre et avait déjà une conquête du Super Bowl à son actif. Dans un sens, ce sera bizarre de ne plus analyser les matchs du légendaire no 12 à compter de l’an prochain.

Je laisserai aux autres la décision de l’appeler ou non le plus grand de tous les temps, mais je vous avouerai bien une chose : je me demande bien qui arrivera à passer devant lui.

Parce qu’à mon avis, Tom Brady a établi les nouveaux standards pour la position de quart-arrière. Quand tu as une telle longévité, que tu remportes un championnat en début de carrière, d’autres en milieu de carrière et un vers la fin, alors que tu es rendu dans la quarantaine, tu as certainement un parcours des plus uniques dans le football professionnel.

Difficile à croire, mais en 22 saisons dans la NFL, Brady aura participé à dix reprises au Super Bowl (c’est près d’une fois sur deux), et aura décroché sept bannières, et cinq de ses conquêtes se sont accompagnées du titre de joueur par excellence du match ultime. Pour mettre les choses en perspective, Terry Bradshaw a soulevé le trophée Vince-Lombardi quatre fois, Joe Montana trois fois, et John Elway ainsi que Peyton Manning l’ont fait deux fois. À ce chapitre, Brady est réellement dans une classe à part.

L’un des traits les plus frappants lorsqu’on regarde ce qu’a accompli Brady, c’est son éthique de travail pratiquement inégalée. Il était la représentation même d’un joueur investi à 100 % dans le football. Ce gars-là était obsédé par le processus; le football est un sport qui requiert des efforts 12 mois par année, et il a été prêt à les consentir pendant deux décennies. 

Au football, il y a trois à quatre fois plus de séances d’entraînement que de matchs, et c’est sans compter les entraînements hors saison et les activités hors terrain. Bref, si tu n’aimes pas le processus, que tu préfères jouer plus de matchs et consacrer moins de temps à la préparation, le football n’est pas le bon sport pour toi. 

Le niveau d’engagement de Brady était exceptionnel. C’est un gars qui adore le football, et son sport était omniprésent dans sa vie. 

Encore à ce jour, c’est plutôt loufoque de voir les premières images de Brady lors des camps d’évaluation précédant son année de repêchage, en 2000. On le voit courir sur 40 verges et ça semble pénible. Ses qualités athlétiques sont très limitées. À ce moment, il n’a pas la sculpture qu’on attend d’un athlète de pointe.

C’est ce qui rend encore plus évident tout le travail de transformation qui a été réalisé au fil des ans grâce à son acharnement, sa discipline et son souci du détail. Son assiduité aux entraînements, sa préparation méticuleuse, et éventuellement la rigueur de sa diète, tout ça était irréprochable. Il travaillait aussi sans relâche la mécanique de ses passes, de façon à s’assurer que son épaule, même en vieillissant, lui permette de continuer de performer au niveau le plus élevé.

En lisant le communiqué qu’il a émis pour officialiser sa retraite, on constate qu’il mentionne que pour être à son meilleur au football, il faut être impliqué à 100 %. Si on comprend bien, il n’était pas prêt à faire tous ces sacrifices une année de plus. D’autant plus que ça demande également des sacrifices de la part de sa famille. Après tout, tandis qu’il est au stade tôt le matin jusqu’à tard le soir, qu’il s’entraîne, qu’il décortique son prochain adversaire, qu’il rencontre ses coachs et coéquipiers, qu’il subit des traitements des physiothérapeutes, etc.,  il n’est pas avec ses proches. Et la réalité est que le football de la NFL est devenu une affaire de 12 mois par année. Ce n'est plus les anciennes manières de faire où chacun arrivait au camp dans l’optique de se remettre en forme, loin de là.

Le quart-arrière a la réputation d’être celui qui arrive le premier au complexe d’entraînement et repart en dernier. Et de manière générale, le mardi est la journée de congé des joueurs. Je suis persuadé que Brady, comme la plupart des quarts appartenant à l’élite, ne prenait pas congé le mardi, préférant discuter du plan de match en vue du prochain match à l’horaire. 

Tôt dans sa carrière, une histoire avait paru au sujet d’un jeune joueur des Patriots qui avait demandé à un gestionnaire du complexe d’entraînement si on pouvait lui refiler une clé de l’édifice, sous prétexte que celui-ci n’ouvrait pas assez tôt le matin et fermait trop tôt en soirée. Le gestionnaire en question était allé à la rencontre de Bill Belichick afin de lui demander s’il accordait à un certain Tom Brady la permission d’avoir sa propre clé!

À cette époque, Brady jouait le rôle du quart adverse à l’entraînement, puisqu’il n’était pas encore le partant. Il aidait ainsi à préparer l’unité défensive des Pats. Et que faisait-il après avoir rempli ce mandat? Il demandait aux autres jeunes joueurs de demeurer avec lui sur le terrain afin de pratiquer les schémas offensifs de la première unité. Après tout, ça allait servir lorsqu’allait se présenter la chance d’embarquer sur le terrain.

