Le football, c’est une histoire de famille chez les Burrow. Le cadet de la famille, Joe, aura l’occasion de remporter ce soir le titre de champion du football universitaire américain. Il tentera de suivre les traces de son père, Jim, qui a remporté un autre gros trophée : la Coupe Grey de 1977 dans l’uniforme des Alouettes de Montréal.

Jim Burrow a disputé trois saisons complètes avec les Alouettes, de 1977 à 1979. Durant ces trois campagnes, il a joué trois finales de la Coupe Grey. Bien qu’il ait amorcé sa première année chez les professionnels avec les Packers de Green Bay, il n’avait aucune idée que sa carrière le mènerait au Nord de la frontière dès la saison suivante.

« Je ne savais pas que la LCF existait pour être très franc, lance-t-il d’emblée. Marv Levy était l’entraîneur à l’époque et il m’a recruté. Je me suis lancé dans cette aventure et j’ai vraiment adoré Montréal. »

Cette aventure comme il l’appelle, M. Burrow ne la regrette certainement pas. Échangé en court de route alors qu’il entamait une 4e saison avec les Moineaux, il a complété son séjour dans la LCF par des passages avec les Stampeders de Calgary et les Rough Riders d’Ottawa.

S’il a eu de brefs passages avec Green Bay, Calgary et Ottawa, l’ancien demi défensif s’est senti chez lui à Montréal. Pas étonnant quand on côtoie des légendes de la LCF comme Peter Dalla Riva, Tony Proudfoot, Junior Ah You et Wally Buono. Il s’agissait d’une équipe tissée serrée avec laquelle il entretient encore des liens spéciaux avec certains coéquipiers tels que  Randy Rhino, Joe Barnes et Peter Dalla Riva.

Mais ce que Jim Burrow retiendra le plus de Montréal, c’est la culture montréalaise et la passion des Québécois envers le football.

« J’ai toujours cru que c’était le meilleur endroit où jouer dans la LCF. Nous avions vraiment une excellente équipe et c’était spectaculaire de jouer au Stade olympique devant plus de 60 000 spectateurs. Ils ont vraiment le football à cœur », se remémore l’ancien no 16.

« Je suis né dans le Mississippi, ça a été tout un choc culturel de quitter le Midwest américain et de m’installer à Montréal, mais les gens sont tellement accueillants que je suis tombé sous le charme de la ville. Mes années avec les Alouettes ont été sans contredit les plus belles de ma carrière professionnelle », ajoute celui qui comprenait quelques phrases de la langue de Molière ayant suivi des cours de français à son école secondaire.

Et justement, le footballeur du Mississippi en a vécu une autre surprise lorsqu’il a participé à sa première Coupe Grey, en 1977.

Celle-ci restera gravée en sa mémoire pas seulement parce que les Alouettes ont écrasé les Eskimos d’Edmonton 41-6, mais plutôt parce qu’il s’agissait du fameux « Ice Bowl » du 27 novembre 1977 présenté en sol montréalais au Stade olympique.

Le stade étant dépourvu de toile à cette époque, Montréal avait été frappée par un blizzard deux jours avant la présentation de la classique.

« Le terrain était recouvert de glace. On se demandait comment on allait jouer. Tony Proudfoot est sorti puis il a eu l’idée d’installer des broches sur ses souliers. Il nous a dit ‘’Je peux me tenir debout comme ça’’ alors on l’a tous suivi », se souvient celui qui revenait d’une blessure et qui avait été majoritairement employé sur les unités spéciales lors de ce match.

La résurrection de Joe

Couronné du trophée Heisman, remis au joueur de l’année dans la NCAA, le fils de Jim a réécrit le livre des records de la prestigieuse Southeastern Conference (SEC) avec le nombre de passes de touchés (48) et les verges accumulées (4 715) en une seule saison. Mieux encore, Joe Burrow s’est moqué des Sooners d’Oklahoma lors du Peach Bowl (une des demi-finales des éliminatoires de la NCAA) en lançant sept passes de touché... en deux quarts seulement! Il s’agit d’un autre record pour les Tigers de Lousiana State (LSU).

Devant autant de succès, difficile de croire que le quart-arrière a rongé son frein pendant deux saisons avant d’éclore avec les Tigers.

Convoité par la plupart des grandes universités de football aux États-Unis lorsqu’il était au secondaire, l’athlète qui a grandi dans l’Ohio a décidé de rester près du nid familial et de jouer pour les Buckeyes d’Ohio State.

