Il y a une petite nouveauté dans la chambre de Jacques Demers. Il peut maintenant s’enrouler pour la nuit dans une belle grande couverture de laine aux couleurs bleu, blanc, rouge, ornée d’un CH très en évidence. C’est un cadeau du personnel de la résidence qui l’accueille et qui veille sur son état de santé.

Même si le Canadien connaît une saison désastreuse, celui qui tente de se remettre de deux accidents vasculaires cérébraux, qui ont sapé une bonne partie de sa vie, conserve un très grand attachement à l’équipe qui a profondément marqué sa carrière.

Il visionne les matchs à la télé. Il analyse sans doute en détails ce qu’il voit et le désole, car un entraîneur reste un entraîneur.

Le vice-président du Canadien, Donald Beauchamp, est probablement l’unique personne qui se risque à lui faire la conversation au téléphone. Le coach (c’est le surnom qu’il affectionne) l’écoute lui raconter ce qui se passe dans l’équipe. Parfois il rit, parfois il marmonne, selon ce qu’il aime ou déteste entendre.

Que Beauchamp lui permette de garder le contact avec son équipe lui fait chaud au coeur. Ces brèves conversations sont tout ce qui lui reste d’une carrière dont il peut être fier. Il attache de l’importance, on peut le comprendre, au fait qu’il soit le dernier entraîneur à avoir remporté la coupe Stanley avec cette équipe. Le dernier à l’avoir fait au Canada, d’ailleurs. Et à moins que les Jets de Winnipeg causent une énorme surprise ce printemps, il conservera son titre. Il n’en parle pas, évidemment, mais quand on émet cette possibilité, son visage s’illumine de satisfaction.

Il revient de si loin. Le premier AVC, qui l’a laissé inerte et sans aide durant une période de 12 à 15 heures, aurait pu lui être fatal. Le second, survenu quelques jours plus tard, n’a pas aidé sa cause. Ces deux sérieux malaises l’ont laissé sans voix. Or, Demers doit justement à sa voix sa popularité et le respect qu’on lui voue encore. C’est par la parole qu’il parvenait à motiver ses troupes, à réconforter des gens, à faire part de ses opinions personnelles au petit écran et surtout, à entretenir les nombreuses amitiés qu’il s’est forgé au fil de son existence.

Sans doute une conséquence de ce que son père lui a fait subir en bas âge, il a toujours ressenti le besoin d’être aimé. Il a souvent privilégié les amitiés sincères aux rencontres occasionnelles avec des gens qui lui donnaient des tapes dans le dos. Il s’assurait que ses meilleurs amis ne soient jamais très loin. On ne comptait plus les invitations qu’il leur faisait à jouer au golf en sa compagnie. Et qui pensez-vous acquittait chaque fois la facture?

Les diverses épreuves de sa vie l’aident sans doute à traverser cette période difficile. Il a la couenne dure, le coach. Il ne s’apitoie pas sur son sort. On le sent toujours aussi bagarreur. Il ne pleure pas en songeant à tout ce dont la maladie le prive. Depuis ses AVC, sa vie et celle de Debbie ont radicalement changé. Sa soeur Claudette, confidente de Debbie, a été emportée par un cancer virulent. Leur spacieuse résidence d’Hudson a été vendue. Même chose pour le condo en Floride. Ç’aurait été trop de responsabilités pour Debbie. Ces malheurs ont aussi sabré dans une vie sociale très active.

Parce qu’il est aimé, on fait plein de petites choses pour qu’il ne soit pas oublié. Chaque soir, quand il jette un coup d’oeil sur l’Antichambre, il constate que sa photo est toujours là dans le générique d’ouverture. Parfois, l’animateur Stéphane Langdeau le salue à l’écran en insistant sur le fait qu’il était le capitaine de cette équipe de fin de soirée à RDS. Au Centre Bell, durant l’hymne national, sa photo défile à l’écran avec celles des personnages qui ont marqué les plus belles années du Canadien. Il y a quelques semaines, en assistant à un match dans une loge, il a reçu une belle ovation quand son visage est apparu au tableau.

Faut voir son sourire quand de vieilles connaissances se présentent à sa chambre sans avertissement. L’arrivée des visiteurs efface d’un trait les nombreux moments de solitude qu’il partage avec son téléviseur. Son frère Michel et deux amis intimes ont passé l’un de ces moments agréables en sa compagnie au cours des derniers jours. Michel lui a même permis de s’entretenir via Face Time avec Michel Therrien en Floride et Denis Savard à Chicago. Téléphone à la main, il a écouté religieusement Therrien et son ancien joueur lui raconter des anecdotes. Puis, Savard lui a lancé une remarque qui a semblé le toucher : « Jacques, ça va faire 25 ans qu’on a gagné la coupe ensemble... »

On a profité du fait qu’il était de fort belle humeur pour lui demander s’il croyait que le Canadien représentera une meilleure équipe l’an prochain. Il a grimacé en répondant négativement de la tête. Pas de doute, il sait parfaitement ce qui se passe.

Cette soirée a été parfaite sur toute la ligne. Ils ont tous blagué. Demers reste un bon public dans ces moments-là. Quand on lui raconte une bonne blague, il s’esclaffe. Il rit tellement de bon coeur qu’on a le goût d’en rajouter. En somme, on ne cherche qu’à lui apporter un peu de bonheur.

« C’est important pour lui d’être aimé, mentionne son frère. C’est ce qui le tient. »