J’entends encore Marc Bergevin nous promettre mer et monde, le jour de sa nomination. On a tous imaginé qu’un vent de fraîcheur allait déferler sur l’organisation après le départ de Pierre Gauthier qui avait laissé le Canadien dans un état lamentable, bon dernier dans l’Est et 27e au classement général. Six ans plus tard, la situation est plus gênante encore.

 

Les belles intentions de Bergevin résonnent encore à mes oreilles quand on lui a fait remarquer ce jour-là la faible représentation de joueurs francophones dans l’équipe. Il lui a semblé effectivement anormal que le Canadien, qu’il avait connu à ses plus beaux jours en grandissant à Ville-Émard, ne soit représenté que par deux Québécois : David Desharnais et Mathieu Darche.

 

« On va tout faire pour que ça change, a-t-il promis. On va analyser notre recrutement au niveau du hockey junior québécois. S’il faut embaucher plus de recruteurs au Québec, on va le faire. »

 

Il a paru rempli de bonnes intentions. On l’a cru. Or, en six ans de repêchage, son administration a réclamé cinq Québécois. AUCUN au cours des deux dernières années. De ces cinq « espoirs », un seul est actuellement avec l’équipe : Charles Hudon. Des quatre Québécois actuellement avec le Canadien, trois ont été obtenus par la voie de transactions : Jonathan Drouin, Phillip Danault et Nicolas Deslauriers. Méchant succès au repêchage!

La conférence de presse de l'embauche de Bergevin

 

Non seulement Trevor Timmins et son groupe donnent-ils l’impression de ne pas être entichés du produit québécois, mais le Canadien s’est fait bêtement passer sous le nez des joueurs qui ne lui auraient rien coûté et qui ont fait le bonheur d’une organisation rivale très active au sein du circuit Gilles Courteau, le Lightning de Tampa Bay. Jonathan Marchessault et Yanni Gourde, qui brillent actuellement à Las Vegas et à Tampa, ont été les deux premières prises d’intérêt du Lightning, mais celle qui a fait déborder le vase a été la récente embauche du jeune Alex Barré-Boulet, champion marqueur de la LHJMQ. Plusieurs partisans ont  craché leur mépris sur tant d’ignorance.

 

Il y a deux dénominateurs communs dans les trois cas : Ils sont tous des centres, la faiblesse très évidente du Canadien. Ils mesurent tous 5 pieds et 9 pouces, ce qui explique en bonne partie pourquoi ils n’ont jamais été repêchés. Comme le Canadien vit au Québec avec l’obligation de plaire à une clientèle locale, n’avait-il pas l’obligation de les observer plus attentivement que tout le monde et de courir un risque, si mince soit-il, avec au moins l’un d’eux. Quand la filiale est à Laval, ne doit-on pas mettre l’accent sur l’aspect francophone chez le Rocket?

 

Lors de la première saison de Bergevin au Centre Bell, il y avait un seul recruteur du Québec dans son organigramme : Serge Boisvert. On y a ajouté le nom de Donald Audette. Ces deux-là sont-ils écoutés? Ont-ils de l’influence? Il est permis d’en douter. Lors du repêchage, ils se font très discrets à la table de l’équipe. On ne se souvient pas d’avoir vu un de leurs supérieurs se tourner de leur côté en quête d’une information utile. Ils passent des heures dans un rôle de spectateur.

 

Ailleurs, ça se passe différemment. Michel Boucher est le représentant du Lightning au Québec. Depuis qu’il est en poste avec Tampa, il a participé à sept séances amateurs. Durant cette période, l’équipe a pigé au Québec Ondrej Palat, Cédric Paquette, Jonathan Drouin, Adam Erne, Mathieu Joseph et le meilleur marqueur des Cataractes de Shawinigan l'an dernier, Dennis Yan (NDLR : à égalité avec Samuel Girard). À tout ce beau monde, il faut évidemment ajouter les noms de Marchessault, de Gourde et de Barré-Boulet.

 

« La meilleure façon d’acquérir de la crédibilité au sein d’une équipe est de repêcher dès la première année un joueur comme Palat qui vient de ton coin et qui mérite rapidement un poste avec l’équipe », souligne fièrement Boucher, un ex-recruteur du Canadien que Pierre Gauthier a remercié sans le moindre avertissement. L’explication qu’on lui a fournie à ce moment-là? L’équipe désirait aller dans une autre direction, l’excuse la plus facile quand on limoge quelqu’un. Il a été embauché un peu plus tard par le chef du recrutement du Lightning, Al Murray, probablement influencé dans son choix par Julien BriseBois.

