Peu importe les sports que nous chérissons, il y a des moments qui demeurent figés dans le temps. Je n’ai pas la meilleure des mémoires, mais me souviens parfaitement où j’étais et ce que je faisais le 13 octobre 1981 quand Rick Monday a catapulté le tir de Steve Rogers loin au champ centre pour éliminer les Expos. Le ti-cul que j’étais vivait l’une de ses premières grandes déceptions... avec la belle naïveté d’un kid de treize ans qui pense que ce genre d’opportunité reviendra très vite. 

Les partisans du Canadien assez vieux pour s’en souvenir se rappellent probablement aussi en détails comment ils ont vécu la journée du 9 juin 1993. C’était il y a vingt-cinq ans. C’est la dernière fois que le Canadien remportait la coupe Stanley. Cette journée-là, je ne l’oublierai jamais. En fait, je devrais dire que ce printemps-là, je ne l’oublierai jamais.

Vous connaissez l’histoire. Le Tricolore avait perdu les deux premiers matchs de la première ronde face aux Nordiques. Jacques Demers était allé se recueillir à Sainte-Anne de Beaupré. Le chemin s’était ouvert quand les puissants Penguins s’étaient fait battre par les Islanders. Le Canadien avait gagné dix parties de suite en prolongation. La punition à Marty McSorley dans la deuxième partie de la finale. Nous avons vécu un deux mois d’émotions réellement intenses.

À l’époque, le service des nouvelles de RDS ne couvrait pas les joutes du Canadien sur la route. C’était la même chose pour les autres stations de télé. Je me souviens qu’au printemps de 1991, après l’élimination du Tricolore à Boston, j’avais hérité du mandat d’aller attendre Pat Burns et ses joueurs à l’aéroport de Dorval... à une heure du matin! Disons que ce n’était pas le contexte idéal pour recueillir des déclarations intéressantes. Pour les séries de 1993, la situation était différente. Jean-Pierre Boisvert couvrait alors le Canadien et je le secondais dans cette tâche. Il s’occupait de la couverture de l’équipe de Jacques Demers et je talonnais les clubs adverses.

Aidé de Paul Buisson et de son immense pouvoir de persuasion, J.-P. avait réussi à convaincre Yvon Vadnais, le patron de l’époque de suivre le club à l’étranger pour la première fois. Les gars étaient partis dans la voiture de Paul afin d’effectuer le trajet aller-retour à Buffalo pour les matchs trois et quatre. Pour avoir effectué de nombreux voyages avec Paul, je vous assure que c’était toute une aventure et que l’on s’arrêtait souvent... pas pour mettre de l’essence ou pour aller pisser. Impossible pour Paul de rouler plus de deux heures sans arrêter acheter de la bouffe. J’imagine la randonnée vers Buffalo!  

Puis le Canadien a sorti les Islanders et le patron m’avait même envoyé à Toronto pour couvrir le match ultime entre les Kings et les Maple Leafs, dans le vieux Garden. Le gagnant du septième match allait affronter le Canadien deux jours plus tard, à Montréal. C’était la folie. Je n’avais jamais rien vu d’aussi gros. Wayne Gretzky, Luc Robitaille, Dave Taylor, Jari Kurri et la plupart des journalistes américains que je suivais à la télé étaient à Montréal. La ville était en liesse. Vous savez possiblement que les Kings avaient gagné la première partie. Vous connaissez aussi la suite. Le Canadien avait gagné les trois matchs suivants en prolongation. Pour la finale, J.-P. et Paul s’étaient rendus à Los Angeles. Deux gars de RDS en Californie, c’était la grosse affaire! Le 9 juin 1993, Jacques Demers et sa bande avaient donc l’opportunité de gagner la Coupe Staley devant leurs partisans, dans le vieux Forum.Patrick Roy

Le Canadien a gagné assez facilement. Je n’ai pas vécu l’effervescence du triomphe dans le vestiaire des gagnants. Je m’occupais des Kings. C’était la désolation totale. Avec une simple serviette autour de la taille, Marty McSorley était sorti de la douche après tout le monde. Il a rapidement été entouré et les questions se succédaient en tournant autour du pot. « Marty excuse-moi pour deux choses : la qualité de mon anglais et ma question. N’eut été de ton bâton illégal qui a vous coûté le match, penses-tu que vous auriez pu gagner la coupe? », que je lui ai demandé timidement. Il m’a regardé droit les yeux en répondant gentiment avec un regard glacial et rempli de tristesse. Je me suis senti mal pour lui.

La suite des choses tient du folklore. J.-P., Paul, les techniciens de RDS et moi sommes demeurés prisonniers à l’intérieur du Forum pendant environ deux heures. Dehors, il y avait une émeute. Les joueurs et leur famille ne pouvaient pas plus sortir. On suivait ça à la radio et un peu à la télé de Radio-Canada qui était en direct. Quand on a pu quitter, ça ressemblait presque à Beyrouth. C’était ahurissant. Nous sommes tous revenus à RDS un peu avant deux heures du matin, à temps pour regarder Sports 30 en direct. Yvon Vadnais, un grand amateur de scotch a débouché un grand cru que l’on a bu avec lui pour fêter la coupe Stanley et surtout notre bon travail. Je l’ai dégusté avec la belle naïveté d’un kid de vingt-cinq ans qui pense que ce genre d’opportunité reviendra très vite... ça fait un quart de siècle que j’attends.