MONTRÉAL (PC Archives) - Le 17 mars 1955. Déjà considéré comme le héros de tout un peuple, Maurice Richard a été consacré ce jour-là, bien malgré lui, au rang de symbole d'un peuple en quête de reconnaissance.

Cinquante ans après l'événement, sociologues et autre experts s'accordent à dire que l'émeute du Forum (ou l'émeute Richard) a marqué un grand tournant dans l'évolution de la société québécoise, éveillant la fierté nationaliste.

Mais pour Maurice Richard, ce jour lui a toujours rappelé l'injustice dont il a été victime quand le président de la Ligue nationale de l'époque, Clarence Campbell, lui a imposé une suspension d'une grande sévérité, le privant des trois derniers matchs de la saison régulière et de toute la durée des séries éliminatoires.

Homme de caractère, un tantinet rancunier, il n'a jamais pardonné à Campbell cette décision, annoncée la veille, visant à sanctionner son attaque sur Hal Laycoe des Bruins, le 13 mars, au Garden de Boston.

Jusqu'à la fin de sa vie, ce souvenir l'aura troublé.

Voici d'ailleurs ce que le «Rocket» avait déclaré à La Presse Canadienne, à l'occasion du 30e anniversaire de ce triste incident: «Ça me dérange encore. Certains soirs avant de m'endormir, j'y pense et j'ai des difficultés à trouver le sommeil. Je ne pourrai jamais oublié ce qui s'est passé. À mon avis, il s'agissait d'une décision injuste, car elle avait été prise en quelques heures et affectait toute mon équipe.»

Cette suspension eut effectivement des conséquences désastreuses pour le Canadien mais pour Richard également, «Il a eu tort.»

En posant un tel geste, Campbell a ruiné toutes les chances du Canadien de rejoindre ou de devancer Détroit dans la course au championnat de la Ligue nationale. Et en l'absence de Richard, le Canadien s'est finalement incliné en sept rencontres en finale contre les Red Wings. Une absence coûteuse quand on sait que le Canadien a entrepris la saison suivante avec la conquête, sans précédent et sans égal, de cinq coupes Stanley d'affilée.

Pour le «Rocket», cette suspension le priva du trophée Art Ross remis au meilleur marqueur, à peu près le seul honneur qui lui a échappé au cours de sa glorieuse carrière dans la LNH.

Richard a toujours maintenu que la suspension avait été une erreur. Le jour des funérailles de Campbell, en 1984, il a répondu aux questions insistantes d'un journaliste désireux de savoir ce qu'il pensait de l'ancien président de la LNH: «Il a eu tort.»


Attaque de Laycoe

Mais qu'est-ce qui a conduit à l'émeute du 17 mars 1955?

Le dimanche précédent, le Canadien avait disputé un important match sur la petite patinoire du Garden de Boston. Ce soir-là, Hal Laycoe avait pour mission de surveiller Richard. Il ne restait que dix minutes à la troisième période lorsque Richard a été atteint à la tête par un coup de bâton de Laycoe, lui infligeant une coupure qui nécessita cinq points de suture. Le visage ensanglanté, Richard s'est alors rué sur le joueur des Bruins et l'a atteint d'une solide droite à un oeil. Non satisfait, il a ramassé un bâton et il a frappé Laycoe dans le dos.

L'intervention du juge de ligne Cliff Thompson n'a contribué qu'à exciter la colère de Richard. Il l'a repoussé le long de la clôture et lui a appliqué une droite à la figure.

Voici comment Richard a décrit l'incident quelques heures après le match: «Quand j'ai vu le sang, je suis devenu furieux. Je n'ai rien provoqué. Si j'ai frappé le juge de ligne, je ne m'en souviens pas. Je savais que quelqu'un me retenait et je voulais tout simplement me libérer. J'ignore complètement ce qui va m'arriver, mais je suis très pessimiste.»

Et le «Rocket» avait bien raison de redouter le pire.

Saisi de l'affaire, Campbell, sous la pression de plusieurs gouverneurs du circuit, a prononcé un verdict rapide le 16 mars, quelques heures seulement après avoir entendu la défense de Richard.


La pire manifestation à Montréal

Déjà que la sanction était jugée beaucoup trop sévère et que tout le monde criait à l'injustice, Campbell provoqua les événements du 17 mars en insistant pour assister au match suivant du Canadien au Forum malgré des avis contraires.

Assis à sa place habituelle, les spectateurs l'ont rapidement pris à partie, d'abord en lui criant des injures et ensuite en lui jetant des projectiles de toutes sortes. Puis, les événements se sont précipités quand un jeune homme tenta de le frapper au visage. Malgré l'intervention des placiers et policiers, la confusion s'est accrue quand une bombe lacrymogène éclata tout près de l'endroit où était assis Campbell. Evacué à l'extérieur, les spectateurs et autres badauds exprimèrent alors leur colère en fracassant vitrines de magasins et en mettant le feu aux kiosques à journaux. On brûla même Campbell en effigie.

Selon un rapport de police, on mit six heures à disperser les émeutiers.

Une dépêche d'époque de La Presse Canadienne a décrit la situation comme étant «la pire manifestation jamais vue à Montréal depuis les émeutes anticonscriptionnistes qui ont marqué la dernière guerre.»

Même le «Rocket» a exprimé sa surprise devant l'ampleur de la réaction de ses partisans. «Jamais je n'aurais pensé avoir un tel appui des amateurs de hockey montréalais, a-t-il analysé en 1985. Je n'aurais jamais pensé qu'une telle démonstration de violence aurait pu survenir. C'était, après tout, la première émeute de la province de Québec. Plus tard, j'étais soulagé que tout soit terminé.»