 

On s’est fait passer trois jeunes dans les dents

 

Boucher précise humblement qu’il n’est pas l’unique responsable des sélections tardives de Marchessault, de Gourde et de Barré-Boulet.

 

« J’ai exercé une influence, mais il s’agit avant tout d’un travail d’équipe. Il y a beaucoup de Julien BriseBois là-dedans. Parfois, Julien me pose des questions au sujet des joueurs québécois, mais c’est à lui d’aller plus loin ensuite dans ce genre de démarche. »

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Boucher est très heureux là où il est aujourd’hui. Chez le Canadien, quelque chose s’est brisé dans un moment où il ne s’y attendait pas. Un homme de hockey québécois ne quitte pas de bon coeur une organisation comme le Canadien. Curieusement, BriseBois, qui semblait avoir un avenir certain avec le Canadien à ses débuts, est parti lui aussi un jour en prenant une décision personnelle qui n’a jamais été clairement expliquée.

 

À Montréal, Boucher occupait un emploi à temps partiel, tout en étant enseignant au Collège Marie-de-l’Incarnation, à Trois-Rivières. Un an après son embauche par Tampa, il est devenu un employé permanent de l’organisation parce qu’il avait atteint ses limites physiquement en cumulant deux emplois aussi exigeants. Il a choisi le hockey.

 

« J’ai quand même trouvé ça très ennuyeux d’apprendre que le Canadien rompait les ponts avec moi, dit-il. Dans une situation comme celle-là, on ne sait jamais si on pourra obtenir un autre emploi dans le hockey. Je n’ai jamais eu de problème avec personne. Franchement, je ne sais pas ce qui a influencé Pierre Gauthier à prendre cette décision. Nous n’avons pas eu ce genre de discussion. »

 

À la remarque voulant qu’il soit plus écouté à Tampa que les recruteurs Audette et Boisvert semblent l’être à Montréal, Boucher donne l’impression de marcher sur des oeufs. Difficile de répondre à cela sans soulever inutilement une controverse, selon lui.

 

« Je ne veux pas embarquer là-dedans parce qu’il serait impossible d’offrir une réponse juste et honnête, tant pour moi que pour les gens avec lesquels j’ai travaillé ou qui sont là en ce moment », explique-t-il.

 

Quand un recruteur d’expérience comme lui, qui visionne 200 matchs par année, s’avise de recommander des laissés-pour-compte comme Marchessault, Gourde et Barré-Boulet, il espère que ces jeunes arriveront à faire leur place à force de travail et de détermination. Les deux premiers ont déjà réussi à s’implanter dans la Ligue nationale. Par ailleurs, le Lightning est convaincu que Barré-Boulet en fera autant, sinon ils ne lui auraient jamais offert ce contrat qui a soulevé beaucoup de mécontentement parmi les fans du Canadien.

 

« C’est un peu la même chose pour les athlètes repêchés, mentionne Boucher. Il y aura toujours des joueurs réclamés sur le tard qui deviendront meilleurs avec le temps. Le recrutement est un boulot beaucoup plus complexe que les gens le croient. Ça prend de la chance. C’est souvent un ensemble de facteurs qui permettent à un jeune de faire sa place. Il y a plusieurs années, on pensait que Doug Wickenheiser jouerait beaucoup plus de 600 matchs (556) dans la Ligue nationale. Tous les recruteurs des années 1980 vous diront qu’il était le meilleur à l’heure du repêchage, mais c’est Denis Savard, choisi après lui, qui a connu la plus belle carrière. »

 

L’engagement formel de Bergevin

 

Pour le moment, le plus heureux des recruteurs québécois est Michel Boucher. Il se sent respecté et son organisation est considérée parmi les favorites pour remporter la coupe Stanley. Toutefois, n’allez pas croire qu’il pense une seule minute à la possibilité de mériter sa première bague.

 

« On ne peut pas se permettre de songer à une chose comme celle-là, admet-il. On ne sait jamais comment une équipe va réagir quand l’enjeu est important. L’an dernier, nous n’étions pas dans les séries et cette année, nous sommes parmi les équipes de tête de la ligue. »

 

En attendant, la percée du Lightning au Québec devrait sérieusement faire réfléchir Marc Bergevin. Ne s’était-il pas engagé à ce que le Canadien veille attentivement sur le talent québécois? N’avait-il pas promis de ne rien laisser passer? Il a probablement commis l’erreur de croire que Trevor Timmins avait toutes les qualifications requises pour lui permettre d’honorer cet engagement.

 

En six ans, un seul joueur du Québec repêché actuellement dans la formation, c’est ce qu’on appelle passer royalement dans la mitaine.