Les partisans du Canadien sont en attente. Auront-ils droit au même genre de formation l’automne prochain? Marc Bergevin agira-t-il de façon à leur redonner espoir en prenant des décisions éclairées capables de relancer la machine?

On ne se contera pas d’histoires, le Canadien ne deviendra pas une puissance en l’espace de quelques mois. On n’exige pas du directeur général qu’il fasse de son équipe une aspirante à la prochaine finale de la coupe Stanley, mais on s’attend certainement à ce qu’un sérieux coup de barre soit donné.

Les transformations majeures dans la Ligue nationale, c’est souvent l’été qu’elles se produisent, mais c’est aussi durant la saison morte qu’une organisation peut royalement se planter. Il suffit de connaître un été catastrophique comme celui que le Canadien a connu il y a un peu moins d’un an.

Ces jours-ci, on parle en long et en large de la dernière coupe Stanley remportée par une équipe canadienne, il y a un quart de siècle déjà. L’amorce de la coupe de 1993 est justement survenue durant l’été précédant cette conquête imprévue. Il avait fallu que le Canadien connaisse une élimination honteuse en quatre parties contre les éternels rivaux de Boston pour que Serge Savard, déjà gagnant de huit coupes Stanley comme joueur et d’une neuvième à titre de directeur général, décide que c’en était trop. Non seulement était-il déterminé à ce que l’équipe reprenne sa place parmi les puissances de la ligue, mais il avait déjà, semble-t-il, sa petite idée comment y arriver.

Sa première étape a été de procéder à un changement d’entraîneur. Pat Burns, qui venait de compléter sa quatrième saison derrière le banc, était contesté dans son vestiaire et par l’ensemble des médias. En véritable guerrier, Burns ne choisissait pas ses batailles de sorte que les moments de tension étaient fréquents. Savard m’a expliqué plus tard qu’en choisissant Jacques Demers pour le remplacer, il avait notamment acheté la paix dans les médias.

Cependant, Burns n’était pas l’unique responsable de cette élimination. Le vestiaire était perturbé. Il s’est donc appliqué à faire le ménage. Shayne Corson, Russ Courtnall, Brent Gilchrist et Mike McPhee sont partis. Sylvain Turgeon, à qui on reprochait de ne pas toujours offrir sa pleine mesure, et Chris Nilan, rendu au bout de la route, ont été laissés sans protection. Sylvain Lefebvre a été sacrifié pour faire place à Sean Hill, plus robuste et légèrement plus jeune.

Deux grands coups

C’est toutefois à quelques jours du camp d’entraînement que Savard a conclu des transactions qui ont fait une grande différence. À l’époque, précisons que c’était aussi difficile qu’aujourd’hui d’effectuer des échanges majeurs, mais il n’a jamais cessé de tendre des perches durant l’été. Finalement, le 27 août, il a obtenu Vincent Damphousse et un quatrième choix des Oilers d’Edmonton en retour de Corson, Gilchrist et Vladimir Vujtek. Trois jours plus tard, il est allé chercher Brian Bellows au Minnesota en offrant Courtnall. Le Canadien est rapidement devenu une équipe très différente grâce aux 39 buts et 97 points de Damphousse et aux 40 buts et 88 points de Bellows. Dans le dernier droit de la saison, Savard a ajouté deux vétérans qui se sont avérés très utiles : Rob Ramage et Gary Leeman.

Bien sûr, Jacques Demers a dirigé l’équipe avec toute la diplomatie et l’humanisme dont il a fait preuve durant sa carrière. Patrick Roy a connu des séries extraordinaires. Toutefois, on ne peut pas ignorer que la voie pour cette coupe Stanley a d’abord été tracée durant la période estivale.

Les premiers matchs de la saison ont été couci-couça et la fin du calendrier a créé son lot d’incertitude, mais entre les deux, le Canadien est devenu une équipe dans le plus pur sens du terme. Ce solide esprit de corps a été crédité en bonne partie au changement d’entraîneur puisque les joueurs se sont rapidement adaptés au message très différent d’un homme qui, quand la situation le commandait, était à l’écoute de ses leaders. Il est même arrivé à Demers de modifier sa stratégie sur la recommandation d’un vétéran ou deux.

À la suite de sa nomination, Demers a passé une partie de l’été à rencontrer les joueurs. Ces rencontres individuelles lui ont permis d’apprendre que le vestiaire était divisé. Dans son premier message au camp d’entraînement, il a insisté avec eux sur l’importance de former une famille. Sa personnalité, très différente de celle de son prédécesseur, a largement contribué à alléger une ambiance beaucoup trop tendue. Les joueurs l’ont suivi.