De nombreuses années plus tard, Brady signait un contrat avec les Buccaneers de Tampa Bay en pleine pandémie. Les installations de l’équipe sont fermées à ce moment, et ça l’inquiète, sachant qu’il arrive dans une nouvelle organisation et qu’il se doute bien que le calendrier préparatoire n’aura pas lieu. Que fait-il? Il invite ses coéquipiers à s’entraîner avec lui dans des parcs municipaux. 

En plus d’avoir un quart prêt à toute éventualité, c’est aussi une source de leadership incroyable dans une équipe d’avoir ce genre de présence dans le vestiaire. 

Lorsqu’on y pense, le fameux dicton « Patriots Way » (qu’on peut définir, en gros, par l’équipe avant tout) était une partie intégrante des façons de faire de Brady. Et quand ta super-vedette est également le joueur qui travaille le plus fort, quel genre de message est-ce que ça envoie aux autres? Ça devient plutôt gênant pour ses coéquipiers qui n’ont pas envie, comme lui, de donner le petit extra pour le succès collectif. 

De tout ce qu’on entendait, Brady a toujours été un coéquipier exemplaire malgré son statut. Un gars accessible, l’un des premiers à accueillir les nouveaux venus dans le vestiaire, voire même les héberger temporairement chez lui. C’est aussi un athlète qui, au fil des ans, a renoncé à un salaire potentiellement plus élevé afin de permettre aux Pats d’attirer les joueurs qu’ils souhaitaient embaucher. Bien entendu, je ne suis pas en train de pleurer sur le sort de Brady - il a empoché des sommes faramineuses malgré tout - mais ce n’est pas banal qu’il ait souvent été de ceux qui acceptent de restructurer leur entente pour les Pats envoient sur le terrain la meilleure formation possible.

Le meilleur lorsque ça compte

Un deuxième trait de personnalité que je retiens chez Brady est son grand sens de la compétition. Sa préparation faisait en sorte qu’il se présentait aux matchs prêt à livrer la marchandise sous pression. Tout le monde est bon lorsque c’est facile. Mais qu’en est-il lorsque la situation se corse? On s’entend qu’avec une telle feuille de route en éliminatoires, Brady se nourrissait de la pression. Les anglophones utilisent le mot « clutch ». Cette idée de garder son meilleur rendement pour les moments où ça compte le plus. À cet égard, Brady était exceptionnel. 

Je me souviendrai toujours du premier Super Bowl auquel Brady a participé, face aux Rams de St. Louis. Lorsque les Pats ont pris possession du ballon en fin de rencontre et que c’était l’égalité, le regretté analyste John Madden nous avait mis en garde que le jeune Brady devait jouer de prudence et viser la prolongation plutôt que de prendre des risques. Il suggérait à la troupe de Belichick d’y aller de façon conservatrice. Brady, lui, avait d’autres idées en tête, et il avait piloté une séquence permettant à la Nouvelle-Angleterre de marquer le botté de placement victorieux dans les dernières secondes du match. Déjà là, le jeune homme nous montrait que sous pression, il n’avait pas peur d’être sous les projecteurs.

Cette attention au détail et à cette capacité à performer sous pression lui ont permis d’atteindre le troisième élément faisant de lui une légende de son sport, soit sa longévité.

Il est vrai que dans un monde idéal, il aurait aimé tirer sa révérence en remportant un autre Super Bowl avec les Buccaneers. Mais n’oublions pas qu’il a terminé sa dernière campagne au premier rang pour les verges aériennes et les passes de touché, le tout alors qu’il approchait la mi-quarantaine. Ce n’est pas comme s’il avait conclu en traînant de la patte. 

Ce n’était pas le cas, notamment, de Peyton Manning, qui n’était plus le même athlète à sa dernière année à Denver. Les Broncos avaient tout de même gagné le Super Bowl, mais en raison de sa fameuse blessure au cou, Manning n’avait plus du tout la même vélocité sur ses passes. Brady, lui, aura dominé la plupart des colonnes de statistiques chez les quarts pour sa dernière année dans la ligue. De quoi donner à plusieurs hommes dans la quarantaine l’envie de commencer à boire, eux aussi, des smoothies à l’avocat!

J’ai eu l’opportunité, à travers les années, de vivre en personne des moments assez inoubliables de la carrière de Tom Brady. Que dire des remontées orchestrées au Super Bowl contre les Seahawks de Seattle et les Falcons d’Atlanta, en 2014 et en 2016? J’ai eu la chance, en compagnie de David Arsenault, de voir ces moments historiques de la NFL se dérouler devant nos yeux.

Et dire que tout ça a débuté lorsque le quart des Pats Drew Bledsoe a subi une blessure, en septembre 2001. J’ignore si le secondeur des Jets de New York Mo Lewis se doutait à l’époque qu’il venait d’ouvrir une canne de vers pour son club. Ça allait permettre à Brady de s’amener dans la mêlée et de faire très bonne impression.

Comme on dit, the rest is history!

* propos recueillis par Maxime Desroches