Quels sont vos classiques printaniers favoris? Depuis le début de la semaine, RDS revisite des moments marquants de l'histoire récente des séries éliminatoires de la LNH. Aujourd'hui, la qualification historique des Sénateurs d’Ottawa.

MONTRÉAL – C’était la nouvelle que tout le monde, secrètement, souhaitait entendre dans le vestiaire des Sénateurs d’Ottawa.

 

En public, bien sûr, les hommes de l’entraîneur-chef Jacques Martin affichaient une confiance qui était, disons-le, facilement justifiable. Depuis un mois, l’équipe n’avait perdu que trois de ses quinze matchs. Elle revenait tout juste de Detroit avec deux points durement gagnés. Il n’y avait pas de raison d’aborder le dernier rendez-vous du calendrier, sur lequel reposaient tous les espoirs d’une qualification pour les séries éliminatoires, autrement qu’avec le torse bombé.

 

Mais si Dominik Hasek, par un providentiel coup du sort, devait en plus s’absenter pour ce match sans lendemain, personne n’allait s’en plaindre. Et à la veille de cette soirée potentiellement historique pour les jeunes Sénateurs, c’était la rumeur qui circulait.

 

« Le match ne voulait rien dire pour les Sabres et on s’était fait dire qu’Hasek ne jouerait pas, se souvient Ron Tugnutt, le gardien des Sens à l’époque. Quand on a appris, à notre arrivée à l’aréna le lendemain matin, qu’il serait finalement devant son filet, tout le monde était un peu abattu. »

 

Frantisek Musil, un vétéran dont le nom était sur la liste des blessés, avait alors rassuré le groupe. Le défenseur tchèque avait passé la nuit en compagnie de son compatriote, qui lui-même s’attendait à obtenir congé. « Il ne sera pas capable de bien jouer ce soir », l’entend prédire Tugnutt.

 

Que les Sénateurs soient en position de prendre part aux séries éliminatoires était déjà un petit exploit en soi. L’année précédente, l’équipe avait effectué deux changements d’entraîneurs dans la même saison, qu’elle avait terminée dans les bas-fonds du classement avec 59 défaites. Ce groupe médiocre avait peu changé l’automne suivant. Tugnutt et Sergei Zholtok avaient été les deux plus importantes acquisitions effectuées sur le marché des joueurs autonomes. Shaun Van Allen, Jason York et Shawn McEachern s’étaient amenés dans des transactions.

 

Mais ces joueurs de soutien venaient se greffer à un noyau de plus en plus compétent. À l’attaque, Alexei Yashin, Daniel Alfredsson et Alexandre Daigle étaient tous mûrs pour une éclosion. À la défense, la recrue Wade Redden allait bientôt être rejoint par Chris Phillips, le tout premier choix au repêchage de 1996. L’avenir était prometteur. Le présent était encore flou.

 

« J’aimais quand même notre groupe, défend Jacques Martin, qui débutait alors sa première saison complète à la barre des Sens. Lorsque j’étais arrivé en poste l’année précédente, on avait commencé à bâtir une culture, une base dont on avait beaucoup bénéficié cette année-là. On avait beaucoup de jeunes joueurs, c’est ce qui faisait notre force, et ils avaient progressé tout au long de la saison. Nos succès n’étaient pas encore mesurés en victoires à ce moment-là, mais sur le développement d’une culture et d’un style de jeu qui nous donnerait une opportunité de gagner. Plus on avançait, plus on pouvait voir que ça rapportait. »

 

Après deux mois de compétition, les Sénateurs avaient remporté sept de leurs 25 parties. C’était peu, mais déjà un brin mieux que ce qui avait été accompli depuis quatre ans. En décembre et janvier, ils avait presque joué pour ,500, un seuil psychologique qu’ils avaient finalement atteint en février. Mais un pépin majeur était survenu : Damian Rhodes, leur gardien numéro un, s'était blessé. Le filet avait dû être confié à Tugnutt, un second de carrière qui avait passé la saison précédente dans la Ligue américaine.