Demers a même impliqué les femmes en leur démontrant clairement qu’ils avaient un rôle à jouer dans les succès de l’équipe. Il connaissait les noms de leurs enfants. Il s’informait de la santé de tout le monde. Pour gagner, il fallait absolument que le Canadien devienne une famille et il a été le premier à donner le ton à un tel changement.
Il y avait aussi beaucoup de maturité dans le vestiaire. Durant le long parcours des séries, les joueurs ont fait confiance au système en évitant toute forme de distraction.

L’exemple de Greg Norman

Chaque détail a eu son importance. Par exemple, avant le début des séries, alors que la tenue de Patrick Roy était une source d’inquiétude, son directeur général lui a remis un article du New York Times faisant état des problèmes personnels de Greg Norman au cours des deux années précédentes. Il y avait un message dans la démarche de Savard. Il avait encerclé volontairement ce paragraphe : « Pendant deux ans, j’ai été mon pire ennemi, a révélé l’un des plus grands golfeurs de sa génération. J’ai été dur envers mes amis et envers moi-même. Ma fierté était à plat parce que les résultats n’étaient pas à la hauteur de mon talent. Finalement, j’ai compris que j’aimais encore mon sport. J’ai retrouvé l’attitude qui me caractérisait quand je m’amusais sur le terrain. »

Roy a admis s’être reconnu dans ces propos. Il s’est amusé comme jamais durant ces séries au cours desquelles il a fermé 10 fois la porte en prolongation, en route vers un deuxième trophée Conn Smythe.

Quand le Canadien a remporté cette coupe, Bob Gainey, que les joueurs avaient porté en triomphe sur leurs épaules à la suite de leur quatrième gros trophée consécutif en 1979, était au Forum à titre de spectateur. Je me rappelle lui avoir posé une question à la porte du vestiaire : « Ça aide d’aligner un excellent gardien de but dans les séries, n’est-ce pas, Bob? »

Sa réponse pleine de clairvoyance m’avait néanmoins étonné. « La responsabilité d’une coupe Stanley revient d’abord à la direction de l’équipe, au directeur général et à l’entraîneur principalement », avait-il rétorqué.

Une opinion partagée par l’ex-directeur général des Flyers de Philadelphie, Bobby Clarke, qui a toujours prétendu que l’homme le plus important dans une équipe est l’entraîneur. Plus important que son meilleur joueur, disait-il.

Après l’élimination des Nordiques, Patrick Roy avait étonné son auditoire en affirmant que le joueur le plus utile dans cette série avait été Demers.

On s’expliquait mal cette victoire

Partout dans les cercles du hockey, on s’est étonné que cette formation de sixième place ait remporté la coupe. Le Canadien a bien sûr profité de l’élimination des champions en titre, les Penguins de Pittsburgh. Une porte s’est ouverte providentiellement devant lui, mais il a néanmoins vaincu quatre adversaires, dont les Nordiques qui avaient été établis favoris pour passer à la ronde suivante. Le Canadien a d’abord gagné parce qu’il formait un groupe uni. Savard a fourni les joueurs et Demers a vu à ce qu’ils deviennent des frères.

En séries, ils ont encaissé tous les coups pour l’équipe. Leur discipline a été remarquable. Ils ont disputé 20 parties sous une extrême tension sans jeter les gants une seule fois. Il n’y avait pas de francos, pas d’anglos dans cette équipe. Il n’y avait que des joueurs en mission. Les réservistes, de leur côté, ont protégé jalousement l’ambiance en distribuant les encouragements et les tapes dans le dos. La coupe Stanley est souvent présentée à la formation la plus courageuse et à celle démontrant le plus de caractère. Le Canadien, cuvée 1993, a répondu parfaitement à cette description.

Si jamais on a la curiosité de savoir à quoi ressemblaient ces valeureux gagnants, on peut retourner visionner les images de ces séries dans la zone vidéo du RDS.ca. Certains jeunes d’aujourd’hui, qui ont manqué pareil spectacle, cesseront peut-être d’affirmer que ce n’est pas si grave si le Canadien ne gagne pas la coupe Stanley car après tout, 25 ans sans un championnat, ce n’est quand même pas la fin du monde. Les images de 1993 sont vraiment inspirantes.

Finalement, on devrait peut-être aussi permettre à Serge Savard de s’asseoir avec Bergevin pour lui parler d’une chose ou deux. Après tout, il a soulevé la coupe une bonne dizaine de fois au bout de ses bras. Il y a un trésor d’expérience dans un parcours comme le sien. Pourquoi Bergevin n’y pigerait-il pas une partie de cette recette gagnante?