MONTRÉAL – Mathieu Turcotte n’était pas destiné à gagner sa vie comme entraîneur. Il a d’abord voulu être policier, comme son père. Adolescent, au collège privé Jean-de-Brébeuf, il étudiait avec l’objectif d’être admis en droit.

Il venait d’accrocher ses patins après une saison dans le Midget AA quand Glenn Durand l’a invité à venir lui donner un coup de main avec l’équipe Bantam AA de l’Association de hockey mineur du Lakeshore.

« C’est là que j’ai vraiment eu la piqûre. J’étais dans mes cours à Brébeuf et au lieu d’écouter mes profs, je pensais à mes pratiques, je travaillais sur un plan de développement pour nos défenseurs. À un moment donné je me suis demandé pourquoi je continuerais vers le droit quand clairement, c’était le sport, c’était le coaching qui m’intéressait le plus. » 

Turcotte n’a plus jamais écouté autre chose que son cœur. Et dans les rares occasions où ses tripes l’ont forcé à s’éloigner de son objectif professionnel, il a trouvé une façon de garder l’œil sur la balle. Cet hiver, par exemple, alors que la crise sanitaire l’a contraint à céder temporairement sa place derrière le banc des Voltigeurs de Drummondville, il s’est inscrit au cours de management du sport à HEC Montréal.

« Je ne suis pas quelqu’un qui aime rien faire, si on veut! », confesse le passionné de 36 ans, qui est considéré comme l’une des étoiles montantes de sa profession au Québec.  

En retournant, virtuellement, sur les bancs d’école, Turcotte a repris la voie qui l’a mené en premier lieu vers le métier d’entraîneur. Il y a 20 ans, c’est en s’immergeant dans le programme en intervention sportive de l’Université Laval que le natif de Kirkland avait commencé à faire ses classes. À Québec, il a rencontré ses premiers mentors et perdu ce qu’il pouvait avoir de complexes, obtenant rapidement la confirmation qu’il pourrait réussir malgré ses exploits limités sur la glace.

« En provenant du milieu académique plutôt qu’en ayant seulement du vécu en tant que joueur, je trouve que la recherche continuelle d’innovation me vient plus facilement. Je trouve que les gens qui ont un certain niveau d’études cherchent toujours à se questionner et à trouver de meilleures solutions. J’ai encore beaucoup d’échanges avec une ancienne prof qui est aujourd’hui directrice du programme. Ça me permet de constamment me remettre en question et de trouver des façons d’aller chercher un edge sur les autres. »

Sur le terrain, Turcotte a monté les échelons de façon fulgurante. Le futur bachelier est d’abord envoyé faire ses classes dans le Junior B – « une ligue de garage un peu mieux organisée », rigole-t-il aujourd’hui – puis il poursuit son apprentissage dans le Midget CC, le Bantam BB, le Bantam AA et le Midget Espoir. En 2008, il touche pour la première fois au haut niveau en méritant une place dans le personnel des Commandeurs de Lévis de la Ligue de hockey Midget AAA.

Un accomplissement, certes, mais pour l’ambitieux diplômé, le vrai travail ne fait que commencer.

« Il faut être prêt à jongler avec plusieurs emplois en même temps. Quand j’étais entraîneur-adjoint au niveau Midget Espoir, je travaillais au sport-études à la polyvalente de Lévis pendant le jour. Même pendant que j’étais entraîneur-adjoint Midget AAA, j’ai été dépisteur pour les Saguenéens de Chicoutimi et j’ai été directeur technique de la structure intégrée de Hockey Québec. Tu as beaucoup de chapeaux à porter quand tu commences dans le hockey. C’est la seule façon d’être capable de survivre, si on veut. »

Dans la LHJMQ à 25 ans

Avec une telle éthique de travail, la carrière de Turcotte dépasse vite le stade de la subsistance. À sa deuxième année à Lévis, une information arrive à ses oreilles selon laquelle les Foreurs de Val-d’Or cherchent à combler un poste d’adjoint. Il entre en contact avec l’entraîneur-chef Marc-André Dumont, puis rencontre le directeur général Mario Carrière. Le processus d’embauche est rigoureux, mais le jeune prétendant se sent en plein dans son élément.

« Dans le domaine du coaching, il faut que tu sois capable d’apprécier le grind, comme on dit. On est toujours sous pression, on a toujours quelque chose à livrer, toujours une équipe à préparer. Cette pression, je pense qu’il faut apprivoiser, il faut l’aimer. C’est quelque chose à laquelle j’étais habitué et ça m’a servi, je pense. »

Turcotte passe deux ans à Val-d’Or, où il est en charge des défenseurs et du désavantage numérique, avant d’accepter des responsabilités semblables aux côtés de Marc-Étienne Hubert chez les Saguenéens. Des principes phares de sa philosophie actuelle proviennent de ces deux bornes sur son chemin.