« Joe a toujours été très proche de notre famille. Il y avait plus d’une trentaine d’offres de grandes universités qui lui avaient été présentées. Il songeait même à l’idée de jouer pour les Bobcats (de l’Université d’Ohio où Jim était coordonnateur défensif), mais lorsqu’il a vu l’intérêt qu’avaient les Buckeyes envers lui, il a fait un choix qui allait lui permettre de rester près de la maison tout en jouant pour l’un des meilleurs programmes au pays », explique un Jim Burrow très généreux de son temps en entrevue téléphonique au RDS.ca.

Coincé derrière J.T. Barrett et Dwayne Haskins, Burrow a obtenu une 2e chance ailleurs en demandant un transfert vers une autre université.

« C’était un choix déchirant à ce moment, mais ça a été l’élément déclencheur. Nous avions ciblé des universités qui étaient à la recherche d’un quart-arrière. LSU faisait partie du lot. Ce qui avait vraiment fait la différence, c’était son désir de compétitionner et de vouloir prouver qu’il pouvait gagner des gros matchs dans la SEC et gagner un championnat. Il avait choisi LSU pour cette opportunité, celle qui lui est présentée contre Clemson », décrit fièrement le paternel de 66 ans.

Mais plus concrètement, qu’est-ce qui a changé chez le Joe Burrow de 2018 et celui de 2019, récipiendaire du trophée Heisman et potentiel top-5 au prochain repêchage de la NFL?  En terme de statistiques, Joe a lancé 39 passes de touché et obtenu 2314 verges de plus qu’à sa 1re campagne avec la formation de la Louisiane.

L’arrivée de Joe Brady, un ancien entraîneur des Saints de la Nouvelle-Orléans, a dynamisé le jeu aérien des Tigers. À cet effet, le travail de Brady a été reconnu lorsque la NCAA l’a nommé meilleur assistant du circuit universitaire américain.

Aux yeux de Jim, ce changement de philosophie au niveau de l’attaque des Tigers a permis de la relancer et de la propulser parmi les plus explosives de l’histoire de la SEC.

 « Les entraîneurs ont établi des stratégies mieux adaptées aux joueurs qu’ils ont sous la main. Ils ont redéfini leur attaque pour bénéficier des forces de Joe, de ses prises de décision et de sa présence dans la pochette protectrice. Le fait qu’il (Joe) en soit aussi à sa 2e saison à LSU lui a permis d’être plus à l’aise, puisqu’il connaissait mieux ses coéquipiers. C’est vraiment un grand travail d’équipe qui a métamorphosé leur attaque », évalue celui qui est devenu entraîneur en raison de Marv Levy et de Tom Osborne.

Savourer le moment

Entraîneur de 1981 à 2018, Jim Burrow a lui aussi pris une grande décision à la conclusion de la saison 2018 en annonçant sa retraite. Le déménagement du cadet de la famille vers la Louisiane a mené Jim à quitter son poste de coordonnateur défensif des Bobcats d’Ohio, un poste qu’il occupait depuis 2005.

Pas évident pour un père de famille qui a vu les matchs de son fils à l’école primaire, au secondaire et lors de ses deux premières saisons à Ohio State. Pour celui qui a choisi la stabilité en s’établissant en Ohio après des passages dans le Washington, le Dakota du Nord, le Nebraska et l’Iowa, rien au monde ne l’aurait empêché de voir la dernière année de Joe dans l’uniforme jaune et mauve. Joe Burrow

« Ça le frustrait de ne pas pouvoir voir certains grands matchs, et ce, même à la télévision », avait commenté Joe dans une entrevue avec ESPN.

« J’adorais le ‘’coaching’’, mais je trouvais ça important d’être présent à ses matchs lors de sa dernière année. Je n’avais pas vécu l’atmosphère du Tiger Stadium à Baton Rouge. C’était sur ma ‘’bucket list’’ et je ne le regrette pas du tout! L’hospitalité des gens de la Lousiane a rendu l’expérience encore meilleure que tout ce dont je pouvais imaginer. »

Véritable légende vivante de Lousiana State, Burrow a été salué par l’Université lors de son dernier match au Tiger Stadium. Joe est entré sur le terrain avec un uniforme où les Tigers ont inscrit « Burreaux » dans son dos.

« La Louisiane l’a adopté. En francisant son nom de cette façon, c’était l’ultime reconnaissance pour son passage là-bas. Pour nous aussi, les Burrow, la Lousiane est devenue une 2e maison», assure le père de Dan, Jamie et Joe.

