Le chandail gît sur la patinoire du Rexall Place. Il n’appartient pas à Taylor Hall, Jordan Eberle ou encore Steven Pinizzotto. C’est plutôt la propriété d’un partisan des Oilers d’Edmonton qui en a assez.

Après sept années d’attente, la huitième est de trop.

C’était le 22 mars dernier. Ce soir-là, les Oilers s’inclinaient  8-1 devant les Flames de Calgary et incitaient un autre de leurs fans à lancer son uniforme de l’équipe sur la glace. L’éloquent symbole d’une base de supporters qui a perdu patience…

Pour une huitième saison de suite, les joueurs des Oilers ne goûtent donc pas aux séries. En éternelle reconstruction, les Albertains tardent à ériger une équipe gagnante sur des fondations pourtant fort prometteuses.

Jordan Eberle et Taylor HallLes Jordan Eberle, Taylor Hall, Ryan Nugent-Hopkins et Nail Yakupov ne devaient-ils pas faire de cette organisation les futurs Penguins de Pittsburgh?

« Quand tu repêches dans le top-3 aussi souvent sans même te rapprocher des séries, tu dois te poser des questions et faire la rétrospective des gestes posés par l’organisation », s’interroge l’ancien attaquant de la LNH Éric Blélanger, qui a évolué avec les Oilers de 2011 à 2013.

Hautement risqué dans un marché canadien, le pari de la reconstruction est donc loin de rapporter le gros lot aux Oilers, qui disposaient pourtant du tout premier choix des repêchages de 2010 (Taylor Hall), 2011 (Nugent-Hopkins) et 2012 (Yakupov).

« Certaines personnes jugent qu’il vaut parfois mieux se déshabiller au complet pour se rhabiller par la suite, mais je ne suis pas convaincu », note André Savard, directeur général du Canadien 2000 à 2003.

« Les Red Wings de Detroit sont le plus bel exemple qu’on peut continuer à obtenir de bons résultats sans chuter au classement et reconstruire au complet, enchaîne Savard, maintenant recruteur pour les Penguins. Ils connaissent du succès à tous les niveaux, notamment le repêchage et le développement. »

Tout le contraire des Oilers, qui ont commis l’erreur d’ouvrir trop hâtivement les portes du vestiaire à leurs jeunes espoirs, estime Bélanger.

« L’organisation leur a fait trop de place rapidement. Ils ont grandi en faisant ce qu’ils voulaient et il n’y avait pas de conséquences, peu importe ce qu’ils faisaient. Ils ont ensuite vite fait d’obtenir des contrats très lucratifs. C’est spécial comme contexte. »

On est bien loin de l’ancienne école de pensée, poursuit Bélanger.

« À mes débuts, je suis arrivé avec des vétérans comme (Luc) Robitaille, (Ian) Laperrière, (Philippe) Boucher, (Stéphane) Fiset, (Félix)Potvin… C’était la vieille école, je restais dans mon coin et je ne disais pas un mot. De nos jours, les jeunes arrivent et leurs revenus sont basés sur des projections. Auparavant, on devait s’illustrer pendant quelques années avant de toucher un contrat payant. Maintenant c’est le contraire et c’est difficile dans un vestiaire quand ce sont des jeunes de 22-23 ans qui contrôlent la chambre. »

Ajoutez à cela toute la pression inhérente au fait d’évoluer en territoire canadien et vous compliquez drôlement les choses.

Deux pays, deux réalités

Alors que l’Avalanche, le Lightning et les Stars ont récemment opéré un revirement de situation aussi vif que surprenant, les Oilers renouvellent année après année leur bail de location du sous-sol de la LNH. Le fait de résider au Canada peut-il expliquer en partie ces échecs répétés?

« La pression se répand partout dans l’organisation. Les directeurs généraux, les entraîneurs, les dépisteurs, les joueurs… Tout le monde se retrouve étouffé à un certain moment. On a beau se dire que la pression fait partie du métier, mais c’est comme un étudiant qui ressent de la pression en retardant la réalisation d’un travail à la veille de sa remise », image Bélanger avant d’approfondir sa pensée.

« Dans de petits marchés américains, la pression va t’étouffer après plus de temps. La marge de manœuvre est donc plus grande. Je l’ai vécu d’une organisation à une autre et c’est incomparable », insiste l’ancien joueur québécois, qui a aussi endossé l’uniforme des Kings, des Hurricanes, des Thrashers, du Wild, des Capitals et des Coyotes.

Rebâtir à Pittsburgh, Chicago, Tampa Bay ou Denver  c’est donc bien plus facile que d’amorcer une relance à Edmonton. Le faire avec Sidney Crosby, Evgeni Malkin, Jonathan Toews, Steven Stamkos, Matt Duchene ou Nathan MacKinnon, ce l’est encore plus.

« Edmonton n’a pas autant pu miser sur la crème de la crème quand ce fut leur moment de repêcher. Il y a donc une certaine malchance là-dedans », nuance François Giguère, qui a occupé le poste de directeur général de l’Avalanche de 2006 à 2009.

N’empêche, cela n’allège en rien la part de responsabilité des Oilers, ajoute Giguère. « Quand une équipe ne fait pas les séries pendant huit ans, on doit blâmer tout le monde, autant les entraîneurs, les dirigeants que les joueurs. »

Insoutenable pression

Rien pour donner le goût aux autres formations canadiennes de faire maison nette et d’opter à leur tour pour une reconstruction. D’autant plus que quelques années de vache maigre sont difficilement envisageables.

« Les Flames ont pris beaucoup de temps avant de pencher vers la reconstruction. Ils essayaient de sauver la chèvre et le chou en voulant faire les séries, mais sans embaucher les joueurs nécessaires », fait remarquer Giguère.

Si les Flames ont finalement emprunté cette voie, les Maple Leafs de Toronto ne sont pas près de s’y engager, et ce même s’ils sont exclus des séries pour une huitième fois en neuf ans.

« Les Leafs sont premiers dans la LNH pour les revenus générés, alors ils doivent être compétitifs chaque année et faire les séries parce que ce sont leurs partisans qui dépensent. Ces derniers sont exigeants et la pression est énorme », rappelle Bélanger.

Ce dernier cite en exemple l’embauche à fort prix du joueur autonome David Clarkson, qui a signé un contrat de sept ans d’une valeur de 36,75 millions $ l’été dernier.

« Alors qu’il jouait avec les Devils, il n’était pas le plus connu. Il arrive ensuite à Toronto avec son gros contrat et il ne parvient pas à livrer la marchandise. Personnellement, je l’ai vécu à Edmonton.  J’ai eu une très belle carrière et j’ai été placé dans une position où il était difficile d’être performant, ce qui m’a attiré des critiques journalistiques. Ç’a étouffé ma confiance. Quand ça atteint le personnel, ça remonte les échelons supérieurs dans l’organisation et plus rien de fonctionne. »

« Les amateurs sont rendus qu’ils lancent leur chandail sur la patinoire, souligne Bélanger. Ça démontre l’amplitude de la pression sur les marchés canadiens. »

*Avec la collaboration d'Éric Leblanc