« YES!!!! », a été la réponse d’Antoine Valois-Fortier, médaillé olympique en judo, lorsqu’on l’a texté, mardi matin, après l’annonce officielle du report des Jeux de Tokyo à 2021. Pour lui, et pour des milliers d’autres, c’est un soulagement. Mais pour d’autres, c’est différent.

 

Cette décision officielle vient de régler le sort des Jeux et des athlètes. Ils peuvent prendre une pause, comme tout le monde. En fait, ils n’ont pas le choix. C’est le message qu’a reçu Valois-Fortier de son préparateur mental, Jean-François Ménard : « Enlève-toi l’étiquette d’athlète d’élite. Permets-toi d’être un citoyen normal », raconte Ménard au bout du fil. « Je lui ai dit, c’est correct que tu ne t’entraînes pas normalement pour les trois ou quatre prochaines semaines. »

 

Ce message, Ménard le transmet aux sept autres olympiens qu’il prépare. « Le message que j’envoie aux athlètes : si tu ne décroches pas en ce moment, tu ne décrocheras jamais dans les 16 prochains mois », faisant référence à la tenue possible des Jeux à l’été 2021. « Tu ne peux pas avoir la machine à On pendant 16 mois. »

 

Fin de la confusion

 

Soulagement parce que depuis 10 jours c’était la confusion. Après la fermeture des centres d’entraînement, les athlètes improvisaient des façons de s’entraîner. Mais dans quel but?  

 

« Les athlètes travaillent avec une structure. Ils ont des plans annuels dans lesquels ils savent exactement ce qu’ils vont faire à chaque semaine : le volume d’entraînement, à quel moment ils doivent se reposer, à quel moment ils doivent peaker », rappelle Ménard pour expliquer l’état d’esprit des athlètes ces derniers jours. « Essaie de t’entraîner et de rester en forme quand t’as aucune idée de ce qui s’en vient devant toi, c’est contre nature. Ce qui était assez commun pour les huit athlètes, c’est le manque de motivation à s’entraîner. Et avec raison. »

 

Le préparateur mental leur a écrit, mardi matin, pour leur dire qu’ils avaient maintenant 16 mois pour retrouver cette motivation!

 

Mais ce ne sont pas tous les athlètes qui sont totalement soulagés et en bon préparateur mental, Ménard les comprend. « Pour les athlètes pour qui les choses vont très bien en ce moment, ils sont en santé, ils ont de bonnes performances et ils savent qu’ils vont peaker dans quelques mois, ce n’est pas évident à avaler cette nouvelle », reconnaît-il.

 

Ils doivent trouver une façon de retrouver ce niveau l’année prochaine, mais rien n’est garanti, d’où la crainte de certains. Et si...

 

C’est pourquoi certains athlètes ne veulent pas accorder d’entrevue en ce moment. Ils préfèrent digérer la nouvelle et avoir les idées claires avant de s’exprimer publiquement. Une athlète comme Kristel Ngarlem, qui prépare ses premiers Jeux, et qui enchaîne les records personnels ces derniers mois, le coup est dur. Elle a besoin de temps.

 

Ne rien regretter

 

C’est le déchirement que vit Katerine Savard. La nageuse, médaillée aux Jeux de Rio, a recommencé à s’entraîner pour les Jeux l’année dernière, après une pause salutaire. Son plan était de participer à ses troisièmes Jeux et ensuite se consacrer à sa carrière de professeure. Et sa préparation se déroulait à merveille.

 

« Ça me fait tellement de la peine, j’étais si près du but », raconte-t-elle, encore un peu secouée par les nouvelles des derniers jours. « C’est certain que j’ai une crainte de m’embarquer pour un an et réaliser en chemin que ça ne marche pas. D’un autre côté, je ne veux rien regretter. J’ai la peur de regretter quelque chose. »

 

Elle ne veut rien regretter, mais elle doute. Même si « une grosse partie d’elle penche pour continuer, il y a une partie de moi qui a peur », avoue-t-elle en toute franchise.

 

Cette peur que ça ne fonctionne s’explique. « Je regarde les plus jeunes de 18 ans, elles sont en amélioration constante. Elles ont la possibilité de se rendre encore plus haut; est-ce qu’une autre année va me désavantager face à elles », se questionne Savard.  

 

Une inquiétude réelle que Ménard peut comprendre. « Il y a des jeunes qui n’étaient peut-être pas prêts pour des Jeux cet été, mais qui se développent et qui pourraient venir prendre la place de certains athlètes », reconnaît-il, tout en rappelant que les athlètes déjà qualifiés devraient le rester.

 

Savard sait que ça ne sert à rien de prendre une décision maintenant. « Je parlais avec mon ancien entraîneur à Québec, Marc-André Pelletier, et il me disait tant qu’on n’a pas de piscine, la décision n’a pas à être prise », raconte Savard. « Tant qu’il n’y a pas de piscine, ça ne change rien à ma carrière. Je me laisse ce temps pour décider. »

 

Un avantage pour les blessés

 

La situation n’est idéale pour personne. Certains pourraient toutefois en bénéficier.

 

« Il y en a un quelques-uns qui peuvent profiter de ce moment de repos et prendre une année supplémentaire pour recouvrer la santé, je pense au cycliste, Michael Woods (il vient de subir une fracture du fémur, ndlr) », cite en exemple Ménard. « Parmi mes athlètes, il y a Derek Drouin, qui a subi de grosses blessures ces dernières années. Les choses vont bien et avec un peu plus de temps, qui sait quel niveau il peut retrouver. »

 

Un autre exemple est celui de Meaghan Benfeito. Elle plonge depuis des mois avec une tendinite au coude gauche. Elle avait refusé de prendre une pause de trois mois, craignant que la pause ne se prolonge. « Pas question de prendre une pause de trois mois en année olympique », disait-elle il y a trois semaines, lors de la Série mondiale, à Montréal. Benfeito s’était préparée à plonger à Tokyo malgré la douleur. L’occasion est belle de guérir, même si elle disait que son coude allait mieux...

 

Jean-François Ménard n’est pas inquiet pour tous ces athlètes, qu’il les connaisse ou non. « On parle de gens qui rebondissent d’échec constamment », rappelle-t-il. « On parle de gens qui ont un cerveau capable de s’adapter. Ils sont résilients. C’est pour ça que je pense qu’ils vont bien gérer le report des Jeux d’un an. »

 

Il réitère tout de même son conseil, surtout à ses athlètes : « ils doivent prendre ce moment pour décrocher. Ils ont du temps pour respirer. L’incertitude des dernières semaines a grugé beaucoup d’énergie. »

 

Soulagement ou déception, au moins il y a quelque chose concret. Ils ne sont plus dans l’attente.