Dumont l’a sensibilisé à l’importance d’axer l’enseignement sur l’apprentissage des habiletés individuelles. « C’est devenu ma marque de commerce. Je pense que beaucoup d’entraîneurs se perdent dans [les systèmes, les X et les O]. Moi, peu importe les nouvelles choses que l’on voit apparaître, je pense que l’accent doit plutôt être mis sur la base : les batailles à un contre un, la protection de la rondelle, le marquage et le démarquage et le jeu en zones restreintes. »

Au Saguenay, il s’est imbibé des talents de stratèges d’Hubert, qui excellait dans l’art de broder un plan de match personnalisé à chaque adversaire. Il a aussi apprécié la liberté que son supérieur lui laissait dans l’exercice de ses fonctions. « La force d’un bon coach, c’est de savoir s’entourer et ensuite laisser ces gens-là travailler », a-t-il retenu.

Après quatre ans dans la LHJMQ, Turcotte obtient l’occasion de mettre ces notions en pratiques. Pour son premier emploi comme entraîneur-chef, il décide de rentrer au bercail et de participer à la mise sur pied du nouveau programme de hockey du Collège Notre-Dame de Montréal. L’idée de bâtir un projet à son image, à partir de rien, l’emballe pendant un certain temps. Mais au quotidien, un vide qu’il n’avait pas prévu s’installe.   

« Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’un plus grand défi. J’avais besoin de plus de conséquences aux résultats des matchs. Dans le junior majeur, tu perds trois matchs de suite, tu as une pression qui vient avec. Les joueurs veulent tous faire des pros. Cet environnement-là me manquait. »

Un record grâce aux statistiques avancées

Pour retrouver ce qu’il cherche, Turcotte revient sur ses pas. À l’âge de 30 ans, il est nommé entraîneur-chef et directeur général des Commandeurs de Lévis. À sa première saison, l’équipe ne gagne que 18 de ses 46 matchs, mais les années suivantes sont marquées par une progression impressionnante. Deux ans plus tard, ses joueurs établissent une nouvelle marque d’équipe en remportant 14 matchs consécutifs et terminent la campagne au deuxième rang du classement de leur division.

La montée en puissance atteint son paroxysme en 2018-2019. L’arrivée d’une cuvée de recrues talentueuses dans la structure implantée par Turcotte et ses adjoints rapporte des dividendes insoupçonnés alors que l’équipe, qui s’appelle désormais les Chevaliers, commence sa saison avec 34 victoires consécutives.

« Je pense que le plus gros changement d’une année à l’autre, à part évidemment le talent qui rentrait dans l’alignement, c’était qu’on possédait vraiment beaucoup plus d’information au niveau des statistiques avancées », dévoile Turcotte, déviant une partie du crédit vers ses adjoints Jonathan Deschesne et Ugo Bélanger.

« Dans les années précédentes, on décortiquait les chances de marquer à chaque match. Au lieu de fonctionner avec les traditionnels "plus et moins", on calculait dans combien de chances de marquer, pour ou contre, étaient impliqués nos joueurs. À ma quatrième année, on a ajouté le pourcentage d’efficacité en entrée et en sortie de zone et les buts attendus, ce qu’on appelle en anglais les ‘expected goals’, c’est-à-dire le nombre de buts que chaque joueur aurait dû marquer selon la qualité des tirs qu’il prenait. »

Les gardiens de but n’échappaient pas à la méticulosité de Turcotte. Appuyé par le modèle pensé par Deschesne et Bélanger, le stratège utilisait les chiffres non seulement pour évaluer leur travail, mais pour déterminer lequel occupera le filet selon le style préconisé par l’équipe adverse.

« Les jeunes de la génération avec laquelle on travaille, en 2021, doivent connaître les raisons derrière nos décisions. Et avec les statistiques avancées, si tu sais comment les utiliser de la bonne façon, tu peux répondre à toutes ces questions. À chaque semaine, lors de nos rencontres avec les joueurs, s’ils avaient des questions, on avait des réponses et elles n’étaient pas simplement basées sur ma perception des choses. Inévitablement, les gars adhèrent plus au projet dans ce temps-là. Ils savent que le staff agit en fonction des faits. »

Les Chevaliers ont terminé cette saison record avec une fiche de 41 victoires et une seule défaite. En séries éliminatoires, leur rêve de championnat s’est arrêté en demi-finale sur les jambières enflammées du gardien des Lions du Lac-St-Louis et éventuel cerbère d’Équipe Canada junior Devon Levi. Cette déception a signalé la fin d’une étape et le départ vers un nouvel objectif pour celui qui est devenu le bras droit de Steve Hartley sur le banc des Voltigeurs.

À Drummondville, le jeune coach absorbe tout ce qu’il peut de ses mentors du moment. Il considère avoir beaucoup à apprendre de tuteurs comme Hartley, Philippe Boucher et Denis Gauthier. Mais dans un domaine où on n’est jamais vraiment arrivé à destination, le temps viendra où il voudra prendre un autre pas vers l’émancipation. Un jour, sûrement, une équipe junior lui confiera les clés de la maison. Un jour, peut-être, l'objectif d'atteindre les rangs professionnel sera atteint.   

Un simple regard à sa feuille de route ne donne aucune raison d'en douter.