Joe le compétiteur

Le quart de 6 pieds 4 pouces et 216 livres a été plongé dans l’univers sportif dès son plus jeune âge. Si son père et ses deux grands frères ont tous joué au football pour les Cornhuskers du Nebraska, ses grands-parents ont brillé au basketball autant au niveau secondaire qu’universitaire.

Frappeur de circuits et excellent meneur au basketball, Burrow a suivi la tradition familiale. La piqûre du football lui est venue plus naturellement grâce à l’emploi de son père qui l’a fait voyager aux quatre coins des États-Unis.

Le fait d’avoir un père qui a été entraîneur pendant plus de 30 ans lui a donné les bons outils à mettre dans son coffre.

« Il était souvent dans les parages! Il assistait à des entraînements et à des matchs. Il posait beaucoup de questions, c’est quelqu’un de curieux et de cérébral, se rappelle coach Burrow. Ça n’a certainement pas nui à son développement en tant que quart-arrière, mais tout le mérite lui revient. Je ne voulais pas être comme ces pères insistants qui forcent leur fils à aimer un sport. C’était sa propre initiative et ça a développé une relation père-fils qui a penché vers celle de joueur-entraîneur. » Frank Solich et Jim Burrow

Avant de quitter pour Columbus, où se situe le campus d’Ohio State, il n’était pas rare de voir Joe à l’Université d’Ohio.

« Il jouait le vendredi à son école secondaire et on jouait à un jeu. Plutôt que de lui parler de ses bons coups, je lui demandais quelles étaient ses mauvaises passes et ses mauvaises prises de décisions. C’est encore comme ça aujourd’hui, renchérit-il. Puis, lorsqu’il venait voir les matchs des Bobcats le samedi, je lui demandais ce qu’il avait remarqué. Ça me donnait un regard extérieur et, souvent, d’excellentes observations. Il serait un bon entraîneur, mais je lui souhaite d’abord une belle carrière professionnelle. »

On peut dire que la recette a fonctionné pour Burrow qui est devenu un athlète d’exception à l’école secondaire. En plus d’être nommé joueur de l’année dans l’Ohio, les sites spécialisés dans le recrutement des joueurs de football le plaçaient dans le top-10 des meilleurs joueurs à sa position, pour la cuvée de 2015. Pas mal pour quelqu’un qui est devenu quart-arrière par accident « puisque personne ne savait lancer à l’école primaire. »

Regard sur la NFL

Jim Burrow a toujours cru que son fils avait le talent nécessaire pour évoluer au prochain niveau. Des joueurs de talent, il en a vu pendant plus de 40 années de service reliées au monde du football. Bien qu’il soit le premier à reconnaître que son fils est un compétiteur hors du commun, il avoue que les performances de son fils avec LSU l’ont étonné.

« Il avait de très grandes ambitions pour 2019. Il savait que ce serait l’année des Tigers et qu’il aurait un grand rôle à jouer au sein de l’équipe. Il a toujours cru qu’il allait disputer le championnat national. Ceci dit, je mentirais si je disais que je croyais qu’il allait être aussi dominant et qu’il remporterait le trophée Heisman! Son ascension est au-dessus de tout ce que je pouvais imaginer. »

Le nom de Burrow est entendu sur toutes les lèvres des analystes de football. Un top-5 au prochain repêchage de la NFL est pratiquement assuré et, qui sait, peut-être que les Bengals, qui possèdent le tout premier choix, pourraient être tentés par le héros de l’Ohio?

Si tel était le cas, verra-t-on Jim dans les gradins du Paul Brown Stadium?

« Il n’y a jamais de certitude avec le repêchage. Cincinnati se trouve à 3 heures d’Athens. Ce serait superbe qu’il joue pour une équipe près de la maison. J’y ai pris goût! », rigole-t-il.

« Plus sérieusement, je veux juste qu’il puisse avoir une belle opportunité comme celle que LSU lui a offerte. C’est un privilège de jouer dans la NFL et il saura en tirer profit. »

Burrow pourra ajouter à sa légende alors qu’il se frottera aux Tigers de Clemson, les champions en titre de la NCAA, ce soir, devant ses partisans, au Mercedes-Benz Superdome.

Avec ses sept passes de touché face aux Sooners, le no 9 n’est plus qu’à quatre majeurs de surpasser la marque de 58 établies par le quart-arrière d’Hawaii, Colt Brennan, en une seule campagne. Signe de sa grande précision, il pourrait conclure la campagne en devenant le quart le plus précis de l’histoire s’il maintient son pourcentage de passes complétées (77,6%) intact.