 

Le coup avait été dur à encaisser, mais vers la mi-mars, l’impensable avait commencé à prendre forme. Tugnutt avait fait 35 arrêts dans un match nul contre Montréal, puis 38 dans une victoire contre les Rangers. Le mois d’avril s’était amorcé sur deux blanchissages successifs. Les Sénateurs ne perdaient plus. Ils étaient les Blues de St. Louis, Gloria en moins.

 

« Je ne veux certainement pas prendre tout le crédit, insiste Tugnutt en y repensant. Les choses avaient commencé à cliquer. Nos jeunes étaient en pleine éclosion et je ne faisais que les appuyer avec du bon travail devant le filet. Le système défensif de Jacques était aussi au cœur de nos succès. On avait pris en feu au bon moment et on avait su le rester jusqu’à la toute fin. »    

 

Une bataille, mais pas la guerre

 

Tugnutt frissonne encore en repensant à l’agitation qui régnait autour et à l’intérieur du Centre Corel le soir du 12 avril 1997. Une victoire contre les Sabres et il y aurait du hockey de séries à Ottawa. Hasek avait beau être à son poste, les Sabres allaient avoir besoin de plus d’un gagnant du trophée Vézina pour s’y opposer. Surtout si le leur avait la gueule de bois!

 

Aujourd'hui, les statistiques du match permettent de croire que Hasek n’était pas le seul de son équipe à avoir exploré le nightlife ottavien. En troisième période, les Sénateurs avaient deux fois plus de tirs au but que leurs visiteurs. Mais Hasek, ce sacripant, jouait comme s’il sortait d’une retraite de yoga. Il restait quatre minutes à faire à la troisième période quand il a finalement concédé le premier – et le seul – but du match sur un lancer balayé du défenseur Steve Duchesne.

 

Après le match, Musil était entré dans le vestiaire et s’était exclamé : « Je vous l’avais dit, les gars, qu’il ne ferait pas la différence! »

 

« C’était tout un scénario, réalise Jacques Martin. Le fait que ce soit Steve, l’un de nos grands leaders cette année-là, qui ait marqué, ça m’avait fait chaud au cœur. Je me rappelle comment la foule avait explosé lorsqu’il avait marqué. »

 

« J’ai une photo où on me voit sauter dans les bras de Wade Redden, qui me soulève dans les airs après cette victoire, dit Tugnutt. Juste avant, je me souviens que j’avais pointé en direction du ciel. Mon père était décédé l’année d’avant et je voulais qu’il sache que je pensais à lui. Je savais qu’il était là et qu’il avait tout vu. »

 

Les circonstances avaient fait en sorte que les Sénateurs, qui avaient finalement clôturé l’année au septième rang dans l’Est, avaient revu les Sabres en première ronde des séries. Un écart de 15 points avait séparé les deux équipes au classement final de la saison régulière, mais une application docile du plan défensif de Jacques Martin avait égalé les forces en présence. Les Sens avaient même pris une avance de 3-2 dans la série avant d’échapper les deux derniers matchs. Derek Plante avait mis fin au conte de fée au début de la prolongation de l’ultime duel.

 

« Je crois que Yashin avait frappé la barre horizontale juste avant », se désole encore Tugnutt.

 

Yashin aurait bientôt l’occasion de se reprendre. Cette qualification inespérée allait être la première de onze consécutives pour l’organisation des Sénateurs.

 

« Le fait qu’on ait poussé la série à sept parties, ça avait été frustrant, mais on avait quand même fait un pas de l’avant, pense Martin, qui a dirigé les Sénateurs pendant huit ans. On avait appris. C’était la première fois que l’équipe se classait, c’était un bon apprentissage. C’est toujours malheureux de perdre, mais on a quand même grandi beaucoup comme équipe cette première année. »

 

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